Clairement,
ça n’avait pas le même goût. Il n’y avait que de la peau sur les os, et puis la
chair était tendue, souvent, il y avait des tumeurs indigestes, et puis c’était
pas très ragoûtant. Raptor n’avait que mépris pour les SDF, et ce n’était pas à
ses yeux une meilleure pitance, en mâchouillant ses victimes, il repensait à
celles qu’il aimait dévorer habituellement. Des jeunes gens en pleine forme, à
la chair tendre et délicate, et saignante surtout. Là, ce n’était pas le Ritz,
mais il n’avait pas le choix. S’il jouait trop avec le feu, il subirait les
foudres de Kratos. Il aurait préféré manger de l’herbe que se retrouver de
nouveau dans la poigne du Super-Héros. Mais la faim le tiraillait. Il ne se
sentait pas satisfait avec seulement les quelques pauvres sans-abri qui
tombaient entre ses griffes. S’il voulait manger à sa faim, il devait bouffer
cette Ligue des Inutiles. Peut-être qu’ensuite, Kratos lui foutrait une paix
royale.
« Vous
faites un boulot remarquable les gars, lui dit-il d’abord.
− C’est avant tout un travail d’équipe,
répondit-elle joyeusement, bien qu’un peu éméchée.
− Un travail d’équipe, c’est bien ça – observa Pascal – rappelle-moi
comment vous vous répartissez les tâches ?
− Tu le sais très bien ! Je suis
celle qui planifie les actions, Tear est chargé des diversions, Arcimboldo et
Cuistot sont les cogneurs du groupe, enfin Textil soutient l’équipe.
− Super. Et c’est tout ?
− Ben oui, c’est une équipe qui marche
du tonnerre, rétorqua-t-elle.
− Et Atchoum-man dans tout ça ? Il
fait quoi ?
− Il…il observe…répondit une Gaëlle un
peu mal à l’aise.
− L’éternuement est un réflexe cortical
de défense du corps, qui est provoqué par un mouvement convulsif des muscles
expirateurs, c’est-à-dire le diaphragme et les muscles intercostaux. Ce qui
veut dire que le pouvoir de Greg, si on devait le schématiser grossièrement,
consiste à provoquer chez autrui un réflexe cérébral qui, pour un court
instant, provoque un mouvement désordonné du corps.
− C’est bien, tu as fait tes devoirs,
rétorqua Gaëlle qui s’impatientait à présent.
− Les humains éternuent, les animaux
aussi. En fait tout ce qui est doté de capacités respiratoires peut éternuer.
Ça veut dire que tu as dans ton équipe un membre qui peut immobiliser n’importe
quel être vivant doté de poumons, et tu le mets sur la touche.
− L’équipe n’a pas confiance en
lui ! répliqua Gaëlle dont la bonne humeur s’était définitivement
estompée.
− C’est toi le cerveau de l’équipe
Lumen. Je ne te dirai pas quoi faire, je t’ai juste donné une info. Maintenant,
tu en fais ce que tu veux. Demande-toi maintenant ce qui est le plus
important : faire plaisir à ton équipe, ou augmenter votre
efficacité ? Si tu me demandes mon avis, puisqu’il est question de sauver
des vies, la réponse m’apparaît clairement. » sur ces mots, Pascal
s’éloigna, laissant seule une Gaëlle pour qui le goût du champagne était devenu
amer. Elle se tourna vers Greg qui s’était mis à l’écart et regardait sa coupe
sans y toucher.
Mehdi et
Cédric mettaient une ambiance de folie. Ils étaient tous les deux complètement
ivres, et avaient décidé de commencer à préparer des cocktails au rhum et aux
fruits fraîchement pressés. Cédric prodiguait les fruits, et Mehdi, ayant
transformé ses mains en presse-agrume en faisait des jus. Puis on mixait le
tout. Michael, qui ne buvait pas, se mit à soupirer de dépit en pensant au
ménage qu’il allait devoir faire après que ses convives s’en seraient allés.
