lundi 27 juin 2016

Chapitre 29

            Sarramauca errait. Elle n’avait pas de logement, alors, elle continuait de se cacher dans les catacombes de la ville. Mais si avant elle s’y dissimulait pour échapper à Kratos, à présent, elle s’y cachait pour ne plus faire de mal à qui que ce soit. D’ailleurs, elle avait de moins en moins peur de Kratos. Il pouvait bien venir, elle serait prête à le recevoir. Elle dut garder ces résolutions bien en mémoire le jour où Kratos apparut dans son repaire. Il semblait l’y attendre, dissimulé dans l’ombre.
            « J’ai l’adresse de la Ligue des Inutiles…pas trop tôt, quand on voit à quel point tu travailles lentement…
− Dégage d’ici Kratos. Je ne suis pas à ton service ! répondit Sarramauca.
− Tiens, y a quelque chose qui a changé chez toi…ta voix…on dirait presque une vraie voix de femme…et sur ton visage…du rouge à lèvres ? » Kratos éclata de rire. 

            Il se précipita sur Sarramauca et la prit par la gorge. Puis il observa son visage de près. Son regard s’illumina, tandis que Sarramauca, étourdie par le choc et la brutalité de Kratos, détournait les yeux.
            « C’est vrai que quand tu t’arranges un peu, tu peux être baisable…un peu de bronzage pour ton teint de cadavre, du rouge à lèvres pour dissimuler ta bouche tordue, et rien à faire de plus pour tes jolis yeux…ça alors…le petit monstre difforme cachait une princesse…
− Lâche-moi… souffla Sarramauca. Kratos la jeta par terre.
− Voilà l’endroit où se réunissent les minables de la Ligue des Inutiles. Tu vas y aller et les tuer. Et que ça saute, déclara-t-il en lui jetant un bout de papier sur lequel était inscrit l’adresse de Michael Perséphone.
− Va chier ! » répondit Sarramauca en jetant l’adresse au loin.
            Kratos l’observa longuement. Puis il lui colla une gifle, qui fut suffisamment violente pour la choquer. Du sang coula de la lèvre de Sarramauca.
            « Je ne t’ai pas demandé ton avis, je t’ai donné un ordre. Tu vas finir ce que tu avais commencé.
−  Non !
− Je pourrais te tuer, tu sais… »
            La menace résonna dans l’esprit de Sarramauca. Oui Kratos pourrait la tuer. Et peu de gens la regretteraient, Mehdi probablement serait le seul. Elle pouvait parfaitement mourir à l’insu de tous, Kratos serait impuni, peut-être même le féliciterait-on. Elle ne voulait pas mourir, bien sûr, elle était mue par un instinct de survie. Mais malgré cela, elle ne voulait pas que du mal soit fait à Mehdi. La mort lui paraissait être un sort moins cruel. « Tue moi dans ce cas. Parce que je ne ferai rien contre la Ligue des Inutiles » cracha-t-elle. Kratos la regarda avec étonnement. Manifestement il ne s’attendait pas à ce que sa menace soit sans effet. Il se mit à tourner autour d’elle comme un prédateur autour de sa proie, l’examinant de près.
            « Toi, ma chère Sarramauca, tu me caches quelque chose. Serait-il possible ? Non…c’est impossible…mais si, tu es en train de t’épanouir, tu es…tu t’es faite un ami ? Non…tu es tombé amoureuse ! s’exclama Kratos d’un air théâtral.
− Ca ne te regarde pas ! se contenta-t-elle de répondre.
− Ce n’est pas vrai ! J’ai tapé dans le mille ! Ne me dis pas que c’est Atchoum-man ? Non…il est occupé à s’imaginer pouvoir me voler Cassandre…alors à part lui…tu as rencontré le Cuistot, c’est ça ? – Sarramauca garda le silence, elle répugnait à échanger des paroles avec Kratos – Et il le sait ? Je veux dire, tu ne le dégoûtes pas ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que tu sais surprendre ! 
− Ris, mais tu peux trouver quelqu’un d’autre pour faire ta sale besogne !
− Oh non, Sarramauca, tu vas faire ce que je te demande ! Les copains de ton mec le Cuistot, là, ils commencent sérieusement à me gonfler vois-tu ? Je les veux morts. Et je commence à perdre patience. Tu vois, je me demande même si ce ne serait pas plus simple de faire le boulot moi-même. Incognito. Tu vois je sais où les trouver, du coup leur tomber dessus discrètement ce sera très simple pour moi. Et crois-moi, Sarramauca, je serai bien plus brutal que toi !
− Non Kratos…je ne peux pas faire ça !
− Tu sais, je n’ai jamais frappé quelqu’un avec ma puissance maximale. Parce que je peux couper un train en deux avec un coup de poing. Tu imagines, si je me défoulais sur ton pote le Cuistot ? Je pourrais le transformer en viande hachée !
− Si tu lui fais du mal…
− Dans ce cas, écoute ce que je te propose Sarramauca. Tu fais ce que je dis, et tu auras le droit de laisser ton Cuistot vivre. Tout ce que tu auras à faire, ce sera de tuer les autres. Un Inutile de plus ou de moins, ça m’est égal. Allez, est-ce que ce n’est pas généreux ?
− Il…il va me haïr si je fais ça !
− C’est plutôt une bonne chose, non ? S’il peut te haïr, ça veut dire qu’il est vivant !
− Je…Sarramauca était au comble du désespoir.
− Je te donne une semaine, parce que je suis vraiment ultra généreux aujourd’hui. Si tu n’as rien fait, alors je me chargerai de toute la Ligue. Toute, tu m’entends ? »
            Kratos la regarda longuement, comme s’il attendait quelque chose. Sarramauca se rendit compte qu’elle tremblait de tous ses membres. Elle regarda au sol et vit le morceau de papier que Kratos lui avait lancé plus tôt. Elle le ramassa et le déplia, lisant l’adresse plusieurs fois de suite.
            « Je…je t’entends… » souffla-t-elle d’une voix faible et éteinte. Kratos acquiesça et s’envola vers la sortie des catacombes, laissant seule Sarramauca. Celle-ci tenait encore dans sa main le morceau de papier. Elle s’adossa à un mur puis se laissa tomber. Et, prise d’un profond désespoir, elle se mit à pleurer toutes les larmes de son corps.

