lundi 8 février 2016

Chapitre 9

       Il y avait une atmosphère inquiétante. C’était comme si chaque mouvement mal exécuté allait le faire passer de vie à trépas. Greg Gorman transpirait abondamment, il savait que l’ennemi était à l’affut de la moindre erreur, alors que lui-même était diminué. Sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Il para les trois premiers coups, mais sa garde fondait comme neige au soleil. Il tenta de placer un coup de pied, mais…


« Tatsumaki senpukyaku ! » cria Ryu, le personnage joué par Mehdi en tournoyant et frappant Chun-Li, celle que dirigeait Greg. La jeune fille tomba au sol. « KO ! » hurla l’écran. De dépit, Greg reposa la manette de la console de Mike tout en regardant Mehdi se gausser de sa victoire. Michael s’était absenté, Pascal n’était pas là, et tous les membres du groupe n’étaient pas encore arrivés. Mike avait proposé à Greg et Mehdi de passer le temps devant « Street Fighter 2 » mais Greg en avait à présent assez de perdre.
« Tu te débrouilles bien, Atchoum-man, mais il te manque l’entraînement, la rigueur !
J’admets ta puissance, Cuistot, déclara Greg.
C’est marrant, mais je t’imaginais mauvais perdant.
­­ J’ai l’habitude d’être un perdant, c’est un domaine dans lequel j’excelle » répondit Greg.
            Avant que Mehdi ne trouve quoi que ce soit de spirituel à ajouter, la porte s’ouvrit sur Michael qui affichait un air soucieux, il tenait dans sa main un journal froissé qu’il jeta sur la table avant de s’asseoir, plongeant dans des pensées qui paraissaient d’une profonde obscurité. Mehdi éteignit la console et la télévision.
            « Ca va Mike ?
− Vous avez vu les nouvelles ? demanda simplement Michael Perséphone.
− Oh les deux évasions de Super-criminels ? s’enquit Greg.
− Raptor c’est le tueur cannibale, c’est ça ?
− Il a déjà tué quatre personnes. L’autre c’est Sarramauca, la faiseuse de cauchemars. Ces deux-là    libérés, c’est une des pires choses qui pouvait arriver.
− La Conjuration des Etoiles va probablement régler la situation en moins de deux, il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter, assura Mehdi.
− Je suppose… » Greg sentit pourtant le doute dans la voix de Michael alors qu’il disait ces mots. Il regarda le journal une dernière fois, celui-ci avait à sa une les deux trognes des criminels. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’un comme l’autre ressemblaient à des monstres.

            Une poignée de main, un sourire mielleux, Joël Pinker avait parfaitement négocié son contrat. Wandrille son associé, engoncé dans son costume trois pièces gris salua la signature du contrat avec les deux pouces levés. Joël Pinker dans le civil était le PDG d’une boîte de communication qui permettait à des Super-Héros de se faire connaître. Une sorte d’agent en somme. Et bien entendu, le client le plus privilégié de cette boîte, c’était Kratos. En vérité, Pinker ne faisait pas grand-chose, et c’était Wandrille qui faisait tourner la boîte, montée avec les fonds de Pinker. Celui-ci pouvait donc à loisir jouer les Super-Héros et s’assurer de quoi vivre tranquillement. Pinker était apprécié par les gens avec des pouvoirs qui ignoraient sa double identité, car il apparaissait comme le promoteur de ceux qu’on appelait les « Super ».
            Joël, tout à sa joie d’avoir permis de vendre les droits à Hollywood pour un biopic de Kratos qui raconterait sa vie (et qui serait le premier film de Super-Héros biographique) promena un regard empli de fierté dans la salle bondée d’investisseurs. Son regard se posa sur Fiona Lerner. Elle était de toute beauté dans sa petite robe noire et ses cheveux blonds en chignon. Il lui lança un sourire auquel elle répondit avec timidité. Prenant congé poliment auprès du producteur avec lequel il discutait, Joël fit quelques pas énergiques envers la jeune femme tout en lançant un regard en direction des toilettes, dans le doute, ils pourraient en avoir besoin. Il la rejoignit, en lui tendant un verre de champagne.