Textil, pas dans un meilleur état profita que Tear se soit assoupi pour
matérialiser des tenues de plus en plus ridicules sur lui tout en prenant des
photos. Ainsi, à son réveil, Gilles aurait la bonne surprise de voir une jolie
photo de lui en soubrette, en costume de loup, ou une belle photo de groupe le
faisant apparaître déguisé en danseuse du ventre. Greg n’apparaissait dans
aucune de ces photos. Il accepta en souriant le verre que lui tendait Mehdi,
mais une fois que le seul membre de la Ligue qui semblait lui être amical eut
tourné le dos, il vida le contenu du verre dans un pot de fleurs et alla au
balcon.
La nuit était tombée sur la ville, et
celle-ci s’illuminait tout en ronflant des bruits de moteurs. Il frissonna
lorsqu’une petite brise fraîche souffla sur lui. Il n’entendit pas Gaëlle qui
venait de le rejoindre. Il ne lui accorda qu’un regard.
« Tu n’es pas d’humeur à faire la
fête, hein ? débuta-t-elle.
− C’est votre fête, répondit-il
froidement.
− Tu sais, si tu es mis de côté…
− Non, stop ! C’est bon là. OK,
j’ai quitté la Ligue avant même que vous ne vous lanciez vraiment, oui, j’étais
de mauvaise compagnie, mais sérieusement, arrêtez d’essayer de me faire croire
que c’est MA faute si VOUS m’excluez de votre groupe.
− Il n’est pas question de t’exclure…
− Alors quoi ? Vous me
punissez ? Vous considérez que même parmi les Inutiles je suis
inutile ?
− Non je…
− Gaëlle, j’en ai ma claque de vous. Au
début, je ne pouvais pas vous saquer, mais c’était injuste de ma part. J’étais
con. Là, je ne peux pas vous saquer parce que vous êtes une bande d’enfoirés,
vous ne valez pas mieux que tous ceux qui vous méprisent, vous ne valez pas
mieux que ceux qui te traitaient d’inutile !
− Arrête Greg…
− N’oublie pas qu’Inutile, ça reste une
insulte pour désigner les gens comme nous, que ton pouvoir est merdique, tout
comme le mien, et comme celui de tous ces débiles profonds qui te servent
d’équipiers ! Bordel, j’avais commencé à reprendre confiance en moi, mais
y aura toujours un mec dans le monde pour te foutre plus bas que terre… »
Gaëlle
en resta un moment bouche bée. Elle se doutait bien qu’ostraciser
Atchoum-man n’était pas ce qu’il y avait de plus sympathique, mais elle
imaginait pas que c’était à ce point. Elle se souvint alors du jour où elle
avait développé son pouvoir. Elle était adolescente, et son petit ami de
l’époque était tout excité de savoir que sa copine allait devenir une Super.
Puis, elle se souvint de la déception qu’elle avait vu dans le visage de
celui-ci quand elle lui avait expliqué que son pouvoir était celui d’avoir un
pointeur laser oculaire. Il avait commencé à se moquer gentiment d’elle,
d’abord « Ah, ton pouvoir te sert à faire des démonstrations power
point. » il n’avait pas de super pouvoir lui, mais au moins ce n’était pas
un Inutile. Il avait commencé à se moquer d’elle auprès de leurs amis, puis ses
moqueries avaient été de plus en plus acides, et son regard taquin s’était
transformé en regard méprisant…un regard qu’elle avait retrouvé dans les yeux
de tous ceux à qui elle avait parlé de son pouvoir. Elle se demanda si elle avait
le même regard quand elle observait Atchoum-man.
« Greg
je suis désolée…
− Je ne vais pas vous quitter. Je vais
rester avec vous, et je ne ferai rien avec vous. Vous n’arriverez pas à me
faire partir. Je vais prendre tout ce que vous avez à me proposer et je ne vous
offrirai rien en retour. Vous me traitez en parasite, alors je vais agir en
tant que tel. Je vais vous observer, je vais apprendre en vous regardant, mais
je n’interviendrai jamais pour vous ! Et quand je jugerai le moment
propice, vous serez débarrassés de moi, je me barrerai et je vous laisserai
entre vous. » ayant craché ces paroles, Greg qui était accoudé au parapet
se dirigea vers l’appartement, les mains dans les poches. Gaëlle, de son côté
ne savait quoi dire. Elle fut blessée, surtout de voir que c’était elle qui
essuyait les plâtres pour toute l’équipe. Elle aurait voulu dire quelque chose
pour arrondir les angles, mais elle ne savait pas trop quoi lui dire, à
Atchoum-man, ce membre de l’équipe sans l’être, qu’elle et ses compagnons mettaient
de côté sans se poser de questions.
« Greg !
–
finit-elle par articuler finalement – dis-moi, est-ce que c’est toi qui
nous a sauvés d’Ondine ?
− Quelle importance ? Si c’était
le cas, alors je mériterais enfin de vous suivre ? Bande de cafards !
cracha-t-il.
− Non mais je…
− La ferme ! Je ne veux plus t’entendre, ni toi ni
aucun autre de tes potes !
− Mais Greg…ATCHOUM ! »
Gaëlle se mit à éternuer, et elle ne pouvait plus s’arrêter. Elle éternua en
série, ne pouvant plus bouger ni penser. Il lui sembla que cela dura une
éternité. Quand enfin elle put reprendre le contrôle de ses voies
respiratoires, quand les spasmes qui agitaient son corps se dissipèrent, elle
se rendit compte que Greg était parti et qu’il l’avait laissée seule sur le
balcon. Elle resta alors un moment-là à ressasser les mots durs de Greg.
Etait-ce dû aux éternuements répétés qu’elle avait subits ? Elle n’aurait
su le dire, mais ce qui était sûr, c’est que de grosses larmes coulaient le
long de ses joues.
Dragon,
de son vrai nom Eric Hong, vint rendre visite à Anima. Gravitas lui avait
appris qu’elle était en pleine dépression. Le nouveau venu de la Conjuration
avait donc décidé de venir rendre visite à sa camarade. Il connaissait
personnellement Anima, ils avaient eu une histoire ensemble deux ans avant. Il
se rendit donc au domicile de Karine Némaud afin d’avoir une petite discussion
avec elle. Lorsqu’il frappa à la porte, le visage marqué par la culpabilité de
son ex petite-amie fit son apparition. En silence, elle le laissa entrer chez
elle. Eric jeta un coup d’œil à l’appartement. Par terre se trouvaient des
coupures de journaux. Sur le mur étaient attachés des articles relatant les
agressions présumées de Raptor.
« Ce
n’est pas sain, ce que tu t’infliges, débuta Dragon.
− Je dois savoir ce que j’ai
créé…répliqua-t-elle d’une voix blanche.
− Tu n’as rien à te reprocher, déclara
Dragon. A ces mots, les yeux d’Anima flamboyèrent et elle se jeta sur Eric avec
colère.
− J’ai vu le directeur de la prison se
faire dévorer ! J’étais encore dans son corps quand Raptor a déchiré sa
chair ! Et ce que je sais, c’est que ce ne serait jamais arrivé si je
n’avais pas libéré ce monstre ! Et toutes ces victimes, tous ces gens qui
ont connu cette fin atroce, c’est ma faute ! Ce sont mes victimes
Eric !
− C’était le plan de Kratos, tenta
Eric.
− Non, c’est notre plan, on l’a tous
validé.
− Tu vas faire quoi alors ?
− Je vais réparer ma connerie ! Je
vais refoutre Raptor en taule, sa voix était décidée à présent.
− Ca ne va pas plaire à la Conjuration.
