Gaëlle, comme à son habitude, faisait son jogging
matinal. La nuit avait été froide et une légère bruine rendait l’atmosphère
humide. Cependant, ça ne la dérangeait pas outre mesure. Elle s’était imposée
cette discipline d’acier au moment même où elle avait endossé son rôle de
super-héroïne. Son pouvoir n’étant pas offensif, ni défensif, elle le
considérait comme le plus faible de toute la Ligue, c’est pourquoi elle avait
décidé d’être la plus performante physiquement. Le soleil n’était pas encore
levé, il était cinq heures trente, et les rues étaient calmes. Peut-être un
camion passait-il de temps en temps mais c’était tout. Elle longea l’avenue de
Breteuil, courant sur le gazon fraichement coupé des jardins qui s’étendaient
en son centre. Elle vit alors une silhouette devant elle, qui courait aussi, en
soufflant bruyamment. Piquée de curiosité, elle augmenta la cadence, afin de
voir qui était ce mystérieux compagnon qui était apparu dans l’air matinal.
Elle eut
un sursaut de surprise quand elle reconnut Greg. Elle se rapprocha néanmoins.
Elle n’avait pas oublié qu’on lui avait confié une lourde responsabilité.
Peut-être, se disait-elle, que discuter avec Greg lui permettrait d’être fixée
sur sa décision de l’intégrer auprès de la Ligue ou de l’exclure. Il soufflait,
il était rouge, il n’était visiblement pas à l’aise. Il ne la reconnut pas
quand elle se mit à sa hauteur, et ce, jusqu’à ce qu’elle se manifeste.
« Si
tu veux un conseil, tu devrais inspirer et expirer lentement, pour plus
d’endurance. La respiration joue beaucoup dans tout exercice physique.
− Gah…hé…Ga…ëlle…ha…ça…boume… ?
tenta d’articuler Greg.
− On dirait que tu vas mourir !
− …ha…pas…ourir…la forme…gargl…la
pêche ! le sourire de Greg ressemblait à un rictus de douleur et sa voix
était éraillée et avait tout du souffle arthritique.
− Tu ne devrais pas en faire
trop » déclara simplement Gaëlle avant de l’abandonner en prenant une
soudaine accélération. Regardant par-dessus son épaule, elle vit la silhouette
de Greg, titubant parfois, mais gardant son allure.
C’est
une demi-heure plus tard qu’elle le revit, alors qu’elle faisait ses
étirements. Il venait de la rejoindre, ressemblant plus à un cadavre ambulant
qu’à un sportif en pleine forme. Elle interrompit ses étirements quand il
parvint à sa hauteur. Il était trempé de sueur et, bien qu’il avait la force de
remuer les lèvres, il n’avait plus assez de souffle pour parler. Il tomba au
sol pathétiquement.
« Je
t’avais dit de ne pas en faire trop, lâcha-t-elle sur un ton de reproches. Bon
lèves-toi maintenant, et marche tout en respirant profondément. Tu as un point
de côté ? Appuies dessus en marchant. Voilà respire maintenant. Inspire
profondément…expire. Inspire…expire…
− Ce n’est pas aussi facile que je
pensais…parvint finalement à dire Greg une fois qu’il fut redevenu maître de sa
respiration.
− Il faut connaître tes limites, si tu
les dépasses, tu vas te détruire on ne pourra rien faire de toi.
− J’ignorais que vous envisagiez de
faire quelque chose de moi. Je pensais que j’étais sur la touche. »
Gaëlle le regarda un moment avec surprise. Elle avait
parlé sans réfléchir. Elle ne savait toujours pas ce qu’elle ferait de lui.
Finalement, elle lui proposa d’aller reprendre des forces dans un café non
loin.
Greg se
jeta sur son café, engloutit son jus d’orange et dévora sa tartine comme s’il
revenait d’un voyage dans le désert.