            Il faisait beau en ce jour, et pourtant la mine de Fiona était livide comme un jour d’hiver. Joël décida tout de même de tenter de flirter avec elle.
            « Mademoiselle il faut partir, votre beauté est en train d’éclipser la lumière du soleil. Je vous recommande de vous dissimuler dans une chambre. Et je suis prêt à vous y accompagner, dit-il de son air le plus charmeur possible.
− Joël il faut qu’on parle de…tu sais quoi…dit-elle à mi-voix.
− Pas maintenant Fiona chérie, rétorqua-t-il d’une voix faussement mielleuse, après qu’une ombre soit passée sur son visage.
− Mais il faut qu’on en parle ! Il y a eu – elle baissa la voix – il y a eu des morts. En tant que Kratos tu ne peux pas tolérer ça.
− J’ai dit pas maintenant, et pas ici ! » cette fois, la voix de Joël était devenue plus tranchante.
            Fiona le prit par la main et l’emmena vers les toilettes. Mais si quelques minutes auparavant, Kratos aurait apprécié d’y aller en sa compagnie, ce n’était plus le cas. Il savait que la discussion serait pénible. Une fois arrivés sur les lieux, il s’assura que personne ne s’y trouvait. Il regarda d’un air sec Fiona qui sans y prêter attention, se mit à parler.
            « Anima est sous le choc, elle se sent responsable de la mort du directeur de prison Marly et Sarramauca a fait des siennes. Sept cas de crises cardiaque sur des sujets en pleine forme ! Joël je…tu es sûr de ton plan ? Si tu crois que ton plan est nécessaire, alors je te crois sur parole, mais…
− Ne crains rien Fiona, tout est sous contrôle.
− Des gens sont morts Joël.
− Et ça ne se reproduira plus, c’est juré. Je vais tout prendre en main.
− Alors plus personne ne perdra la vie ? demanda Fiona d’une voix tremblante.
− Hormis les Inutiles, non. » ayant asséné sa réponse froide, il se pencha vers Fiona et l’embrassa sur le front. Celle-ci, loin d’être rassurée, resta figée et tremblante. Kratos paraissait déterminé à faire disparaître les membres de la Ligue des Inutiles, les autres Super-Héros de la Conjuration des Etoiles semblaient trouver tout cela justifié, mais à ses oreilles, tout cela sonnait faux. Quand Joël quitta les lieux en fermant la porte, elle resta seule un moment, à s’interroger sur ses choix de vie.

            Le ciel nocturne était couvert. Des nuages noirs dissimulaient la lune pâle dont la lumière ne filtrait qu’à intervalles irréguliers. Il longeait les murs, son ombre peignant furtivement les façades des immeubles. La faim, elle le tiraillait. Il avait dans le nez l’odeur du sang. Il suivait depuis un petit moment le jeune homme qui sortait du travail. Il avait eu mille occasions de lui sauter dessus pour planter ses crocs dans la tendre jugulaire, mais ça lui paraissait trop facile, où serait le plaisir de la chasse alors ? Et puis il devait s’assurer qu’il n’y ait pas de témoins. Raptor ne savait pas trop pourquoi Anima l’avait fait sortir de sa cellule, mais il n’y retournerait pas. Tapi dans l’obscurité, il attendait. Il rabattit sa capuche sur sa tête afin de cacher ses traits de saurien, et des gants dissimulaient ses doigts griffus. De loin, on aurait simplement dit un type lambda un peu voûté. Nyctalope, ses yeux de prédateur s’étaient habitués à l’obscurité dans laquelle était plongée la ville. Il maintint une distance de sécurité afin de ne pas alarmer sa proie. Mais celle-ci traversa la rue, et au moment où Raptor voulut faire de même, la circulation reprit. Il trépigna en attendant, ayant manqué de peu d’être renversé par un bus. Une fois que le feu vira au rouge, il courut de sa vitesse inhumaine pour tenter de remettre la main sur sa cible, mais elle avait disparu. Il siffla une injure, frustré. Son regard se posa alors sur une femme qui marchait non loin.
            Elle était jolie, avec ses cheveux auburn qui cascadaient de sa tête et sa mine délicieusement pâle. Elle était vêtue d’une combinaison de motarde en cuir noir et avançait d’un pas énergique. Ses mains étaient gantées, il ne faisait pourtant pas si froid que cela. Il se mit à fureter le plus discrètement possible. Ce serait elle qu’il dévorerait ce soir. Il la suivit un moment, se gardant de se faire repérer. Au bout d’un moment, elle tourna vers une impasse. C’était pour Raptor le moment où jamais. Il accéléra la cadence afin de la rejoindre. En deux bonds, il était arrivé dans l’impasse, mais celle-ci était vide, à sa grande surprise. La belle femme avait disparu. « Décidément ! Ils sont tous devenus des ninjas, pendant que j’étais en cabane ? » pensa-t-il, en jetant des regards partout autour de lui. Des bruits de pas se firent entendre, juste à côté. Il se retourna vivement, le bruit était près, comme s’il venait d’apparaître de nulle part. Il avait l’ouïe fine, si on s’était approché de lui, il l’aurait entendu de loin. S’étant retourné, il se retrouva nez à nez avec la femme qu’il suivait. Celle-ci avait retiré son gant gauche et tendait la paume de sa main vers lui, dans un geste qu’il ne comprenait pas.
            « Je n’aime pas qu’on me suive, ça me rend très nerveuse, dit la femme d’une voix froide qui ne laissait transpirer aucune émotion.
− Et bien tu n’avais qu’à pas être aussi appétissante, ma belle ! » siffla-t-il d’une voix inquiétante. Mais il constata qu’elle ne prit pas peur pour autant. Elle continuait de tendre sa main vers lui et de le fixer de son regard, un regard étrange, froid, comme l’acier d’une lame prête à trancher. Il retira sa capuche afin d’utiliser son physique de mutant pour lui faire peur, que ce soit par son aspect ou par sa célébrité relative en tant que super-criminel sanguinaire. Rien. Elle le toisait toujours.
            « Tu as une folle envie de me tuer, déclara-t-elle simplement après un moment.
− Je suis un chasseur, tu es ma proie. Je vais te dévorer, rétorqua-t-il de son air le plus malsain.
− Tu es plus animal qu’humain. Je pensais que tu aurais un instinct de survie plus développé.
− Qu’est-ce que tu racontes ? à présent, Raptor était dubitatif.
− Regarde-moi bien attentivement et dis-moi qui sera la victime de l’autre ? »
            Raptor déglutit. Il commençait à voir clairement le regard que portait sur lui l’étrange jeune femme. Elle lui était supérieure, en tout. Il le voyait, il le sentait. Il vit dans ses yeux un abîme sans fond, il vit dans ses yeux qu’il devait s’éloigner d’elle à tout prix. S’il avait encore des glandes sudoripares, il aurait sué toute l’eau de son corps. Ses membres se mirent à trembler, mais il ne savait pas pourquoi. Il ressentait juste qu’elle était dangereuse. Elle vit qu’il avait peur, aussi sourit-elle et s’approcha-t-elle comme lui avait l’habitude de le faire avec ses victimes.
            « Eloigne-toi de moi ! Dégage ! hurla-t-il d’une voix blanche.
− Tu ne sais rien de moi, mais ton corps te le dit : ne t’approche pas, elle est dangereuse, elle va te faire du mal, dit d’une voix froide au teint moqueur la femme.
− Je te préviens…
− Quand tu t’es levé ce matin, tu t’es dit qu’il y aurait un demain. Penses-tu la même chose maintenant que je suis face à toi ? elle souriait à présent, elle retira son gant droit, ses deux mains étant dévoilées à présent.
− Je m’en vais, je me barre, je regrette de t’avoir suivi, mais c’est bon, tu n’entendras plus jamais parler de moi.
− C’est à la chance de décider. Gauche ou droite ?
− Vas-t-en !
− Gauche ou droite ? » demanda-t-elle d’une voix plus ferme tout en tendant ses deux mains.
            Les yeux hagards de Raptor allaient d’une main à l’autre. Des milliers de questions l’assaillirent, il se demandait ce qui l’attendrait, s’il allait souffrir, s’il allait périr là dans cette rue sombre, il se demandait comment il avait pu, lui, le chasseur, se retrouver dans les pompes de la victime. Elle insista d’une voix encore plus inquiétante.
« Droite ! Droite ! s’écria-t-il avec affolement.
− Petit veinard. Droite tu dors, gauche, t’es mort. » et ayant prononcé cette phrase avec une espièglerie de gamine, elle lui adressa une humiliante pichenette de la main droite sur le nez. Il se sentit alors faible, ses paupières devenaient de plus en plus lourdes. Il avait une envie de dormir que rien ne semblait pouvoir assouvir, pas même le sommeil lui-même. Il fit bien des efforts pour rester éveillé mais c’était impossible. Il s’écroula au sol, et se mit à dormir profondément, comme s’il n’avait pas connu le sommeil depuis des années.

            Une fois qu’elle vit le mutant s’endormir, Nyx fit demi-tour, en direction de la sortie de l’impasse. Elle fit quelques pas puis s’arrêta brusquement. Elle se tourna sur sa gauche et vit, par une fenêtre, la silhouette effrayante de Sarramauca, d’une pâleur de mort. Celle-ci était par hasard dans ce coin et dévorait les cauchemars d’une famille quand elle avait senti une peur intense. Elle vit l’étrange scène et constata que la peur émanait du reptile. Sarramauca fut très surprise de voir la silhouette gracile d’une femme repartir tranquillement après une confrontation avec Raptor. La curiosité l’amena à voir qui avait pu terroriser à ce point le tueur cannibale. Elle se rendit compte avec stupeur qu’aucune peur n’émanait de la femme qui s’était à présent arrêtée et l’observait avec insistance. Habituellement, l’apparence même de Sarramauca suffisait à lui prodiguer des friandises de terreur, du malaise délicieux. Là, rien, la femme était parfaitement à l’aise.
            « Quelle étrange créature » se disait simplement Nyx en observant la silhouette fantomatique. Aussi longtemps qu’elle restait à sa place, Nyx n’avait aucune raison de lui chercher quoi que ce soit. La créature écarta un pan de la mèche qui lui retombait sur le visage et tenta de lui adresser un sourire aussi inquiétant que possible, ce sourire inhumain qui aidait Sarramauca à instiller la peur chez ses victimes. Mais rien. Nyx la regarda et lui rendit un sourire encore plus effrayant de banalité. Le rictus de Sarramauca se transforma en grimace de terreur, et lentement, elle recula disparaissant dans les ténèbres de l’appartement dans lequel elle festoyait. Nyx haussa les épaules, et repartit tranquillement en sifflotant dans la nuit.

            « Police ! Arrêtez-vous ! » hurla l’agent qui courait derrière le type qu’il avait pris en flagrant délit de vol avec violences. Il commençait à s’essouffler et voyait la distance qui le séparait du fugitif grandir à chaque minute. Le malandrin courait vite, comme si le diable avait été à ses trousses, aussi, le policier se disait-il qu’une fois qu’il lui aurait mis la main au collet, il lui ferait vivre l’enfer.
C’était une jolie matinée de printemps, le vent était délicieusement frais et le ciel était d’un bleu débarrassé de tout nuage. Greg marchait, vêtu de ses habits civils en direction du logement de Michael, que les Inutiles appelaient le QG. Il fut bousculé violemment par un type qui courait comme un dératé. En une fraction de seconde, Greg s’était retrouvé au sol sans trop savoir pourquoi, ni comment. Il resta au sol quand les bruits de pas du policier poursuivant se firent entendre. Le flic sauta au-dessus de lui, et continua de courir. Greg observa la scène, et très vite, en détermina les tenants et les aboutissants. Il sourit intérieurement, c’était l’heure pour lui de jouer les héros. Il se concentra, et alors, au loin, il entendit le malfrat éternuer. En quelques secondes, le bandit était pris d’une crise d’éternuements qui lui fit perdre l’équilibre. Encore au sol, il éternuait, et ce, jusqu’à ce que l’officier de police parvint à lui pour lui passer les menottes. « Une bonne chose de faite ! » se dit Greg tout en s’époussetant.

            « Oh salut Greg, lui annonça Michael quand il entra dans le QG.
− Je suis en avance ? demanda Greg tout en scrutant autour de lui, constatant qu’aucun de ses compagnons n’était présent.
− Les autres…ils sont déjà partis patrouiller. Je leur ai demandé de t’attendre mais…je suis désolé Greg – Greg garda le silence, il comprenait que les autres le rejetaient. Michael hésita longuement avant de reprendre la parole – Tu comprends, ils…ils considèrent qu’avec ton départ, tu les as tous rejetés, je crois qu’ils pensent que tu n’es revenu que parce que la Ligue des Inutiles a bonne réputation, maintenant.
− C’est ce que tu penses aussi, non ?
− Non, j’ai toujours cru que tu avais l’étoffe d’un vrai Super-Héros. Tu as toujours voulu le devenir et tu t’es rendu compte que c’est la façon dont tu uses de ton pouvoir et non la nature de celui-ci qui te détermine. Pascal croit aussi en toi. Alors n’abandonne pas, les autres finiront par te faire confiance.
− Peu importe qu’ils croient en moi ou non. L’essentiel c’est qu’on aide les gens autour de nous, non ? Bon, ben puisque je suis là, autant que je ne sois pas venu pour rien. Un petit Street Fighter ? » c’est avec un sourire malaisé que Michael alluma la console.

            « Ca reste un coup moyen je dis, et puis je l’aime bien, moi, Greg, protesta Cuistot, assis à l’arrière du van.
− On n’a pas besoin de lui. J’ai pas envie d’avoir un type aussi peu motivé que lui dans les pattes quand on risque nos vies pour combattre le crime, rétorqua Tear.
− Il est toujours négatif, et puis on n’est pas obligé d’accepter n’importe qui dans la Ligue, ajouta Textil qui était au volant.
− Si ça peut t’aider, dis-toi qu’il n’est pas encore prêt à nous suivre, ajouta Arcimboldo.
− Pascal à l’air de penser qu’il est plus qu’apte, on devrait au moins le mettre à l’épreuve ! Et puis il nous a bien aidé lors du casse de la banque, s’écria Cuistot.
− Mais t’avais qu’à l’attendre au QG, si tu tiens tant que ça à lui ! rugit Tear.
− Lumen, t’en penses quoi ? Tu es silencieuse depuis tout à l’heure, s’enquit Arcimboldo.
− Je ne sais pas. Je n’ai pas plus que vous envie de l’avoir dans mes pattes.
− Ah ! s’écria Tear, satisfait.
− Mais, je me dis…vous vous souvenez quand on a affronté Ondine ? Elle nous tenait, elle était sur le point de nous éliminer. Vous vous rappelez ce qui s’est passé à la fin du combat ?
− Elle a éternué et… − débuta Cuistot avant de se taire, comme s’il venait de se rendre compte de quelque chose – Oh ! Gaëlle, tu crois que…
− Ridicule ! Greg n’est pas du genre à risquer sa vie pour les autres, et il n’a jamais pu nous blairer, grogna Tear.
− C’est vrai que ce détail m’avait frappé aussi. Je m’attendais aussi à voir sa carcasse dans le coin à la fin du combat, observa Textil.
− Ondine se balade en maillot de bain, et barbotte dans de l’eau toute la journée, elle aura uniquement choppé la crève, déclara Arcimboldo.
− Faut qu’on se mette d’accord ! On accepte Atchoum-man parmi nous, ou on le dégage ? rugit Tear.
− Et si on laissait Lumen décider ? proposa Cuistot.
− Pourquoi moi ?
− Tu es le cerveau du groupe, notre stratège et c’est en toi qu’on a tous le plus confiance. Si tu nous dis que Greg est OK, alors on l’inclura dans l’équipe, si tu es contre, on le dégage. » Lumen se sentit au pied du mur. On venait de lui donner une lourde responsabilité. Quelle que soit la décision qu’elle prendrait, elle devrait en assumer toutes les conséquences, seule. Elle voulut protester, mais en vérité, malgré son appréhension, elle se sentait flattée de savoir que les autres la considéraient comme leur leader. Elle demanda à ses comparses trois jours de réflexion qu’ils acceptèrent.

            Quand il se réveilla d’un sommeil sans rêve, Raptor eut l’impression qu’il était en train de flotter dans les airs. Il avait la bouche pâteuse et il se frotta les yeux, frissonnant au vent glacial qui soufflait sur lui. Puis, quand il eut remis ses esprits en place, il poussa un terrible hurlement. Il ETAIT bel et bien en train de flotter dans les airs. On le tenait d’une poigne de fer par le mollet droit. A la lumière du soleil se découpait la silhouette robuste de Kratos. En contrebas, la ville de Paris et son dos hérissé d’immeubles laissant place au cours sinueux de la Seine. Aucun espoir de survie s’il chutait d’une telle hauteur se dit-il alors qu’un petit nuage cotonneux fila sous ses yeux.
            « Alors la belle au bois dormant, on est réveillé ? tonna la voix puissante de Kratos.
− Je ne retournerai pas en prison ! hurla Raptor sans trop savoir pourquoi il avait choisi ces mots-là, précisément.
− Non, tu n’y retourneras pas. Dis-moi Raptor, tu sais dans quelle partie du ciel nous nous trouvons, là ? C’est la Troposphère. C’est ce que tout le monde appelle le Ciel, la partie la plus basse de l’atmosphère. Plus on va monter, et plus tu vas avoir froid. Dis-moi, au fait, tu es un genre de lézard humain, non ? Tu n’as pas le sang froid ? Peu importe. Pour moi je veux dire, parce que pour toi, si je monte de mille mètres, la température va baisser et tes fonctions vitales vont se ralentir. Bref revenons à mon exposé. Moi je peux facilement voler jusque-là sans problèmes car ça ne me ferait ni chaud ni froid au sens propre du terme. Bon là, ça devient intéressant. Après la troposphère vient la… ?
− Laisse-moi descendre !
− C’est cela ! La stratosphère. Là, bonne nouvelle pour toi, plus on monte, plus il fera chaud. Pour faire simple, on sera dans la couche d’ozone. Là aussi, aucun problème. Pour moi je veux dire. J’y vais tranquillement. Ensuite, place à la mésosphère, je m’y suis déjà baladé. Il caille là-haut, mais la vue est superbe et puis c’est là que les météorites se consument. En gros, c’est le bouclier de notre belle planète. Hé, Raptor, ça va ? Tu as l’air gelé ?
− Pitié…siffla Raptor, pour toute réponse Kratos prit encore de l’altitude.
− Attends j’ai pas fini, et puis te fais pas dessus, on est encore à la première strate du ciel. Bon où j’en étais ! Ah oui, donc après la Mésosphère, vient la Thermosphère. Une fois je suis passé par là pour saluer les astronautes de la Station spatiale internationale. C’était cool, j’ai signé des autographes et je leur ai amené des pizzas. Oh bien sûr si on y était allé tous les deux, tu aurais probablement déjà grillé depuis la mésosphère. Enfin vient l’Ionosphère. Y avait cette nana superbe, une météorologiste avec une de ces paires de loches…fascinée par les aurores boréales. Donc j’ai pris une photo d’une aurore vue du dessus. Je peux te dire que j’ai eu une imprenable vue de ses dessous…bref ensuite, c’est l’Exosphère, ce que tout le monde appelle « l’espace ». Je vais te dire un secret. Y a rien de particulier à voir là-bas. J’y suis allé qu’une fois, c’est un peu comme faire de l’apnée pour moi. Faut que je retienne ma respiration. Mais pour toi, ce serait comme te frotter à des déchets radioactifs. Si je t’y emmenais, ne serait-ce qu’une seconde, tu serais blindé de tumeurs. On pourrait appeler ta maladie le SIDA de l’espace, même. Je me demande si je gagnerais un prix Nobel avec ça ? »
            Raptor avait cessé de geindre. Il essayait de savoir si le héros était sérieux dans son numéro de professeur sadique. Kratos était un modèle pour tous, pas le genre à tuer gratuitement. Il devait être en train de bluffer. Oui, il bluffait. Raptor se disait qu’en vérité il ne risquait rien.
            « Je vois que tu t’es calmé, j’entends ton rythme cardiaque. Tu dois croire que je plaisante. Mais ce n’est pas le cas – Kratos s’immobilisa dans les airs, Raptor se rendit compte qu’ils étaient tellement haut dans le ciel que la ville n’était même plus visible – je peux te tuer de nombreuses manières, je peux aussi tuer Sarramauca aussi facilement que je le veux. Je l’entends, elle est dans le treizième, à effrayer un type. Si je veux, je peux la rejoindre et lui enfoncer la tête dans son cul en l’espace de cinq secondes.
− Qu’est-ce que tu me veux enfin ? s’écria d’une voix plaintive Raptor.
− C’est moi qui ai ordonné de vous libérer, les deux dégénérés. Ça veut dire que vous êtes à moi. Marchez droit et tout ira bien pour vos fesses. Tu comprends ?
− Comment te dire non, et je t’emmerde dans la même phrase ? » rétorqua Raptor, rassemblant tout le courage qui lui restait dans cette bravade. Pour toute réponse, Kratos se contenta de le lâcher.
            Le sol se rapprochait à toute vitesse. Raptor tournoya dans le ciel en hurlant. Il sentit qu’il venait d’uriner dans son pantalon. Il supplia, et il pleurait, les larmes brûlant ses globes oculaires. Finalement, il s’arrêta brutalement, Kratos venait de le rattraper.
            « Les carnages à l’aveugle c’est fini, pigé ? A partir de maintenant, tu vas te calmer et tuer qui je t’autoriserai à tuer ! C’est clair ?
− Faut que je me nourrisse ! geint Raptor, tremblant.
− Achètes de la viande en supermarché si tu n’es pas content. Allez, j’imagine que je peux bien fermer les yeux si tu boulottes un clodo ou deux. Mais les frappes au hasard, c’est fini. Capisce ?
− Mais qu’est-ce que tu attends de moi, Kratos ?
− Je veux simplement que tu tues les membres de la Ligue des Inutiles. Alors pour eux, t’as carte blanche. Tu peux les bouffer, les chier et les rebouffer ensuite si ça te chante. Oh et une dernière chose. Si j’apprends que tu as tué quelqu’un d’autre, tu meurs, et si tu parles de notre arrangement, tu meurs aussi c’est compris ?
− Oui…j’ai compris.
− Bon gars, tu pues la pisse, mais tu comprends vite. Maintenant je vais te dégager, je dois donner un cours à Sarramauca aussi. »

            C’est à une vitesse extrême que Kratos balança Raptor dans la première benne à ordure venue. L’homme-dinosaure tremblait de peur, de rage et d’humiliation. La fille de la veille, et maintenant Kratos, il avait l’impression que le monde avait accouché de créatures bien plus effrayantes que lui. Il décida donc de jouer au jeu de Kratos. Il ne savait pas ce qu’était cette Ligue des Inutiles, mais s’il avait l’autorisation de les massacrer, il n’allait certainement pas se priver de cette occasion de se défouler. Alors qu’il s’extrayait de la poubelle, il jeta un coup d’œil vers le ciel. Au loin, la silhouette de Kratos portant le corps malingre et spectral de Sarramauca volait vers le firmament.

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