lundi 1 février 2016

Chapitre 8

         Des crocs ensanglantés, des visions de cauchemar, des cris, de la terreur. Et au milieu des décombres, se tenait fière et haute la silhouette de Kratos. Mais il n'était pas comme d'habitude. Ce n'était plus une silhouette rassurante de puissance, mais inquiétante, perdue dans les ténèbres. Il semblait régner au milieu des ruines enflammées qui gisaient partout autour de lui. Et son regard, ressemblant à deux points rouge lumineux se braquèrent sur elle.


            Fiona Lerner se réveilla en sursaut. Elle était trempée de sueur, et resta un moment, haletante dans le noir. Était-ce un cauchemar de Fiona ou une vision de Cassandre ? Elle détestait quand son pouvoir s'enclenchait à son insu, surtout pendant son sommeil, car elle n'avait alors aucun moyen de discerner le rêve de la réalité à venir. Elle alluma la lumière et se dirigea vers la salle de bain pour se passer de l'eau sur le visage. Elle se mit à tenter d'interpréter ce qu'elle avait vu. De toute évidence, c'étaient là des images du plan proposé par Kratos aux autres de la Conjuration. Mais que signifiait tout ça ? Les héros allaient-ils échouer à contenir la menace qu'ils envisageaient de libérer ? Mais plus que tout, c'est Kratos qui lui avait fait peur dans cette vision. Rarement elle n'avait ressenti une telle peur. « Non, Kratos n'est pas et n'a jamais été une menace. Joël n'est pas parfait, mais c'est un véritable héros – se dit-elle pour se rassurer – C'était un rêve probablement. Je dois me faire des idées, je suis nerveuse par rapport à la décision qu'ils vont prendre demain. » Fiona finalement, après s'être convaincue se remit au lit. Mais elle eut tout le mal du monde à retrouver le sommeil.

            « Trop lent ! » avait crié Pascal juste avant que sa jambe ne heurte celles de Greg qui tomba au sol lourdement. Il se releva et se jeta sur Pascal sans but précis. « Non » dit-il simplement en lui faisant une prise de judo. Greg resta sur le plancher à penser à ses choix de vie.
            « Tu fonces sans réfléchir c'est pour ça que tu te retrouves toujours au sol, expliqua Pascal.
– C'est pas parce que tu es bien plus fort et expérimenté ?
– On va pas aller loin si t'es pas foutu de te remettre en question, tu sais, Greg.
– Ouais...et je peux savoir pourquoi les autres ont le droit d'aller s'amuser à jouer les super-héros pendant que je reste ici à te servir de punching-ball ?
– C'est parce que tu es le plus faible de la Ligue des Inutiles, répondit sèchement Pascal.
– Aïe, lança Greg avec une pointe d'ironie. Alors c'est qui le plus fort ?
– Cédric. Il est suivi de près par Mehdi, faut avouer que faire pousser des couteaux à la place de ses doigts, ça aide pour le combat. Ensuite, Gaëlle a la meilleure condition physique de tous, elle prend son entraînement très au sérieux et si elle n'est pas première, c'est parce que son pouvoir est l'un des moins offensifs. Quatrième, Claire, cinquième Gilles, surtout parce qu'il n'est pas tout jeune et qu’il manque d'endurance. Toi, t'as ni condition physique, ni combativité. On peut remédier au premier obstacle par l'entraînement, mais le second dépend de toi.
– Tss... » cracha Greg tout en se relevant. Il fit quelques pas vers la porte, les mains dans les poches. Pascal le regarda s'éloigner d'un air grave et se mit à secouer la tête avec déception. Pour lui, il était évident que Greg allait abandonner, encore une fois. Pourtant, contre toute attente, ce dernier s'immobilisa, et se frappa les joues comme pour se réveiller.
            « Tu vas bientôt devoir changer ton classement, Pascal, déclara Greg.
– Je vois que tu viens de remédier au second problème ! Prépare-toi à bouffer de la poussière avant que le premier ne soit réglé ! » il y avait une pointe d'amusement dans sa voix, et Greg fut surpris de voir le changement qui s'était opéré chez son entraîneur. Sa façade taciturne semblait s'être effondrée, et il avait l'air bien plus sympathique. C'était ce que se répéterait Greg pendant que son entraîneur passerait la serpillière avec son visage.