            La Conjuration des Etoiles tenait une réunion extraordinaire, Kratos ayant demandé à ses compagnons de venir afin de leur faire un petit débriefing de leur plan. Terminacop, Gravitas et Cassandre répondirent présent.
            « Et bien, j’espère qu’au terme de cette réunion, aucun d’entre vous n’aura l’idée de quitter la Conjuration, c’est devenu une tendance en vogue en ce moment – déclara Kratos en préambule – Je vous ai fait réunir pour vous annoncer qu’hier, j’ai donné un ultimatum à Sarramauca, à qui j’ai donné l’adresse de la Ligue des Inutiles. On doit ce formidable progrès à Cassandre. Dans une semaine au plus tard, Sarramauca nous débarrassera de ces faux héros.
− Est-ce qu’elle pourra vraiment le faire ? Il ne faut pas oublier que la Ligue des Inutiles prend de plus en plus d’ampleur ! Ils ont vaincu Raptor, et ils commencent à bouffer des super-criminels au petit déjeuner, objecta Terminacop.
− Et puis il y’en a une dans leur Ligue qui a évolué ! Je ne sais même pas si on peut toujours parler d’Inutile à son sujet, ajouta Gravitas.
− Sarramauca n’est pas du genre à se jeter au combat. Elle se ferait dégommer en moins de deux. En revanche, si elle est mauvaise combattante, elle n’en reste pas moins un assassin efficace. Elle fera le job, expliqua Kratos d’un ton rassurant.
− Bon super, et pourquoi tu nous as demandé de nous réunir ? demanda Gravitas.
− Il semblerait que La Ligue des Inutiles soit liée à Michael Perséphone. Il est possible même qu’il soit à l’initiative du projet.
− Quoi ? Mais ça change la donne ! s’exclama Terminacop.
− Pas forcément !
− Tu sais très bien de quoi il est capable, Kratos. Si ça se trouve, tout ce plan sera vain !
− On sait de quoi il est capable, mais on sait aussi qu’il n’en fait rien !
− Kratos, là ça va trop loin. On est en train de se battre contre des moulins à vent ! Toute cette machination est inutile ! Maintenant qu’on sait que l’autre abomination est peut-être de la partie, je dis qu’on devrait laisser tomber, et faire de la place ! s’exclama Gravitas.
− Gravitas. Tu as bien signé ce contrat plus que juteux pour cette série de documentaires à ta gloire, non ? Et si les producteurs recevaient des enregistrements venant d’ici démontrant que tu as participé à un complot meurtrier contre des camarades Super-héros ?
− Tu te mouillerais aussi Kratos !
− Vraiment ? J’ai pensé à un scénario sympa, de mon côté. Et si le Kratos qu’on voit dans ces enregistrements était en réalité une marionnette d’Anima ? Après tout, elle a été vue en compagnie de Raijin, héros déchu devenu mon pire ennemi aux yeux du monde. Elle pourrait décider de venger son ami en me manipulant pour tous nous discréditer. Mais si moi, j’étais possédé par Anima, ce n’est pas votre cas, à toi et à Terminacop.
− Anima était présente quand on a discuté de tes plans ! hurla Terminacop
− Ah oui, j’ai pris un grand soin de ne pas faire enregistrer ces premières réunions. Quand Anima nous a quitté, je me disais que je pourrai bien avoir trouvé un prétexte parfait pour ressortir de cette histoire, blanc comme les fesses du pape tout en vous tenant par les bourses.
− Très bien, tu nous as bien niqué. On te suit Kratos, mais fais bien attention à toi. Tu es au sommet du monde, pour l’instant, mais tu chuteras, et on pourra t’entendre te péter la gueule du fin fond du désert de Gobi jusqu’à la forêt Amazonienne » répliqua avec amertume Gravitas.

            Gaëlle remarqua que Greg et Mehdi n’étaient pas dans leur assiette. Ils n’avaient rien écouté de ce qu’elle avait dit. Finalement, elle demanda à Cédric de lui donner deux pommes qu’elle lança sur les têtes de ses deux compagnons.
            « Hé ! hurla Mehdi.
− Mais ça ne va pas bien ?
− Greg, Mehdi, vous me le dites, si je vous ennuie !
− Désolé ! C’est juste que je pensais à ma copine…dit sans réfléchir Mehdi qui s’en voulut d’avoir failli tout avouer sur sa relation avec Sarramauca.
− Oh toi aussi ? s’exclama Greg.
− Ouais ! Ca doit faire quatre jours que je n’ai aucune nouvelle d’elle !
− Mais pareil ! Elle ne répond plus au téléphone…
− Elle ne passe plus à l’improviste à l’appartement…
− Et tout ça sans raison…
− Ah les filles…soupirèrent-ils en même temps.
− Bro ! s’écria Mehdi en tendant son poing vers Greg.
− Bro ! répondit Greg en cognant son poing contre celui de Mehdi.
− Bros ! hurla Gaëlle en cognant son poing contre les visages des deux amis.
− Oh Greg, tu es en train de me dire que ta précieuse Cassandre s’est probablement foutue de toi ? Quelle surprise dis-moi ! siffla Claire avec cynisme.
− Considérations amoureuses mises à part, on n’était pas en train de parler de comment revoir notre stratégie de combat ? » dit Cédric.
            Claire garda le silence. Elle n’aimait pas Cassandre, elle ne saurait dire pourquoi. Elle avait toujours trouvé bizarre ce revirement, cet intérêt soudain qu’elle avait manifesté pour Greg. Elle trouva tout de même intéressant que Greg et Mehdi aient à peu près les mêmes difficultés au même moment. C’était peut-être une coïncidence, mais elle n’y croyait pas trop. Elle ignorait que Mehdi avait eu une copine, et il n’en avait parlé à personne. Cela l’intriguait.

            Lorsqu’ils sortirent du logement de Michael, Claire rattrapa Mehdi qui marchait les mains dans les poches. Lorsqu’elle parvint à le rejoindre, elle lui proposa d’aller boire un verre dans un pub non loin.
            « Dis-moi Mehdi, − débuta Claire en sirotant son Blue Lagoon – tu nous as caché que tu étais amoureux !
− C’est que je ne pensais pas que ce serait si important…bafouilla Mehdi.
− Elle est jolie ?
− Les plus beaux yeux du monde !
− C’est marrant, toi et Greg vous traversez la même chose ! C’est lui qui te l’a présentée ?
− Ah ah ! Pas vraiment…répondit dans un rire gêné Mehdi. Il venait de se rendre compte que c’est en suivant Greg que Sarramauca était entrée dans sa vie.
− Tu sais, je pense que Greg devrait se méfier de Cassandre. Elle n’est pas nette, je sais qu’elle joue avec lui…et qu’il va le regretter amèrement, débuta Claire.
− Et tu penses que c’est le cas pour moi aussi ? demanda Mehdi d’un ton plus sérieux.
− Les coïncidences, c’est comme les licornes, j’en entends souvent parler, mais je n’y crois pas, répondit Claire.
− Et bien tu te goures, je ne sais pas pour Greg, mais ma copine n’est pas comme ça ! Elle est juste…incomprise.
− Incomprise ? »
            Claire observa avec attention Mehdi. Pourquoi disait-il que sa copine était incomprise ? Il était par ailleurs agité. Puis, une idée tordue lui vint à l’esprit.
            « Mehdi, toi et Greg vous avez été attaqués par Sarramauca ?
− Euh…ouais…Mehdi avait sursauté à l’évocation de Sarramauca.
− Elle ne s’est plus attaquée à Greg depuis…elle ne s’attaque plus à toi non plus ?
− Non…
− Je me demande pourquoi, réfléchit à haute voix Claire avant de reprendre : peut-être que Sarramauca n’attaque pas les gens qui ont des copines ? Non c’est idiot. Peut-être que c’est parce que… » Claire garda le silence un moment et observa Mehdi un long moment. Celui-ci ruisselait de transpiration.
            « Tu es en couple avec Sarramauca ?
− Quoi ? Non…c’est…non !
− Incroyable. C’est juste incroyable. Toi, en couple avec l’une des plus terribles parmi les super-criminels !
− Ce n’est pas une vulgaire criminelle ! – hurla Mehdi avant de baisser d’un ton – ce n’est pas le monstre qu’on croit !
− Elle a tué des gens !
− Je sais mais c’est son pouvoir…c’est une malédiction ! Il y a du bon en elle ! Je le sais, je l’ai vu.
− Mehdi, tu es aveugle ? Tu ne vois pas ce qui se trame ? Cassandre ne voulait rien avoir à faire avec nous ! Pourtant, peu de temps après, elle change d’avis, se rapproche de Greg. C’est à ce moment qu’apparaît Sarramauca qui lui fout la trouille de sa vie. Elle parvient ensuite à t’atteindre…votre point commun : vous êtes tous les deux de la Ligue des Inutiles ! Mehdi, est-ce que je vais devoir regarder sous mon lit ce soir pour vérifier que ta copine n’y est pas planquée pour me tuer ?
− Tu te trompes, Claire ! Sarah n’est pas comme ça !
− Elles sont de mèche, et elles nous préparent quelque chose ! Demain j’en parle à Gaëlle et aux autres ! »
            Mehdi frappa violemment du poing sur la table. Il regarda Claire avec une colère noire dans les yeux. Puis son regard se radoucit pour n’exprimer plus que de la tristesse.
            « Claire, s’il te plaît ne dis rien à personne, sa vie a toujours été dure, elle a besoin d’être acceptée ! Ses pouvoirs sont sans effet sur moi pour cette même raison. Laisse-moi gérer par pitié ! » Claire ouvrit de grands yeux. Elle ne savait trop comment réagir en voyant la mine implorante de Mehdi. Elle ne put que pousser un profond soupir.

            « Il nous a bien baisé, Gravitas. On fait quoi ? demanda la voix de Terminacop au téléphone.
− Qu’il fasse le malin. Il ne sait pas que de nos jours, l’info va vite, et qu’il vaut mieux dégainer le premier.
− Tu veux dire que tu vas vraiment…

− Quelle époque formidable…on peut détruire toute une vie en 140 caractères. »

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