− J’emmerde la Conjuration ! On
est des Super-Héros, on protège les gens, on les sauve, on ne les met pas en
danger. Si tu veux m’en empêcher, c’est le moment ! » elle plongea
alors son regard de jade dans les yeux d’Eric. Dragon soutint le regard de
celle qu’il avait aimé. Un conflit intérieur fit rage en lui. Il avait toujours
rêvé d’intégrer la Conjuration des Etoiles, il admirait Kratos, et il était
heureux de faire partie de l’équipe. Mais ces derniers temps, leurs actions
semblaient avoir de moins en moins de sens. Il hésitait.
« Je
ne t’en empêcherai pas. Et je ne dirai rien aux autres. Mais, je continue de
croire que je fais la différence avec la Conjuration, et je ne vais pas me les
mettre à dos. Je ne t’aiderai pas.
− C’est bon pour moi. Merci de ne pas
te mettre en travers de mon chemin. »
Raptor
était à la recherche de toute information concernant la Ligue des Inutiles. Il
n’y en avait pas énormément, ces gars-là semblaient éviter la presse au
maximum. Mais une vidéo sur Youtube, prise par un passant qui avait pu filmer
une intervention des héros lui permit d’avoir quelques informations sur les
pouvoirs de ces inutiles. L’un d’eux, déguisé en catcheur mexicain avait fait
apparaître des fruits sur son corps et s’en servait pour se battre. Un autre
déguisé en cuisinier avait transformé ses doigts en couteaux, les autres, en
revanche, il était difficile de déterminer leurs pouvoirs simplement en
regardant la vidéo. Mais ce qui était sûr, c’est qu’ils allaient tous finir
dans sa panse. Il avait faim et le droit de les manger. Il regarda la vidéo
plusieurs fois de suite, et garda en mémoire le peu d’informations qu’il avait
pu réunir grâce à elle.
Dans la
centrale nucléaire, la sirène continuait à sonner, faisant vibrer l’air de son
cri plaintif. Le personnel enfin libéré se massait les poignets, tandis que
Raijin lança une décharge contre le dernier des terroristes qui avaient menacé
de faire sauter la centrale au SEMTEX si on ne leur donnait pas
satisfaction : la divulgation de l’identité des Super-Héros qui étaient,
selon eux, des émissaires de Satan. Les malfaiteurs furent ligotés, les
explosifs désamorcés et Raijin se prépara à s’en aller avant l’arrivée de la
presse, mais l’un des gardiens de la centrale s’approcha de lui.
« Raijin,
écoute-moi, commença l’homme.
− Désolé, je n’ai pas le temps de
rester. Je vous laisse vous charger du reste, les autorités compétentes vont
arriver.
− Je suis Anima. Raijin, tu dois me
rejoindre, déclara alors l’homme.
− Anima ?
− Je vais avoir besoin de ton aide pour
arrêter Raptor. Toi seul peut m’aider. »
Avant
qu’il n’ait pu répondre quoi que ce soit, Anima libéra le gardien de son
emprise, ce dernier ne s’étant rendu compte de rien. Raijin resta pensif un
moment, avant de finalement quitter l’assistance. Il avait des questions à
poser à Anima, et il comptait bien avoir des réponses.
Il
courait dans la nuit parisienne, bousculant les gens au hasard. Il avait réussi
son coup, mais maintenant, il ne devait pas se faire attraper. Il avait vu le
type avec qui sa copine le trompait, puis lui avait mis un violent coup de
batte sur la tête. A présent, il courait, mettant le plus de distance entre lui
et sa victime. D’un geste rapide, il balança la batte fracassée, teinte de
sang, par terre. Il entendait des pas précipités derrière lui, et jeta donc un
coup d’œil afin de savoir si oui ou non, on le poursuivait. Il sursauta quand
il vit un type vêtu de vert, avec une cape qui volait derrière son dos. Il ne
connaissait pas ce super-héros, et ne voulait pas le connaitre. Il bifurqua
donc vers la gauche, faisant route vers le Canal St Martin. Il courut le long
des quais en soufflant comme un bœuf. Derrière lui, le Super-Héros gagnait du
terrain, mais l’adrénaline lui donnait des ailes. Il connut les joies du second
souffle et courut de plus belle. Mais alors…ATCHOUM ! il se mit à éternuer
très fort. Une fois, puis deux fois. L’un de ses éternuements fut si fort qu’il
perdit l’équilibre et se vautra au sol. Il eut à peine le temps de se relever
que le Super-Héros était sur lui. Il lui colla un gigantesque coup de poing au
visage qui lui fit perdre connaissance.
Atchoum-man
prit son téléphone portable et appela la police. « J’ai appréhendé un
agresseur pris sur le fait, je vous le laisse bien empaqueté quai de
Valmy » avant qu’on ne lui répondit quoi que ce fut, il coupa son
téléphone et s’étira. Il frappait plus fort, maintenant, courait plus vite et
plus longtemps. « Ceci dit, tout seul, je ne peux m’occuper que de ce
genre de délits. » Atchoum-man marchait en faisant le bilan de ses
exploits. Il arriva alors au niveau d’un parc dans lequel un attroupement
attira son attention. Il supposa que la Soupe populaire se tenait là, mais il
fut surpris de ne voir aucun camion, aucune organisation particulière. Il lui
sembla pourtant bien que c’étaient des SDF qui faisaient la queue. Il se
dissimula derrière un arbre pour mieux espionner la scène. Il reconnut alors la
silhouette d’Arcimboldo. Celui-ci distribuait des fruits et discutait avec les
sans-abri. Greg l’observa tout le long de la distribution, jusqu’à la fin.
« J’ignorais
que la Ligue des Inutiles faisait dans le social en plus ! déclara
Atchoum-man quand Arcimboldo, qui ne l’avait pas remarqué, vint à sa hauteur.
− Atchoum-man ? Depuis combien de
temps t’es ici ? Et qu’est-ce que tu fais là ?
− Hé du calme, pas la peine de réagir
comme si je t’avais surpris en train de regarder du porno animalier ! Tu
es tout seul ? Où sont les autres ?
− Je fais ça sur mon temps
libre…répondit finalement Arcimboldo après une hésitation.
− C’est très noble à toi.
− Peut-être. Atchoum-man, s’il te
plaît, est-ce que tu peux éviter de dire aux autres ce que tu as vu ?
− Pourquoi ? Tu devrais être fier
d’être aussi altruiste.
− Altruiste ? Peut-être…écoute, tu
n’as aucun ami dans la Ligue, c’est pour ça que je vais te dire ce que je vais
te révéler. Au moins tu ne le révéleras à personne. J’ai vécu dans la rue quand
j’étais plus jeune. J’avais dix-huit ans, et je m’étais enfui de chez mes
parents. Quand je leur ai appris ce que j’étais, ils n’ont pas supporté…
− Ils t’ont rejeté parce que tu es un
inutile ?
− Non, ils m’ont rejeté à cause de mon
orientation sexuelle…
− Malheureusement, il y aura toujours
un prétexte pour discriminer son prochain…donc tu as été sans domicile ?
− Ouais. Les hivers froids, la peur,
l’incertitude. Mais j’avais mon pouvoir. Je me considère chanceux de l’avoir
eu. Quand tu n’as plus rien, le fait de pouvoir faire pousser des fruits sur
son corps, ça n’a rien d’inutile, crois-moi. En tout cas j’ai pu sortir de la rue,
reprendre une « vie normale » et même plus. Je te l’ai dit, je me
considère chanceux. Sans mes pouvoirs, je serais sûrement mort de faim depuis
un bail. Mais cette chance, tout le monde ne l’a pas eu. Alors je me dis que je
pouvais bien en faire profiter ceux qui sont encore dans la galère.
− Ce que je ne comprends pas, c’est
pourquoi garder ça secret ? La Ligue pourrait faire quelque chose pour ces
gens. En tout cas, Textil pourrait les habiller pour l’hiver avec son pouvoir,
je ne sais pas…
− Je ne veux pas en parler, parce que
je ne veux pas que mon passé se sache auprès de la Ligue. Tu as raison pour
Textil, je le sais, mais tout de même, je ne peux pas me résoudre à parler de
ce que je fais. Pas encore. Greg, je te le demande, garde pour toi ce que tu as
vu et ce que je t’ai dit. Je sais que je ne suis pas en position de te demander
quoi que ce soit mais…
− Je suis un Super-Héros, et un
Super-Héros, c’est supposé ne pas trahir les secrets personnels tant que ce
n’est pas capital pour la survie et la sécurité d’autrui. T’en fais pas, je
dirai rien.
− Merci Greg. C’est important pour moi.
− T’es un gars bien Cédric. » dit
simplement Atchoum-man avant de disparaître dans la nuit.
Les
missions de la Ligue des Inutiles s’enchaînaient et se ressemblaient pour
Atchoum-man qui se contentait de rester dans le van et d’attendre que les
autres accomplissent leurs faits. Lui ronflait tranquillement, et ne cherchait
même plus à faire même semblant de vouloir s’intégrer à l’équipe. Il ne
supportait particulièrement pas Tear, et ce sentiment était réciproque.
« Tiens
la belle au bois dormant. Réveille-toi stagiaire, grondait le héros au masque.
− Va chier, répondit simplement Greg en
baillant.
− Tu dors en pleine mission…et si on
avait eu besoin de toi ? le rabroua-t-il.
− Que je sois éveillé ou pas, je
n’aurais pas bougé le petit doigt, puisque vous êtes tous des grands et des
grandes, répondit Atchoum-man d’un air détaché.
− Alors tu vas juste nous suivre et te
contenter de faire la sieste ? Si c’est le cas, ce n’est vraiment pas la
peine de venir avec nous, tu es…
− Inutile ? le provoqua Greg avec
hostilité.
− Fermez-là tous les deux ! »
gronda Lumen qui sentait l’ambiance du groupe se détériorer. Elle se demandait
si la réintégration de Greg n’était pas une erreur. Mais au fond, elle savait
que l’erreur avait été de le dédaigner. Elle se sentait obligée de l’emmener en
mission, même s’il ne faisait rien, ne serait-ce que pour racheter la faute
qu’elle considérait avoir commise : faire miroiter son rêve à un homme
tout en l’empêchant de le réaliser alors qu’il était à portée de main. Cédric
était silencieux au sujet de Greg. S’il y allait de sa petite pique
occasionnelle dans le passé, son attitude avait changé. Mehdi avait toujours
été un soutient de Greg, et à présent, seuls Tear et Textil étaient ouvertement
hostiles à Atchoum-man. Les choses pouvaient bouger, se disait-elle, mais Greg
ne semblait pas vouloir leur pardonner l’exclusion dont il avait été victime.
« Tiens,
où est passé Andy ? Ça fait deux fois qu’il ne vient pas, s’enquit
Arcimboldo tout en donnant un sac plein de victuailles à une vieille femme.
− Tu n’es pas au courant ? demanda
un jeune garçon Rom.
− Au courant de quoi Bireli ?
− Il est…il est mort…déclara un jeune
homme noir avec tristesse.
− Mort ? la voix d’Arcimboldo se
mit à trembler. Andy était son ami, et là, il apprenait qu’il n’existait plus.
− Il a été dévoré…tout le monde sait
que le Raptor erre dans les rues et mange des clodos, mais personne ne fait
rien pour l’arrêter…continua Donald, le sans-abri qui avait appris la nouvelle
à Arcimboldo.
− Le Raptor ? Le
Super-Criminel ?