            La tension était palpable dans la salle de réunion du bâtiment de la Conjuration des Etoiles. Kratos attendait avec impatience le résultat de la réflexion de ses partenaires. C'est Gravitas qui se fit la porte-parole du groupe.
            « Après avoir bien réfléchi et pesé le pour et le contre, on a décidé de suivre ton plan en partie Kratos.
– En partie ? demanda le Super-Héros dubitatif.
– Oui. On accepte de libérer Raptor et Sarramauca, mais Gepetto est trop dangereux. Il reste en cellule. C'est déjà pas facile de libérer les deux autres loustics...répondit Anima.
– Vous...vous êtes sûrs de savoir ce que vous faites ? demanda timidement Cassandre, que le songe de la veille continuait à torturer.
– On fait une énorme connerie, tu vois, on sait ce qu'on fait, déclara Gravitas.
– Mais...vous allez les laisser détruire et tuer, et attendre tranquillement qu'ils massacrent la Ligue des Inutiles ? C'est vraiment ça le plan ? Cassandre était de plus en plus agitée.
– Cassandre, on est des gens comme tous les autres, il faut qu'on gagne notre croûte, hors Super-Héros, ce n'est rémunéré que par les contrats pubs et autres. Si des inutiles prennent notre place, on ne pourra plus aller au feu, bloqués par les impératifs de la vie. Le boulot ne sera plus une simple couverture pour ne pas éveiller les soupçons, on devra vraiment travailler. On ne pourra plus être justiciers à plein temps.
– Quand on y pense, c'est pas complètement con – intervint Terminacop – imaginez s'il ne reste que des Inutiles pour combattre le crime. Ils sont pas faits pour ça, y aurait des victimes à chaque fois.
– Un sacrifice vertueux pour garder un ordre déjà établi et qui fonctionne parfaitement. » conclut Kratos qui dissimulait habilement une pointe d'agacement à l'encontre de Cassandre. Celle-ci s'avoua vaincue, les héros étaient décidés, elle ne pouvait rien faire contre. Elle eut la tentation d'en avertir les autorités, mais elle savait qu'on ne la croirait pas et qu'elle perdrait la confiance de tous les super-héros qui s'offraient ses services d'oracle. Elle se résigna.

            Les convoyeurs, piégés ripostaient aux coups de feu qui retentissaient partout autour d'eux. Ils étaient quatre, par chance, aucun d'entre eux n'avait été blessé, mais pour combien de temps. Ils avaient appelé des renforts, mais ils tardaient à arriver. La rue s'était vidée en un rien de temps, et il semblait aux quatre assiégés qu'ils étaient seuls au monde. Leur fourgon avait été pris en tenaille par deux voitures noires abritant une dizaine de braqueurs qui les arrosaient. La menace venait de partout et l'un des convoyeurs de fond se demandait s'il était si inconvenant que cela de relâcher le contenu de sa vessie. C'était comme une grêle de plomb assourdissante qui refusait de s'arrêter. Acculés, les quatre assiégés décidèrent de se mettre à terre et de se faire tout petits. Mais qu'ils le prennent leur argent puisqu'ils y tiennent tant ! Se disaient-ils.
            Il y eut alors un bruit sourd, et les coups de feu se turent. Le convoyeur qui luttait contre la peur qui voulait se déverser dans ses chausses eut la surprise de voir une noix de coco ébréchée rouler sur le sol. Les bandits regardèrent avec étonnement le fruit brun rouler nonchalamment, imposant le silence à ce qui était jusqu'alors un vacarme chaotique. Un poing rouge lumineux apparut sur la cagoule d'un autre assaillant. Peu après une autre noix de coco heurta la vilaine tête du criminel qui tomba inconscient au sol. Les armes se dirigèrent vers la direction d'où venait l'attaque.
            Profitant que les ennemis leur tournent le dos, leurrés par Arcimboldo et Lumen, les autres Inutiles se glissèrent à couvert dans la zone de combat. Les adversaires semblaient avoir verrouillé une cible, l'un d'eux poussa une exclamation, c'est le moment que choisit Tear pour faire monter de grosses larmes aux yeux de ses ennemis. Ceux-ci, aveuglés par leurs larmes pestèrent. Textil en profita pour s'approcher des convoyeurs et les fit évacuer. Deux points rouge scintillèrent derrière la tête des bandits, signifiant que Lumen et Arcimboldo s'étaient déplacés, profitant du délai accordé par Tear. Celui-ci relâcha l'emprise de son pouvoir. Les braqueurs avaient essuyé les larmes qui coulaient de leurs yeux et se mirent à tirer en direction de ce qu'ils pensaient être leur cible.
            Occupés à regarder ailleurs, ils ne virent pas venir le Cuistot avec ses lames à la place des doigts. Il se mit à frapper, griffant ses adversaires pris au dépourvu. Quand l'un parvint à l'aligner, le  Cuistot faisait apparaître des marmites de fonte qui arrêtèrent les balles, et dont il se servit pour frapper les attaquants. Un autre voulut riposter, mais sans savoir comment, il se retrouva avec des moufles aux mains, ce qui lui fit perdre le contrôle de son arme. Arcimboldo vint se joindre à la mêlée donnant des coups d'ananas, il fut suivi de Lumen qui mis un joli nombre d'ennemis hors d'état de nuire sans même utiliser ses pouvoirs.

            Les convoyeurs avaient été sécurisés, les méchants maîtrisés, Textil les habilla de camisoles de force pour les empêcher de bouger et tout ça avant même l'arrivée de la police. Comme ils le faisaient habituellement, ils s'éloignaient du lieu de l'opération, puis Textil les habillait en civils, enfin ils se dispersaient tranquillement avant de rejoindre le van de Michael.
           
            « Beau boulot, vous êtes de plus en plus efficaces, les félicita-t-il.
– Ce serait peut-être le moment de parler à la presse, non ? proposa Cédric.
– Ouais, tu nous as toujours conseillé de partir avant l'arrivée des journalistes, mais vu qu'on commence à être plutôt bons, c'est pas le moment de briller un peu ? ajouta Claire.
– Quoi, vous voulez être célèbres ? Mauvaise idée, les médias vont vous pourrir, répondit du tac au tac Michael.
– Je crois que tu te fais des idées, je suis pas contre un peu de reconnaissance, ajouta Mehdi.
– Quoi vous voulez être comme Kratos ? Vous avez vu ce qu'il a fait à Greg ?
– Ouais enfin, c'est Greg qui le dit, il a toujours été un peu jaloux de Kratos, observa Claire.
– Vous croyez que c'est une bonne idée de l'avoir accepté de nouveau parmi nous ? demanda Gilles après un long silence – C'est pas le mec le plus sympa du monde, il fait toujours la gueule, il a aucune motivation...
– Il a fait l'effort d'être revenu, c'est pas une raison suffisante pour l'accepter ? rétorqua Michael.
– Tout ce que je dis, c'est qu'on a une équipe soudée, j'ai confiance en elle, mais s’il y a un élément instable, comme Greg, alors on risque gros.
– Je suis d'accord avec Gilles. Je ne sais pas ce qui a poussé Greg à revenir, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'avoir un type aussi négatif dans l'équipe. Et puis, il a du retard sur nous tous, il est trop faible. » observa Gaëlle.
            Mike freina d'un coup, secouant tout le monde. Les héros de la Ligue des Inutiles lui lancèrent tous le même regard étonné.
            « Vous savez pourquoi j'ai ouvert mon groupe de soutien ? demanda-t-il soudain.
– C'est un prétexte pour combattre le crime avec ton propre groupe de super-héros ? proposa Mehdi.
– C'est pour permettre à des gens comme vous de lutter contre l'exclusion. Vous qu'on appelait les Inutiles avec mépris, vous avez endossé ce nom avec fierté, vous qui aviez honte de vos pouvoirs, vous avez appris à les exploiter au mieux pour vous rendre utiles ! Vous qui souffriez de discrimination, vous avez trouvé votre place. Alors comment pouvez-vous envisager de rejeter quelqu'un qui vient vers vous ? » Tout le monde se regarda en silence. Mike poussa un soupir et redémarra le van.

            Pascal avait mis à terre Greg une fois de plus. Le bruit plat que fit Greg en mordant la poussière se réverbéra partout dans le gymnase dans lequel les deux hommes s'entraînaient. Cela devait faire bien trois heures qu'ils s'exerçaient, Pascal servant de sparring partner à Greg. L'entraîneur commençait à montrer des signes de fatigue, son élève était incapable de bouger. Il était trempé de sueur et respirait très fort. Pascal fut soulagé de le voir dans un tel état. Il allait peut-être enfin pouvoir prendre une pause. Mais alors qu'il était en train de se dire ça, il vit Greg maladroitement se relever. Il tenait à peine debout, chancelant comme un homme ivre, mais il semblait en redemander.
            « Je sais que tu as hâte de te lancer en mission, mais ça ne sert à rien de trop en faire. Tout ce que tu vas y gagner, c'est te blesser inutilement, déclara Pascal calmement.
– Je connais mes limites, on peut reprendre ! mentit Greg qui eut du mal à ne pas vomir en prononçant ces mots.
– Tu as de la volonté, c'est bien, je n'aurais jamais cru ça de toi quand je t'ai vu pour la première fois. Mais là, on fait une pause ! » trancha Pascal en lançant une serviette à Greg pour s'éponger. À peine le jeune homme eut il attrapé celle-ci qu'il tomba en arrière, déséquilibré.
            Le goût délicatement acidulé du jus de fruits sembla rendre la vie à Greg. Il le but avidement, comme si sa vie en dépendait. Pascal faisait des étirements. Il était devenu trop rare qu'il soit aussi fatigué, et malgré les courbatures et la douleur, cela lui faisait plaisir de savoir que même lui, avait encore des limites à dépasser. Il prit place à coté de Greg et sirota son propre jus.
            « Comment on se retrouve à entraîner des super-nazes ? demanda Greg.
– Quand j'étais jeune, je voulais avoir des super pouvoirs – débuta Pascal – C'était le rêve absolu. Je me rappelle, quand j'étais au CM1, plus des trois quarts de ma classe en avaient développés. Moi j'attendais. Je me disais, tiens, ça va me tomber dessus. J'ai attendu mais rien. J'aurais tant voulu en avoir, même un pouvoir Inutile. Je crois que c'était la perspective d'être capable d'en faire plus que ce que je pouvais qui me tentait. Et puis j'ai dû me faire une raison. Je n'avais pas le gêne Super. Mon frère oui, moi non. Je me suis alors décidé à devenir plus fort, être un super-héros sans pouvoirs. Alors je me suis plongé dans les arts martiaux, je me suis engagé dans l'armée et les forces spéciales pour compléter mon entraînement personnel, j'ai accumulé de la force. Mais dans un monde où les super-héros existent, quelle place pour un type normal qui veut faire du monde un endroit meilleur ?
– Alors les super-héros ont détruit ton rêve ?
– Je regarde la Ligue des Inutiles, et je les vois faire des progrès, je les vois sauver des vies et je me dis que c'est moi qui les ai entraînés. Peut-être que je ne suis pas fait pour sauver les gens, mais je peux apprendre à ceux qui le peuvent à le faire.
– Si la porte est fermée, perce un trou dans le mur, hein ?
– Allez, lèves toi Atchoum-man ! Tu dois réaliser mon rêve. » s'exclama Pascal qui était complètement d'attaque après cette petite pause.

            Terminacop parvint à faire le chemin qui le mènerait à la cellule de Sarramauca sans trembler des genoux. Oh bien sûr, il était très hésitant. Il passa dans les allées, saluant aimablement les gardiens de la prison. L’un d’eux lui avait demandé ce qu’il faisait là.
            « Kratos m’a demandé de lui amener Sarramauca. Il m’a dit que c’était urgent, avait-il répondu, trop content de balancer le nom de Kratos au cas où tout tournerait mal.
– Bon, ben si c’est Kratos qui gère, et puis avec vous on ne risque rien Terminacop ! »
            Il se sentait misérable, avait l’impression de trahir la confiance que le monde avait placé sur ses épaules. Mais, même s’il s’en voulait, même s’il admettait qu’il faisait là une chose absolument immorale en libérant une personnalité aussi effrayante que Sarramauca, il ne s’arrêterait pas. Son équipement coûtait une blinde, et puis il fallait bien que Terminacop entretienne sa voiture de luxe, équipée pour combattre le crime. Et Kratos avait raison, s’il ne pouvait plus se consacrer exclusivement à sa mission de Super Héros, alors qui ferait son travail aussi efficacement que lui ou les autres membres de la Conjuration des Etoiles ?
            Il arriva finalement à la cellule de Sarramauca. Elle était bien enfermée, cette horrible femme. Pas de barreaux, mais une vitre blindée. Sa cellule était insonorisée. Terminacop la regarda un moment. C’est Gravitas qui l’avait vaincue, celle-là. Sarramauca était une grande femme au physique élancé, un peu trop même. Certains diraient décharnée. Elle était d’une pâleur de mort. Ses cheveux étaient longs et d’un noir de jais. Ils tombaient sur son visage, le dissimulant, ce qui lui donnait l’air d’un spectre. Elle remarqua la présence du héros, aussi se leva-t-elle, avant de coller une main osseuse contre la vitre. Son autre main écarta un pan de sa mèche, découvrant un sourire inquiétant, trop large pour être humain. Elle sembla prononcer des mots que Terminacop ne pouvait entendre. Il se tourna vers le garde en faction et remarqua que celui-ci avait des boules quiès.
            « Cette horreur peut atteindre les gens en leur parlant. » expliqua le garde à qui personne n’avait rien demandé. Terminacop connaissait le pouvoir de Sarramauca, bien qu’il ne l’ait jamais affrontée. Une fois qu’on avait entendu sa voix, elle provoquait des hallucinations cauchemardesques réalistes. Les victimes mourraient de peur au sens propre du terme pour les plus chanceux, les autres perdaient la raison. De plus ce pouvoir lui permettait de se régénérer en cas de blessures, car Sarramauca se nourrissait littéralement de la peur de ses victimes. Un parasite, même pas un être humain, se dit Terminacop en la voyant lui sourire de cette façon malsaine qui était la sienne.
            Le garde aux oreilles bouchées ouvrit la cellule et bâillonna la prisonnière qui restait docile, ne quittant pas des yeux Terminacop, ce qui mettait le héros mal à l’aise. Elle le provoqua en frottant son ventre du plat de sa main, mimant quelqu’un qui se régale. Pour toute réponse, Terminacop transforma sa main droite en canon. On la menotta ensuite.
            « Tu vas arrêter de jouer à la plus fine, et tu me suis. Un pet de travers et je te désintègre. Pigé ? » lui hurla Terminacop plus fort qu’il n’aurait voulu. Elle acquiesça et les deux repartirent en direction de la sortie de la prison. « J’espère que vous savez ce que vous faites ! » lui lança l’un des gardes en le croisant. « On est deux, mon gars… » se disait alors Terminacop.
            Une fois qu’ils se furent éloignés, Terminacop, pointant toujours son arme sur Sarramauca s’arrêta dans une ruelle sombre. Il lui ordonna de lui tourner le dos et de se mettre à genoux.
            « Je vais compter jusqu’à trois. Une fois que ce sera fait, tu compteras aussi jusqu’à trois et tu retireras ton bâillon –  dit-il en retirant les menottes –  si tu bouges avant, je te fais sauter le crâne, c’est compris ? » Sarramauca se montra docile. Elle attendit. Elle entendit Terminacop compter jusqu’à trois, puis elle fit de même mentalement, enfin elle retira son bâillon. Elle se retourna, Terminacop avait disparu. Elle prit une profonde inspiration, une bouffée d’air frais, l’air de la liberté. Elle se mit alors à rire hystériquement. Lorsqu’elle s’arrêta, elle se rendit compte qu’elle avait faim…Elle s’assurerait qu’il y ait suffisamment de peur dans les rues de Paris pour se nourrir à satiété, s’était-elle dit, avant de disparaître dans la nuit.

            Quand elle entrait en possession de quelqu’un, Anima aimait particulièrement un moment : celui où son esprit, léger, se promenait, flottant dans les airs avant de prendre possession d’une enveloppe charnelle. Elle pouvait diriger son esprit dans un rayon de cinq cent mètres environ, et sa possession durait aussi longtemps que lui permettait son endurance psychique, à savoir trois heures pleines. Elle s’était postée non loin de l’appartement du directeur de la prison des Alouettes, deuxième prison réservée aux super criminels. Dans celle-ci étaient enfermés des spécimens comme Raptor et Gepetto le marionnettiste.
            Elle visita avec son esprit l’appartement du directeur Didier Marly séparé de la planque qu’elle s’était trouvée par un simple mur, et trouva sa cible, dormant paisiblement aux cotés de sa femme. L’esprit d’Anima pénétra la cible. Anima dut d’abord s’habituer au corps bedonnant du directeur. Il n’était pas taillé comme elle et n’avait pas la même condition physique. Après un temps d’adaptation très court, elle se leva. Madame Marly lui demanda d’une voix éteinte où il allait, elle répondit d’une voix masculine qui ne lui était pas naturelle qu’il avait quelque chose à faire. Anima puisa dans les souvenirs du directeur pour trouver les clefs de voiture et surtout toutes les procédures de sécurité dont Marly était le gardien.

Raptor, de son vrai nom Marcello Tizzino était un homme très inquiétant. Il était sicilien et rattaché à la mafia. Il avait développé des pouvoirs assez inédits et rares, puisque ceux-ci l’avaient fait muter. Il était déjà violent en soi, mais sa mutation avait créé en lui une soif de sang inextinguible. Ses dents s’étaient acérées, et des griffes avaient pris la place de ses doigts. Sur sa peau, des plaques d’écailles, comme celles d’un lézard, avaient poussé. La puissance de ses jambes avait augmenté, le rendant rapide et, de ses doigts griffus, l’un possédait une griffe rétractile qu’il utilisait comme une lame pour poignarder ses victimes. Il ressemblait à un amalgame entre un homme et un vélociraptor, d’où son surnom. Il avait développé un penchant pour le cannibalisme avec le temps et était devenu l’un des super criminels les plus inquiétants. Par chance, ce n’était qu’une brute, incapable de s’organiser. Il faisait le tueur à gages parfait. Il avait affronté Anima déjà, qui l’avait vaincue avec l’aide de Raijin, mais cette fois-là, c’est à Dragon qu’il devait son incarcération.
Anima regarda avec appréhension son ancien adversaire à travers les yeux du directeur. Raptor se tourna vers elle.
« Monsieur le directeur Marly, quelle joie de vous voir ici, dit-il d’une voix sifflante.
–  Je vais vous libérer Raptor, mais je vous préviens, faites profil bas pour votre évasion, sinon…
–  Vous me libérez ? C’est intéressant. Pourquoi feriez-vous ça ?
–  Oh si vous ne voulez pas être libre…
–  Une minute directeur Marly ! Je vais être sage…oh oui, comme une image. »
            Anima le regarda un moment, hésitante. Puis elle entama le digicode permettant d’ouvrir la cellule blindée du saurien humain. La porte s’ouvrit avec lenteur, et chaque seconde qui passait rendait Raptor plus fébrile. Il jeta des regards partout dans la pièce. Finalement il put sortir. Il fit quelques pas dans le couloir, semblant se dégourdir les jambes.
            « Vous avez cinq minutes pour vous tirer. Barrez-vous ! siffla Anima.
­–  Je l’ai dit, je serai sage comme une image…une image sanglante ! » et ayant prononcé ces mots, Raptor bondit sur Marly. Anima en resta bouche bée. Le visage de Raptor se rapprocha de celui de Marly.
            « Le directeur ne m’a jamais appelé Raptor, mais monsieur Tizzino. Tu as la même odeur de vieux que ce bon directeur, ce n’est donc pas un déguisement. Une possession ? C’est donc toi, Anima. –  Anima ne répondit rien, trop choquée –  Je ne sais pas pourquoi tu m’as libéré, mais crois bien que je t’en suis reconnaissant. Je te tuerai en dernier ma belle. »
            Anima se reprit, elle voulut répliquer quelque chose. Elle vit que la jambe de Raptor immobilisait le corps du directeur, une griffe était plantée dans le ventre et le sang coulait légèrement. Raptor se mit à renifler l’hémoglobine et poussa un sifflement. « Tu as de la chance ma belle, tu es aux premières loges pour mon spectacle intitulé : nourrir le dinosaure ! » alors, le visage de Raptor fondit sur le corps qu’elle avait possédé. Aussitôt elle annula son pouvoir et se réveilla dans son propre corps à elle.

Elle resta dans un coin de sa planque, dans le noir, sous le choc. Au bout d’un moment, elle entendit sonner le téléphone dans l’appartement de Marly. La voix de sa femme bredouilla des choses incompréhensibles avant de se transformer en un cri d’horreur puis en sanglots.
« Je suis désolée…je suis désolée… » se répéta comme un mantra Anima traumatisée, en pleurs. 

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