« Pourquoi
tu es revenu, Greg ? demanda finalement Gaëlle. Tu as toujours méprisé les
idées de Michael, et tu étais très dubitatif quant à la création de la Ligue.
Tu es d’un naturel pessimiste et démotivé par tout.
− Quoi tu veux savoir si j’ai des
arrières pensées ? Un truc du genre ? répliqua calmement Greg.
− Oui, rétorqua Gaëlle froidement.
− J’ai mis du temps à ouvrir les yeux.
Je crois que j’ai pris conscience de mon pouvoir. Je sais que vous ne me croyez
pas quand je vous dis que je me suis fritté avec Kratos, peu importe. Ce que je
sais, c’est que ce que j’ai vu en lui ne m’a pas plu. Les héros sont supposés
être des modèles, ils doivent être rassurants. Mais aujourd’hui, ce sont des
starlettes avec des melons énormes, qui ne pensent qu’à leur image et à se
faire leur pub.
− Qu’est ce qui te fait croire qu’on
est différent ? demanda Gaëlle qui se souvint que le groupe avait plus ou
moins abordé la question avec Mike, certains ayant manifesté un intérêt pour
une couverture médiatique.
− Oh ne te méprends pas. Quand je suis
revenu, je me suis dit que je reprendrais ma place auprès de vous. Mais j’ai
compris que vous ne vouliez pas de moi. Je ne compte pas m’imposer.
− Alors pourquoi continuer à venir chez
Mike ? Pourquoi continuer de t’entraîner avec Pascal ? Pourquoi tu te
donnes tant de mal ?
− Rien ne m’interdit de faire cavalier
seul. Vous ne voulez pas de moi, mais ce n’est pas pour ça que je vais
abandonner mon vieux rêve d’être un super-héros.
− Un inutile qui veut combattre le
crime en solo ?
− Si je peux faire la différence, si je
peux aider les gens, et si je peux faire en sorte que les Super-Héros se
rappellent de ce qu’ils sont et de ce qu’ils doivent faire, alors peu m’importe
d’être seul ou accompagné. Avec Mike et Pascal, je peux engranger suffisamment
de force pour peser dans le jeu. » Greg se leva, puis posa le montant de
l’addition sur la table. « C’est pour moi » déclara-t-il. Puis, il
fit quelques pas vers la sortie du café, mais il se retourna une dernière fois
vers Gaëlle « Au fond, que je sois dans votre équipe ou non n’est pas
important, ce qui compte c’est de sauver des gens, tu ne crois
pas ? » il lui adressa alors un gigantesque sourire avant de quitter
les lieux. Gaëlle ne s’attendait pas à ça. Elle fut surprise de voir qu’il
avait changé. A moins qu’il n’ait toujours été comme ça, en vérité : avec
un discours naïf mais sincère, un grand gamin qui se cachait sous un masque
d’adulte cynique et maussade.
Fiona
dormait mieux. Les attaques des criminels que la Conjuration avait libérés
s’étaient calmées. Kratos, juste avant de leur nuit torride la veille, lui
avait affirmé qu’il s’était occupé de tout. Mais elle n’était pas pour autant
tranquille à cent pour cent. C’est en tant que Cassandre qu’elle passa la
journée à donner des oracles aux divers Super-héros qui passaient par là. Mais
elle le faisait sans y penser, et ses conseils et avertissements étaient plus
évasifs qu’habituellement.
« Cassandre,
tu m’écoutes ? Hé Fiona ! tonna la voix de Raijin.
− Quoi ? Excuse-moi je pensais à
autre chose, répondit Cassandre, sans prêter attention au fait que Raijin
l’avait appelée par son prénom.
− Tu as l’air ailleurs. Je peux
repasser, si tu veux ?
− Non tout va bien. Tu recherches
Ondine, c’est ça ? Tu veux savoir si elle va frapper encore une
fois ? Navrée, mais je ne vois rien à son sujet.
− Tu en es sûre ?
− Oui. Il faudra d’ailleurs que tu
m’expliques cette fixation que tu fais sur elle. Tu sais ce qu’en pense
Kratos ?
− Non et je m’en fous. » trancha
net la voix de Raijin. La mention même du nom de Kratos l’énervait. Il
représentait tout ce qu’il n’aimait pas : un super héros qui s’est perdu
en chemin. Raijin commençait à se montrer méfiant vis-à-vis de son collègue. Il
était puissant, très puissant, mais aussi cupide et arrogant. Il ne lui
pardonnait pas l’agression qu’il lui avait fait subir pour avoir aidé la Ligue
des Inutiles. Il fit demi-tour et fit quelques pas vers la sortie du bureau de
Cassandre. Mais il se retourna une dernière fois vers elle.
« Fiona,
tu sais quel est notre rôle, en tant que Super-Héros ? On doit protéger le
monde des menaces qui pèsent sur lui. J’ai appris que Raptor et Sarramauca
s’étaient échappés de prison, et je m’étonnais que le puissant Kratos ne les
ait pas encore mis hors d’état de nuire.
− Ils sont insaisissables, répondit
froidement Cassandre.
− J’imagine que la Conjuration des
Etoiles est sur le coup ?
− Bien sûr, ils mettent tout en œuvre
pour les arrêter, rétorqua du tac au tac Cassandre.
− Bien évidemment − murmura Raijin en
regardant d’un œil un journal posé négligemment sur la table et qui annonçait
la production prochaine d’un film sur Kratos. En première page, le héros, à
Hollywood Boulevard, posait en photo à côté de l’acteur américain qui jouerait
son rôle. – Tu me tiendras au courant si tu as des visions concernant Sarramauca et
Raptor. Je peux compter sur toi ?
− Bien entendu. » lui mentit
Cassandre. Le Super-Héros lui lança un regard mystérieux avant de s’en aller.
« Alors,
ta décision, Lumen ? » demanda Gilles qui était cette fois au volant
du van. Une fois de plus, les Inutiles avaient exclu Greg et étaient partis
patrouiller sans lui. Tous étaient présents, et chacun était pendu aux lèvres
de Gaëlle. Celle-ci les observa tous les uns après les autres. Elle ressentait
une lourde pression. Il y aurait des mécontents, et ce, quelle que soit sa
réponse.
« J’ai
bien réfléchi, et je crois qu’on devrait laisser Greg nous rejoindre,
déclara-t-elle.
− Oh ouais ! Bien joué Lumen, je
savais que tu prendrais la bonne décision ! exulta Mehdi.
− T’es sûr qu’il est fiable ?
demanda Gilles qui n’était clairement pas convaincu.
− Il est motivé. Je crois qu’il est
sincère et qu’on peut compter sur lui.
− Mais tu sais comment utiliser son
pouvoir efficacement ? s’enquit Claire.
− Et puis, il en est où de son
entraînement ? Il pourra tenir la cadence ? ajouta Cédric.
− C’est moins sûr. Mais je pense qu’il
faut l’intégrer quand même. Je vous rappelle qu’on n’est pas des vétérans dans
le domaine du super-héroïsme.
− Alors c’est décidé ! La Ligue
des Inutiles s’agrandit ! Atchoum-man rejoint le gang ! »
s’écria joyeusement Mehdi. Il était le seul à être réellement enthousiaste dans
le véhicule. Personne ne contesta la décision de Lumen, mais celle-ci se
demanda si elle avait fait le bon choix.
Quand il
fut invité à accompagner les autres inutiles pour leur patrouille, Greg crut
qu’il allait sauter de joie. Enfin, ses camarades l’acceptaient parmi eux. Mike
en fut ravi, et Pascal, comme une mère poule, noya Greg sous divers conseils et
autres tuyaux sur le comportement à adopter face au danger. Enfin, il mit son
costume d’Atchoum-man avant de rejoindre ses compagnons dans le van de Michael.