− Depuis qu’il est sorti de taule, on
vit dans la peur. Il attaquait tout le monde avant, mais maintenant il
s’attaque uniquement aux SDF. Je suis désolé pour Andy, Arcimboldo. »
La
soirée était amère pour le Super-Héros. Andy était le meilleur homme du monde,
très intelligent, mais malchanceux, il aimait ses conversations avec lui et la
façon avec laquelle il l’encourageait. Arcimboldo avait les larmes qui lui montaient
aux yeux. Le nom de Raptor tournait dans sa tête.
Une fois
sa distribution terminée, il décida de marcher un moment dans les rues, seul,
afin de réfléchir. Il pensait à Andy, et avait la terrible impression d’être
impuissant, d’être inutile. A quoi lui servaient ses pouvoirs s’il pouvait
perdre ses amis ? Quand il avait commencé à combattre aux côtés de la
Ligue, il avait senti sa force grandir, et se sentait plus qu’humain, mais la
terrible nouvelle qu’on venait de lui annoncer l’avait ramené à sa condition
d’homme banal. Il était comme tout le monde, il subissait la vie. Il s’extirpa
de ses pensées quand il vit une silhouette se tenir face à lui dans la rue
déserte dans laquelle il déambulait. La lune était pleine et jetait une lueur
pâle sur la silhouette drapée dans un sweat à capuche. Arcimboldo s’immobilisa.
Il avait vu une lueur dans le trou obscur dans lequel se dissimulait le visage
de la personne qui se tenait là. C’était un œil jaunâtre et inhumain.
« Je
t’observe depuis un moment…siffla une voix reptilienne.
− Oh un fan ? déclara Arcimboldo
d’une voix tremblante.
− Quelle chance que l’un des plats que
je rêvais de goûter nourrisse ma pitance habituelle. »
La forme
inquiétante retira sa capuche et dévoila son visage. Il était hideux, et Cédric
n’avait jamais rien vu de tel. Il avait une forme humaine, mais sa peau était
recouverte d’écailles, et son regard était celui d’un reptile. Sa bouche était
bien trop large pour être humaine et des dents acérées luisaient à la lumière
des réverbères. Arcimboldo se tenait donc face à l’un des pires Super-Criminels
du monde. Il se mit à trembler de tout son corps. Avait-il peur ? Il se
posa la question en essayant de stopper son tremblement.
Non. Ce n’était pas de la peur. Il n’avait pas envie de s’enfuir.
Toutes
les discussions avec Andy lui revinrent en mémoire en une fraction de seconde.
Puis il imagina ce à quoi avait dû ressembler la rencontre entre Andy et son
bourreau. Une vague de chaleur s’empara d’Arcimboldo. La pâleur qui s’était
emparé de son corps laissa place à du rouge. Son regard effaré prit l’aspect du
métal, et sa voix blanche devint plus dure.
« Tu
as dévoré un SDF nommé Andy, je me trompe ?
− Qui sait…j’en ai bouffé plein.
J’espère que tu auras meilleur goût. » répondit Raptor. Une bouffée de
rage enveloppa Arcimboldo. Ses deux bras imposants se couvrirent d’ananas et de
noix de coco, de pastèques, au bout de ses poings, des litchis apparurent par
grappes. Arcimboldo voulait lui faire mal. Ils s’observèrent un long moment, puis
Arcimboldo se précipita vers lui « RAPTOR ! » hurla-t-il avec
une rage meurtrière dans la voix. Raptor poussa un sifflement, et bondit de ses
deux jambes puissantes vers la masse enragée qui fonçait vers lui.
Greg
arriva en retard dans l’appartement de Michael Perséphone. La Ligue
l’attendait, mais ce jour-là, ils ne l’engueulèrent pas. Il lança un regard
sur l’assemblée.
« Tiens,
c’est moi où il en manque un ? demanda-t-il alors.
− Cédric est en retard. Ça ne lui
ressemble pas…observa Claire.
− Il a intérêt à se dépêcher. On ne va
pas l’attendre toute la vie non plus. » cracha Gilles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire