lundi 15 février 2016

Chapitre 10

Gaëlle, comme à son habitude, faisait son jogging matinal. La nuit avait été froide et une légère bruine rendait l’atmosphère humide. Cependant, ça ne la dérangeait pas outre mesure. Elle s’était imposée cette discipline d’acier au moment même où elle avait endossé son rôle de super-héroïne. Son pouvoir n’étant pas offensif, ni défensif, elle le considérait comme le plus faible de toute la Ligue, c’est pourquoi elle avait décidé d’être la plus performante physiquement. Le soleil n’était pas encore levé, il était cinq heures trente, et les rues étaient calmes. Peut-être un camion passait-il de temps en temps mais c’était tout. Elle longea l’avenue de Breteuil, courant sur le gazon fraichement coupé des jardins qui s’étendaient en son centre. Elle vit alors une silhouette devant elle, qui courait aussi, en soufflant bruyamment. Piquée de curiosité, elle augmenta la cadence, afin de voir qui était ce mystérieux compagnon qui était apparu dans l’air matinal.

            Elle eut un sursaut de surprise quand elle reconnut Greg. Elle se rapprocha néanmoins. Elle n’avait pas oublié qu’on lui avait confié une lourde responsabilité. Peut-être, se disait-elle, que discuter avec Greg lui permettrait d’être fixée sur sa décision de l’intégrer auprès de la Ligue ou de l’exclure. Il soufflait, il était rouge, il n’était visiblement pas à l’aise. Il ne la reconnut pas quand elle se mit à sa hauteur, et ce, jusqu’à ce qu’elle se manifeste.

          « Si tu veux un conseil, tu devrais inspirer et expirer lentement, pour plus d’endurance. La respiration joue beaucoup dans tout exercice physique.
− Gah…hé…Ga…ëlle…ha…ça…boume… ? tenta d’articuler Greg.
− On dirait que tu vas mourir !
− …ha…pas…ourir…la forme…gargl…la pêche ! le sourire de Greg ressemblait à un rictus de douleur et sa voix était éraillée et avait tout du souffle arthritique.
− Tu ne devrais pas en faire trop » déclara simplement Gaëlle avant de l’abandonner en prenant une soudaine accélération. Regardant par-dessus son épaule, elle vit la silhouette de Greg, titubant parfois, mais gardant son allure.
            C’est une demi-heure plus tard qu’elle le revit, alors qu’elle faisait ses étirements. Il venait de la rejoindre, ressemblant plus à un cadavre ambulant qu’à un sportif en pleine forme. Elle interrompit ses étirements quand il parvint à sa hauteur. Il était trempé de sueur et, bien qu’il avait la force de remuer les lèvres, il n’avait plus assez de souffle pour parler. Il tomba au sol pathétiquement.
            « Je t’avais dit de ne pas en faire trop, lâcha-t-elle sur un ton de reproches. Bon lèves-toi maintenant, et marche tout en respirant profondément. Tu as un point de côté ? Appuies dessus en marchant. Voilà respire maintenant. Inspire profondément…expire. Inspire…expire…
− Ce n’est pas aussi facile que je pensais…parvint finalement à dire Greg une fois qu’il fut redevenu maître de sa respiration.
− Il faut connaître tes limites, si tu les dépasses, tu vas te détruire on ne pourra rien faire de toi.
− J’ignorais que vous envisagiez de faire quelque chose de moi. Je pensais que j’étais sur la touche. »
Gaëlle le regarda un moment avec surprise. Elle avait parlé sans réfléchir. Elle ne savait toujours pas ce qu’elle ferait de lui. Finalement, elle lui proposa d’aller reprendre des forces dans un café non loin.