Le
véhicule venait à peine de démarrer que Mike les contacta via la radio. Il y
avait une course-poursuite vers Châtelet entre la police et une bande de
malfrats. Ceux-ci étaient armés et dangereux, et ils s’étaient réfugiés dans
les halles. La situation était explosive, car les bandits étaient acculés et de
ce fait, imprévisibles. La police les avait encerclés, mais n’avait pas pu
évacuer tout le monde.
« Donc
en gros c’est une prise d’otages ? lança Greg.
− Tout juste, on en a déjà déjoué
plusieurs. Toi aussi, si tu te rappelles bien, expliqua Lumen.
− Très bien, alors c’est quoi le
plan ?
− Je vais attirer leur attention avec
mon regard laser pour leur faire croire qu’un sniper les a dans sa ligne de
mire. Avec ça, ils devraient s’écarter de l’entrée. C’est à ce moment que Tear
va utiliser son pouvoir pour les aveugler avec leurs larmes, ce qui permettra à
Arcimboldo et Cuistot de pénétrer sur place.
− Donc à ce moment-là, on les frappe
dans la bouche ! ajouta Cuistot.
− Enfin, Textil utilisera ses pouvoirs
pour les immobiliser avec une camisole de force.
− Pourquoi ne pas leur mettre la
camisole d’entrée de jeu ? demanda Greg.
− C’est plus facile pour moi de
matérialiser un vêtement sur un corps inerte, expliqua Textil.
− D’autres questions ? demanda
Lumen.
− Ouais, je fais quoi, moi ?
s’enquit Atchoum-man.
− Rien. T’as qu’à te considérer comme
un stagiaire » répliqua Gilles. La réponse refroidit un peu la bonne
humeur de Greg.
Mais une
fois sur le terrain, il dut avouer que ses camarades avaient vraiment l’air
cool, en pleine action. Tout s’était déroulé comme Lumen l’avait prévu. Quand
ils avaient débarqué, dans leurs costumes, les flics les avaient regardés comme
s’ils étaient des sauveurs, et ils l’étaient. Lumen avait fait preuve d’un
sang-froid à tout épreuve, et Cuistot et Arcimboldo s’étaient lancé
tranquillement dans la mêlée, sans peur. Greg aurait voulu participer, mais il
s’était tenu à carreau, ce n’était pas le moment de se mettre à dos l’équipe.
Il se sentait un peu exclu, et le fait de les voir en action lui avait donné
envie de se lancer plus que jamais. Il avait quelques idées d’applications pour
ses pouvoirs qu’il mourrait d’envie d’essayer. Les policiers, après avoir
appréhendé les suspects, les applaudirent.
Une
silhouette apparut alors. Greg la reconnut, il l’avait vu aux infos. C’était
Terminacop. Il avait déjà préparé ses armes, et les policiers l’accueillirent
avec de grandes tapes sur l’épaule.
« Hé
Terminacop, c’est gentil d’être venu, mais c’est bon, la Ligue des Inutiles est
arrivée en premier.
− Pas de blessés ? demanda
Terminacop d’une voix froide.
− Non, à part quelques bleus pour les
suspects. »
« Je
n’y crois pas, c’est Terminacop en chair et en os ! Ce mec est tellement
classe ! souffla Cuistot.
− Il nous regarde, il nous
regarde ! s’écria un Arcimboldo excité comme un gamin devant le jouet de
ses rêves un matin de noël.
− Il s’approche ! − Greg se sentait mal
à l’aise en voyant Terminacop s’approcher. Il ne saurait dire pourquoi, mais il
y avait quelque chose de menaçant dans sa démarche – Vous trouvez pas
qu’il a l’air furax ?
− Il porte un casque ! Je ne vois
pas comment tu peux dire s’il est furax ou en train de sourire comme un
idiot » déclara Tear.
Terminacop
les rejoignit et les observa tous des pieds à la tête. Les Inutiles étaient
tous excités de voir face à eux un Super-Héros aussi important et respecté que
Terminacop. Il était un des plus puissants de tous et il était membre de la
Conjuration des Etoiles. Il faisait partie de ceux qui avaient réussi à vaincre
le terrible Gepetto, un Super-Vilain parmi les plus dangereux au monde.
« Beau
boulot, dit d’une voix monocorde Terminacop en serrant la main de Cuistot.
− C’est un honneur, Terminacop !
répondit Cuistot.
− Cela dit, j’espère que vous savez ce
que vous faites, déclara le héros.
− Oui, on a une excellente stratège, en
la personne de Lu…commença Tear.
− Ouais, on sait ce qu’on fait, cracha
Atchoum-man, s’attirant les regards étonnés de tous les autres.
− C’est bien. Tout cela n’a rien d’un
jeu, j’espère juste que vous en êtes conscients ! » répondit
Terminacop qui fut aussi surpris de l’agressivité du Super-Héros en vert.
« T’es
vraiment incroyable Greg ! hurla Tear dans la voiture.
− Tu nous as embarrassés devant
Terminacop en lui parlant comme à un chien, chouina Claire.
− Je t’avoue que je ne comprends pas
non plus pourquoi tu lui as répondu comme ça, ajouta Cuistot.
− J’y ai été suffisamment exposé pour
reconnaître le mépris quand je l’entends. Il avait peut-être un casque sur la
tronche, mais je peux vous dire qu’il avait les boules de nous voir là,
répondit Greg.
− Tu n’en sais rien, rétorqua Tear.
− Il arrive à la bourre et quand Sa
Majesté débarque, vous avez déjà fait le boulot, et vous récoltez les lauriers.
Tu crois qu’il l’a pris comment, lui, le Grand Terminacop, de se faire coiffer
au poteau par des Inutiles ?
− Fermez-là tous ! De toutes les
façons, ce qui s’est passé n’a pas la moindre importance ! » trancha
Lumen qui restait pensive. Elle ne pouvait dire s’il avait raison, mais le
raisonnement de Greg se tenait. Elle se demanda si la Ligue des Inutiles
n’était pas en train d’en déranger quelques uns…
Carton
plein. Il avait tellement tiré sur le vieux mur de briques que celui-ci s’était
effondré. Terminacop avait l’habitude d’exercer ses pouvoirs de tir dans ce
vieux lotissement abandonné du bois de Fontainebleau. Mais il n’était pas là
pour s’entraîner, il était là pour se défouler. Ces sales petits merdeux de la
Ligue des Inutiles l’avaient fait passer pour un branquignole devant ses
anciens collègues, et l’un d’eux s’était même permis de lui parler comme un
petit rien. Il ressassait ces pensées tout en s’acharnant sur les décombres qui
parsemaient son environnement. Il était tellement enragé qu’il en avait chaud.
Il avait retiré son casque, dévoilant ses cheveux blonds et courts, et son
regard bleu injecté de sang à ce moment précis. Une grosse veine battait sur sa
tempe alors qu’autour de lui, tout n’était que détonation. Il transformait ses
doigts en canons de revolvers, puis ses bras en canons et faisait tout
exploser. Finalement, il se calma, respirant bruyamment. Il venait d’affirmer
sa résolution. Sans le moindre doute, il était avec Kratos sur ce coup. Il
allait écraser ces minables, coûte que coûte.
Elle
avait eu peur, elle, Sarramauca qui se nourrissait de la peur en était devenue
une victime. Tout ça à cause de Kratos. Elle s’était dissimulée dans les
catacombes. Peu lui importaient les Inutiles dont il avait parlé. Elle avait
décidé de se faire discrète, et un jour, oui, un jour elle se vengerait de
Kratos, elle lui chanterait une douce chanson, et de sa voix, elle fera éclore
les plus intimes des peurs du Super-Héros. Et alors qu’il entonnerait un
concert de hurlements de terreur, elle le dévorerait, lui et ses peurs, jusqu’à
ce qu’il n’en reste rien. Et alors, ses cheveux blanchiraient, et son cœur
cesserait de battre, et il serait figé dans cette expression horrifiée qui
rendait selon elle, les gens plus beaux. Elle serait patiente, Sarramauca. Oh
oui, elle serait patiente et silencieuse. Elle attendrait le moment idéal pour
sortir de sa cachette. Alors là, tout le monde entendrait sa voix, et chacun la
nourrirait de cette délicieuse peur. Supers, Inutiles, Normaux, chacun lui servirait
sur un plateau d’argent sa peur la plus intime. Elle souriait quand elle
remuait ces idées dans son esprit. Elle avait hâte d’en arriver au moment où
elle sortirait de ces catacombes. Mais pour le moment, elle allait se contenter
des petites peurs primales des rats, comme en prison. Pour le moment, elle
allait simplement hanter les catacombes, en fredonnant…
Comme à
son habitude, toute les semaines, Cédric enfilait son costume d’Arcimboldo et
allait aux alentours du canal St Martin. Là-bas, se réunissaient des sans-abris
qui attendaient ces mercredis avec impatience. Depuis qu’il était devenu
Arcimboldo, c’était la première chose à laquelle avait pensé Cédric : il
utilisait ses pouvoirs pour distribuer des fruits à ces gens qui n’avaient rien.
Rien ne l’en empêchait, puisqu’il pouvait créer ces fruits à volonté, que cela
ne semblait piocher dans aucune des ressources de son corps puisqu’il
n’éprouvait, ni fatigue ni douleur en utilisant ce pouvoir.
Il se
voyait comme une corne d’abondance, et bien qu’il utilisait ce pouvoir pour se
battre contre des ennemis, il trouvait qu’il était surtout fait pour assurer le
bien-être de son prochain. C’était toujours avec joie que les SDF le voyaient
arriver et repartaient les bras chargés de délicieux fruits bien mûrs. Parmi
ces sans-abris, il y en avait un avec qui Cédric aimait discuter : Andy,
un vieux de la vieille. Il avait passé une dizaine d’années dans la rue, il en
avait vu des choses.
« T’es
vraiment un gars bien.
− Pour un inutile ? le taquina
Arcimboldo.
− Un Inutile ? Regarde autour de
toi, mon gars. Regarde ces gens, pour eux, tu es plus important que des mecs
comme Kratos ou je ne sais pas quel autre pingouin qui frappe sur les autres
déguisé en Drag-Queen.
− C’est gentil, je crois. Mais j’ai toujours
l’impression que ce n’est pas suffisant. Et puis, les autres Super-Héros,
sauvent le monde, moi je donne des fruits.
− Et ça veut dire quoi, sauver le
monde ? Je suis le monde, ces gens sont le monde, et toi t’es là pour
nous. A mes yeux, tu n’es pas un Inutile, mon gars, au contraire, t’es le plus
grand Super-Héros de tout le vaste monde. »
Arcimboldo
avait beaucoup de mal à voir ce que sa distribution de fruits avait de si
exceptionnel, mais tant que cela permettait à des gens désœuvrés de se nourrir,
cela lui suffisait. Il restait en général deux ou trois heures à discuter avec
les SDF, après leur avoir donné de quoi manger. Puis il repartait, et rentrait
chez lui. Il ne parlait à personne de ses expéditions du mercredi soir, et
regrettait de ne pas pouvoir passer tous les soirs.
Les mots d’Andy tournaient souvent
dans sa tête quand il était seul. Il repensait aussi à ce qu’avait dit
Atchoum-man sur le mépris qu’il avait cru déceler chez Terminacop. Et alors,
comme s’il répondait à des doutes qui restaient enfouis en lui malgré les
exploits qu’il avait pu accomplir avec la Ligue, il se disait :
« être un Inutile, ça n’existe pas. »
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