            Greg se jeta sur son café, engloutit son jus d’orange et dévora sa tartine comme s’il revenait d’un voyage dans le désert.
            « Pourquoi tu es revenu, Greg ? demanda finalement Gaëlle. Tu as toujours méprisé les idées de Michael, et tu étais très dubitatif quant à la création de la Ligue. Tu es d’un naturel pessimiste et démotivé par tout.
− Quoi tu veux savoir si j’ai des arrières pensées ? Un truc du genre ? répliqua calmement Greg.
− Oui, rétorqua Gaëlle froidement.
− J’ai mis du temps à ouvrir les yeux. Je crois que j’ai pris conscience de mon pouvoir. Je sais que vous ne me croyez pas quand je vous dis que je me suis fritté avec Kratos, peu importe. Ce que je sais, c’est que ce que j’ai vu en lui ne m’a pas plu. Les héros sont supposés être des modèles, ils doivent être rassurants. Mais aujourd’hui, ce sont des starlettes avec des melons énormes, qui ne pensent qu’à leur image et à se faire leur pub.
− Qu’est ce qui te fait croire qu’on est différent ? demanda Gaëlle qui se souvint que le groupe avait plus ou moins abordé la question avec Mike, certains ayant manifesté un intérêt pour une couverture médiatique.
− Oh ne te méprends pas. Quand je suis revenu, je me suis dit que je reprendrais ma place auprès de vous. Mais j’ai compris que vous ne vouliez pas de moi. Je ne compte pas m’imposer.
− Alors pourquoi continuer à venir chez Mike ? Pourquoi continuer de t’entraîner avec Pascal ? Pourquoi tu te donnes tant de mal ?
− Rien ne m’interdit de faire cavalier seul. Vous ne voulez pas de moi, mais ce n’est pas pour ça que je vais abandonner mon vieux rêve d’être un super-héros.
− Un inutile qui veut combattre le crime en solo ?
− Si je peux faire la différence, si je peux aider les gens, et si je peux faire en sorte que les Super-Héros se rappellent de ce qu’ils sont et de ce qu’ils doivent faire, alors peu m’importe d’être seul ou accompagné. Avec Mike et Pascal, je peux engranger suffisamment de force pour peser dans le jeu. » Greg se leva, puis posa le montant de l’addition sur la table. « C’est pour moi » déclara-t-il. Puis, il fit quelques pas vers la sortie du café, mais il se retourna une dernière fois vers Gaëlle « Au fond, que je sois dans votre équipe ou non n’est pas important, ce qui compte c’est de sauver des gens, tu ne crois pas ? » il lui adressa alors un gigantesque sourire avant de quitter les lieux. Gaëlle ne s’attendait pas à ça. Elle fut surprise de voir qu’il avait changé. A moins qu’il n’ait toujours été comme ça, en vérité : avec un discours naïf mais sincère, un grand gamin qui se cachait sous un masque d’adulte cynique et maussade.

            Fiona dormait mieux. Les attaques des criminels que la Conjuration avait libérés s’étaient calmées. Kratos, juste avant de leur nuit torride la veille, lui avait affirmé qu’il s’était occupé de tout. Mais elle n’était pas pour autant tranquille à cent pour cent. C’est en tant que Cassandre qu’elle passa la journée à donner des oracles aux divers Super-héros qui passaient par là. Mais elle le faisait sans y penser, et ses conseils et avertissements étaient plus évasifs qu’habituellement.
            « Cassandre, tu m’écoutes ? Hé Fiona ! tonna la voix de Raijin.
− Quoi ? Excuse-moi je pensais à autre chose, répondit Cassandre, sans prêter attention au fait que Raijin l’avait appelée par son prénom.
− Tu as l’air ailleurs. Je peux repasser, si tu veux ?
− Non tout va bien. Tu recherches Ondine, c’est ça ? Tu veux savoir si elle va frapper encore une fois ? Navrée, mais je ne vois rien à son sujet.
− Tu en es sûre ?
− Oui. Il faudra d’ailleurs que tu m’expliques cette fixation que tu fais sur elle. Tu sais ce qu’en pense Kratos ?
− Non et je m’en fous. » trancha net la voix de Raijin. La mention même du nom de Kratos l’énervait. Il représentait tout ce qu’il n’aimait pas : un super héros qui s’est perdu en chemin. Raijin commençait à se montrer méfiant vis-à-vis de son collègue. Il était puissant, très puissant, mais aussi cupide et arrogant. Il ne lui pardonnait pas l’agression qu’il lui avait fait subir pour avoir aidé la Ligue des Inutiles. Il fit demi-tour et fit quelques pas vers la sortie du bureau de Cassandre. Mais il se retourna une dernière fois vers elle.
            « Fiona, tu sais quel est notre rôle, en tant que Super-Héros ? On doit protéger le monde des menaces qui pèsent sur lui. J’ai appris que Raptor et Sarramauca s’étaient échappés de prison, et je m’étonnais que le puissant Kratos ne les ait pas encore mis hors d’état de nuire.
− Ils sont insaisissables, répondit froidement Cassandre.
− J’imagine que la Conjuration des Etoiles est sur le coup ?
− Bien sûr, ils mettent tout en œuvre pour les arrêter, rétorqua du tac au tac Cassandre.
− Bien évidemment − murmura Raijin en regardant d’un œil un journal posé négligemment sur la table et qui annonçait la production prochaine d’un film sur Kratos. En première page, le héros, à Hollywood Boulevard, posait en photo à côté de l’acteur américain qui jouerait son rôle. – Tu me tiendras au courant si tu as des visions concernant Sarramauca et Raptor. Je peux compter sur toi ?
− Bien entendu. » lui mentit Cassandre. Le Super-Héros lui lança un regard mystérieux avant de s’en aller.
            « Alors, ta décision, Lumen ? » demanda Gilles qui était cette fois au volant du van. Une fois de plus, les Inutiles avaient exclu Greg et étaient partis patrouiller sans lui. Tous étaient présents, et chacun était pendu aux lèvres de Gaëlle. Celle-ci les observa tous les uns après les autres. Elle ressentait une lourde pression. Il y aurait des mécontents, et ce, quelle que soit sa réponse.
            « J’ai bien réfléchi, et je crois qu’on devrait laisser Greg nous rejoindre, déclara-t-elle.
− Oh ouais ! Bien joué Lumen, je savais que tu prendrais la bonne décision ! exulta Mehdi.
− T’es sûr qu’il est fiable ? demanda Gilles qui n’était clairement pas convaincu.
− Il est motivé. Je crois qu’il est sincère et qu’on peut compter sur lui.
− Mais tu sais comment utiliser son pouvoir efficacement ? s’enquit Claire.
− Et puis, il en est où de son entraînement ? Il pourra tenir la cadence ? ajouta Cédric.
− C’est moins sûr. Mais je pense qu’il faut l’intégrer quand même. Je vous rappelle qu’on n’est pas des vétérans dans le domaine du super-héroïsme.
− Alors c’est décidé ! La Ligue des Inutiles s’agrandit ! Atchoum-man rejoint le gang ! » s’écria joyeusement Mehdi. Il était le seul à être réellement enthousiaste dans le véhicule. Personne ne contesta la décision de Lumen, mais celle-ci se demanda si elle avait fait le bon choix. 

            Quand il fut invité à accompagner les autres inutiles pour leur patrouille, Greg crut qu’il allait sauter de joie. Enfin, ses camarades l’acceptaient parmi eux. Mike en fut ravi, et Pascal, comme une mère poule, noya Greg sous divers conseils et autres tuyaux sur le comportement à adopter face au danger. Enfin, il mit son costume d’Atchoum-man avant de rejoindre ses compagnons dans le van de Michael.
            Le véhicule venait à peine de démarrer que Mike les contacta via la radio. Il y avait une course-poursuite vers Châtelet entre la police et une bande de malfrats. Ceux-ci étaient armés et dangereux, et ils s’étaient réfugiés dans les halles. La situation était explosive, car les bandits étaient acculés et de ce fait, imprévisibles. La police les avait encerclés, mais n’avait pas pu évacuer tout le monde.
            « Donc en gros c’est une prise d’otages ? lança Greg.
− Tout juste, on en a déjà déjoué plusieurs. Toi aussi, si tu te rappelles bien, expliqua Lumen.
− Très bien, alors c’est quoi le plan ?
− Je vais attirer leur attention avec mon regard laser pour leur faire croire qu’un sniper les a dans sa ligne de mire. Avec ça, ils devraient s’écarter de l’entrée. C’est à ce moment que Tear va utiliser son pouvoir pour les aveugler avec leurs larmes, ce qui permettra à Arcimboldo et Cuistot de pénétrer sur place.
− Donc à ce moment-là, on les frappe dans la bouche ! ajouta Cuistot.
− Enfin, Textil utilisera ses pouvoirs pour les immobiliser avec une camisole de force.
− Pourquoi ne pas leur mettre la camisole d’entrée de jeu ? demanda Greg.
− C’est plus facile pour moi de matérialiser un vêtement sur un corps inerte, expliqua Textil.
− D’autres questions ? demanda Lumen.
− Ouais, je fais quoi, moi ? s’enquit Atchoum-man.
− Rien. T’as qu’à te considérer comme un stagiaire » répliqua Gilles. La réponse refroidit un peu la bonne humeur de Greg.

            Mais une fois sur le terrain, il dut avouer que ses camarades avaient vraiment l’air cool, en pleine action. Tout s’était déroulé comme Lumen l’avait prévu. Quand ils avaient débarqué, dans leurs costumes, les flics les avaient regardés comme s’ils étaient des sauveurs, et ils l’étaient. Lumen avait fait preuve d’un sang-froid à tout épreuve, et Cuistot et Arcimboldo s’étaient lancé tranquillement dans la mêlée, sans peur. Greg aurait voulu participer, mais il s’était tenu à carreau, ce n’était pas le moment de se mettre à dos l’équipe. Il se sentait un peu exclu, et le fait de les voir en action lui avait donné envie de se lancer plus que jamais. Il avait quelques idées d’applications pour ses pouvoirs qu’il mourrait d’envie d’essayer. Les policiers, après avoir appréhendé les suspects, les applaudirent.
       Une silhouette apparut alors. Greg la reconnut, il l’avait vu aux infos. C’était Terminacop. Il avait déjà préparé ses armes, et les policiers l’accueillirent avec de grandes tapes sur l’épaule.
            « Hé Terminacop, c’est gentil d’être venu, mais c’est bon, la Ligue des Inutiles est arrivée en premier.
− Pas de blessés ? demanda Terminacop d’une voix froide.
− Non, à part quelques bleus pour les suspects. »
            « Je n’y crois pas, c’est Terminacop en chair et en os ! Ce mec est tellement classe ! souffla Cuistot.
− Il nous regarde, il nous regarde ! s’écria un Arcimboldo excité comme un gamin devant le jouet de ses rêves un matin de noël.
− Il s’approche ! − Greg se sentait mal à l’aise en voyant Terminacop s’approcher. Il ne saurait dire pourquoi, mais il y avait quelque chose de menaçant dans sa démarche – Vous trouvez pas qu’il a l’air furax ?
− Il porte un casque ! Je ne vois pas comment tu peux dire s’il est furax ou en train de sourire comme un idiot » déclara Tear.
            Terminacop les rejoignit et les observa tous des pieds à la tête. Les Inutiles étaient tous excités de voir face à eux un Super-Héros aussi important et respecté que Terminacop. Il était un des plus puissants de tous et il était membre de la Conjuration des Etoiles. Il faisait partie de ceux qui avaient réussi à vaincre le terrible Gepetto, un Super-Vilain parmi les plus dangereux au monde.
            « Beau boulot, dit d’une voix monocorde Terminacop en serrant la main de Cuistot.
− C’est un honneur, Terminacop ! répondit Cuistot.
− Cela dit, j’espère que vous savez ce que vous faites, déclara le héros.
− Oui, on a une excellente stratège, en la personne de Lu…commença Tear.
− Ouais, on sait ce qu’on fait, cracha Atchoum-man, s’attirant les regards étonnés de tous les autres.
− C’est bien. Tout cela n’a rien d’un jeu, j’espère juste que vous en êtes conscients ! » répondit Terminacop qui fut aussi surpris de l’agressivité du Super-Héros en vert.

            « T’es vraiment incroyable Greg ! hurla Tear dans la voiture.
− Tu nous as embarrassés devant Terminacop en lui parlant comme à un chien, chouina Claire.
− Je t’avoue que je ne comprends pas non plus pourquoi tu lui as répondu comme ça, ajouta Cuistot.
− J’y ai été suffisamment exposé pour reconnaître le mépris quand je l’entends. Il avait peut-être un casque sur la tronche, mais je peux vous dire qu’il avait les boules de nous voir là, répondit Greg.
− Tu n’en sais rien, rétorqua Tear.
− Il arrive à la bourre et quand Sa Majesté débarque, vous avez déjà fait le boulot, et vous récoltez les lauriers. Tu crois qu’il l’a pris comment, lui, le Grand Terminacop, de se faire coiffer au poteau par des Inutiles ?
− Fermez-là tous ! De toutes les façons, ce qui s’est passé n’a pas la moindre importance ! » trancha Lumen qui restait pensive. Elle ne pouvait dire s’il avait raison, mais le raisonnement de Greg se tenait. Elle se demanda si la Ligue des Inutiles n’était pas en train d’en déranger quelques uns…

            Carton plein. Il avait tellement tiré sur le vieux mur de briques que celui-ci s’était effondré. Terminacop avait l’habitude d’exercer ses pouvoirs de tir dans ce vieux lotissement abandonné du bois de Fontainebleau. Mais il n’était pas là pour s’entraîner, il était là pour se défouler. Ces sales petits merdeux de la Ligue des Inutiles l’avaient fait passer pour un branquignole devant ses anciens collègues, et l’un d’eux s’était même permis de lui parler comme un petit rien. Il ressassait ces pensées tout en s’acharnant sur les décombres qui parsemaient son environnement. Il était tellement enragé qu’il en avait chaud. Il avait retiré son casque, dévoilant ses cheveux blonds et courts, et son regard bleu injecté de sang à ce moment précis. Une grosse veine battait sur sa tempe alors qu’autour de lui, tout n’était que détonation. Il transformait ses doigts en canons de revolvers, puis ses bras en canons et faisait tout exploser. Finalement, il se calma, respirant bruyamment. Il venait d’affirmer sa résolution. Sans le moindre doute, il était avec Kratos sur ce coup. Il allait écraser ces minables, coûte que coûte.

            Elle avait eu peur, elle, Sarramauca qui se nourrissait de la peur en était devenue une victime. Tout ça à cause de Kratos. Elle s’était dissimulée dans les catacombes. Peu lui importaient les Inutiles dont il avait parlé. Elle avait décidé de se faire discrète, et un jour, oui, un jour elle se vengerait de Kratos, elle lui chanterait une douce chanson, et de sa voix, elle fera éclore les plus intimes des peurs du Super-Héros. Et alors qu’il entonnerait un concert de hurlements de terreur, elle le dévorerait, lui et ses peurs, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Et alors, ses cheveux blanchiraient, et son cœur cesserait de battre, et il serait figé dans cette expression horrifiée qui rendait selon elle, les gens plus beaux. Elle serait patiente, Sarramauca. Oh oui, elle serait patiente et silencieuse. Elle attendrait le moment idéal pour sortir de sa cachette. Alors là, tout le monde entendrait sa voix, et chacun la nourrirait de cette délicieuse peur. Supers, Inutiles, Normaux, chacun lui servirait sur un plateau d’argent sa peur la plus intime. Elle souriait quand elle remuait ces idées dans son esprit. Elle avait hâte d’en arriver au moment où elle sortirait de ces catacombes. Mais pour le moment, elle allait se contenter des petites peurs primales des rats, comme en prison. Pour le moment, elle allait simplement hanter les catacombes, en fredonnant…

          Comme à son habitude, toute les semaines, Cédric enfilait son costume d’Arcimboldo et allait aux alentours du canal St Martin. Là-bas, se réunissaient des sans-abris qui attendaient ces mercredis avec impatience. Depuis qu’il était devenu Arcimboldo, c’était la première chose à laquelle avait pensé Cédric : il utilisait ses pouvoirs pour distribuer des fruits à ces gens qui n’avaient rien. Rien ne l’en empêchait, puisqu’il pouvait créer ces fruits à volonté, que cela ne semblait piocher dans aucune des ressources de son corps puisqu’il n’éprouvait, ni fatigue ni douleur en utilisant ce pouvoir.
         Il se voyait comme une corne d’abondance, et bien qu’il utilisait ce pouvoir pour se battre contre des ennemis, il trouvait qu’il était surtout fait pour assurer le bien-être de son prochain. C’était toujours avec joie que les SDF le voyaient arriver et repartaient les bras chargés de délicieux fruits bien mûrs. Parmi ces sans-abris, il y en avait un avec qui Cédric aimait discuter : Andy, un vieux de la vieille. Il avait passé une dizaine d’années dans la rue, il en avait vu des choses.
            « T’es vraiment un gars bien.
− Pour un inutile ? le taquina Arcimboldo.
− Un Inutile ? Regarde autour de toi, mon gars. Regarde ces gens, pour eux, tu es plus important que des mecs comme Kratos ou je ne sais pas quel autre pingouin qui frappe sur les autres déguisé en Drag-Queen.
− C’est gentil, je crois. Mais j’ai toujours l’impression que ce n’est pas suffisant. Et puis, les autres Super-Héros, sauvent le monde, moi je donne des fruits.
− Et ça veut dire quoi, sauver le monde ? Je suis le monde, ces gens sont le monde, et toi t’es là pour nous. A mes yeux, tu n’es pas un Inutile, mon gars, au contraire, t’es le plus grand Super-Héros de tout le vaste monde. »
            Arcimboldo avait beaucoup de mal à voir ce que sa distribution de fruits avait de si exceptionnel, mais tant que cela permettait à des gens désœuvrés de se nourrir, cela lui suffisait. Il restait en général deux ou trois heures à discuter avec les SDF, après leur avoir donné de quoi manger. Puis il repartait, et rentrait chez lui. Il ne parlait à personne de ses expéditions du mercredi soir, et regrettait de ne pas pouvoir passer tous les soirs.


Les mots d’Andy tournaient souvent dans sa tête quand il était seul. Il repensait aussi à ce qu’avait dit Atchoum-man sur le mépris qu’il avait cru déceler chez Terminacop. Et alors, comme s’il répondait à des doutes qui restaient enfouis en lui malgré les exploits qu’il avait pu accomplir avec la Ligue, il se disait : « être un Inutile, ça n’existe pas. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire