Cette
journée ressemblait à toutes les autres. Et cela faisait bien dix ans que ces
journées s’enchaînaient sans se différencier l’une des autres. La même cellule,
les mêmes uniformes, la même bouffe merdique qui lui était servie dans le même
plateau, parce qu’il n’avait pas le droit de sortir. Un animal en cage. Bien
sûr, sa cellule était un peu plus vaste que les autres, mais une cellule, ça
reste une cellule. Le monde semblait figé, et ennuyeux. Alors il avait décidé
d’arrêter de lutter contre le monde. Comme tous les matins, un maton vint lui
apporter le journal. Comme le voulait la procédure, il s’allongea sur le
ventre, mains sur la tête, loin de l’entrée de la cellule. Le gardien prit son
plateau et déposa le journal. Puis, avec rapidité, il s’effaça en silence. Seul
avec lui-même, Il s’approcha du journal. A la une de celui-ci : « DE
L’ELECTRICITE DANS L’AIR ENTRE RAIJIN ET KRATOS ». Il se précipita
sur l’article. Manifestement, Kratos et Raijin s’étaient affrontés
sérieusement, et Kratos avait remporté le combat. C’était excitant comme
nouvelle. Il ne put réprimer un large sourire.
« On
dirait bien que le monde s’est enfin décidé à bouger. » murmura-t-il avec
une joie malsaine.
« Tu
as l’air soucieux…dit-elle, après avoir mis le jeu vidéo en pause.
− Ouais…je n’arrive toujours pas à
comprendre le combat entre Raijin et Kratos. Et puis que voulait dire
Ondine par « On fait ça pour vous ? » Oh, désolé Sarah…je ne
vais pas t’embêter avec mes problèmes. »
Sarah…c’était
devenu si rare qu’on l’appelle par son nom, son vrai nom, celui que sa mère lui
avait donné. Elle était toujours heureuse quand Mehdi l’appelait Sarah, et son
teint livide devenait rosé. Elle souriait, pour de vrai…Mais Mehdi était
maussade. Elle prit alors son courage à deux mains et posa la sienne sur celle
de Mehdi. Sa main était chaude et douce. Il la regarda droit dans les yeux,
avec un air étonné. Elle se mit à paniquer intérieurement. Que
faisait-elle ? Elle se voyait comme un monstre hideux et effrayant !
Il allait la rejeter, elle le sentait. Qu’espérait-elle avec son rictus bizarre
qui déformait son visage et son air de fantôme ?
Mais à
sa grande surprise, Mehdi, de sa main libre, écarta l’une des mèches qui
cachaient ses yeux. Puis, il lui caressa la joue avec tendresse. Ils restèrent
un moment, immobiles. Finalement, il susurra d’une voix grave « Merci,
Sarah… ». Elle devint cette fois-ci toute rouge. Pourquoi la
remerciait-il ? Depuis qu’ils se fréquentaient, elle avait plus de
facilité à parler, elle qui avait, à cause de son pouvoir l’habitude de garder
le silence, n’avait plus cette espèce de poids dans la gorge. Elle avait
l’impression d’être une malade en pleine convalescence grâce à lui. Si l’un des
deux devait des remerciements à l’autre, c’était bien elle.
La nuit
suivant le fameux combat des titans, elle avait reçu de la visite. Elle était
chez elle, dans son luxueux appartement. Les lumières étaient éteintes, et elle
regardait le ciel nocturne, pur de tout nuages après l’orage de la veille. Elle
fut surprise d’entendre frapper à sa porte. Elle alla chercher ses gants et les
enfila avant d’aller ouvrir. Un petit homme se tenait dans le pallier. Il
paraissait fragile, menu, tremblant, et son crâne dégarni luisait de sueur. Il
regardait ses chaussures en balbutiant des salutations qui ne paraissaient pas
sincères.
« C’est
Devreaux qui vous envoie ? demanda Nyx simplement.
− N…non…répondit-il en se liquéfiant.
− Dans ce cas, vous ne risquez
probablement rien. Entrez. »
Sans
attendre de réponse, elle s’engouffra dans son appartement, se gardant
cependant d’allumer la lumière. Après une courte hésitation, le visiteur se
résolut à pénétrer dans le logement, manquant à plusieurs occasions de
trébucher dans les ténèbres de celui-ci. Il parvint finalement dans le salon,
et fut un instant ébloui par la vue qui s’offrait à lui.
Le salon
était une grande pièce à la décoration épurée, avec deux fauteuils et un large
canapé. Une baie vitrée faisait office de fenêtre et la lumière pure de la nuit
éclairait la pièce. Au milieu de ces ténèbres, allongée lascivement, Nyx
paraissait encore plus belle. Ses yeux verts semblaient briller, et la lumière
blafarde de la lune donnait à son visage pâle une beauté mortellement glacée.
Le visiteur déglutit bruyamment avant de prendre place sur un fauteuil, le plus
éloigné possible de Nyx.
« Qui
êtes-vous ? demanda Nyx.
− Je suis le représentant d’un homme
qui aimerait beaucoup avoir recours à vos services. Un homme qui aimerait
réagir aux derniers événements et qui pense que vous êtes la solution.
− Quels derniers événements ?
demanda d’un air désinvolte Nyx.
− Mais…le combat entre Kratos et
Raijin, bien sûr !
− Oh vous savez, moi, je ne suis pas du
genre à jouer aux super-héros et aux super-vilains. Je ne m’intéresse pas à ces
trucs.
− C’est pour cela que vous êtes la
femme de la situation ! Mon patron aimerait que vous fassiez en sorte
qu’on ait plus à s’intéresser à ce genre de trucs ! »
Nyx posa
sur lui son regard d’émeraude et il sentit que ces yeux étaient en train de le
transpercer de part en part. Elle se leva et fit les cent pas au milieu du
salon. Puis elle contempla la lune. A la grande surprise du visiteur, Nyx se
mit à chanter une étrange berceuse…
La Lune brille haut dans
le ciel
Les étoiles s’éteignent
autour d’elle
La nuit s’abat sur nous
tous, cruelle
Les ténèbres nous
recouvrent de leurs ailes
Elle s’interrompit, semblant chercher la suite des
paroles. Finalement, elle abandonna. Elle reprit place sur son canapé, et
regarda son visiteur.
« Comment
pourrai-je endormir des gens si ma berceuse n’est pas terminée…
− Nyx, nous avons les moyens de vous
payer !
− Bien sûr, qu’un politicien de la
trempe de Jean-Pierre le Mène aura les moyens de me payer.
− Vous avez deviné ? sursauta le
messager.
− Vous pouvez partir, à présent mon
cher, se contenta de répondre Nyx.
− Mais…que suis-je supposé dire à
monsieur le Mène ? demanda l’homme.
− Que j’ai déjà du boulot…répliqua Nyx.
− Mais… »
Nyx
poussa un soupir de lassitude et retira son gant gauche. Voyant cela, l’homme
devint pâle. On l’avait briefé il savait ce que cela voulait dire. Nyx le
regardait à présent fixement, et il avait l’impression d’être paralysé. Cette
femme, c’était un serpent, et lui était sa proie. Elle allait le dévorer.
« Vous
direz à Le Mène que j’ai du boulot pour le moment. Qu’il en tire les
conclusions qu’il voudra. Maintenant je vous conseille de partir et d’oublier
mon adresse. Il ne fait pas bon de s’attarder au cœur de la nuit. » à ces
mots, le messager bondit sur ses pieds et se précipita vers la sortie. Derrière
lui, il entendait encore la douce voix de Nyx fredonner l’air qu’elle chantait
plus tôt.
Kratos semblait vide. Il était assis à
la fameuse table ronde de la Conjuration des Etoiles et regardait les places
vides. Celle d’Anima, mais aussi celle qu’occupait il y a longtemps Raijin. Il
ne prêtait pas attention aux propos de Gravitas dont la voix s’était muée en
murmure lointain. Terminacop lui répondait avec enthousiasme.
« Hé
Kratos, tu nous écoutes ? grogna la voix de Gravitas.
−Non, répondit-il.
− On disait que tu avais fait un super
boulot en tabassant Raijin. Tu nous as bien dit qu’il savait pour notre
petit arrangement ? J’espère qu’avec ce que tu lui as mis, il comprendra
qu’il vaut mieux qu’il la ferme.
− Ouais…répondit d’une voix faible
Kratos, qui serrait le poing. Aujourd’hui, Gravitas lui tapait sur les nerfs.
Cassandre s’en était rendue compte.
− Il nous reste un gros problème
maintenant, déclara Terminacop.
− Un problème ? s’exclama Dragon
avec une pointe d’appréhension dans la voix.
− Anima. C’est elle qui a parlé de
notre plan à Raijin. Elle pourrait à présent vouloir en parler à d’autres, et
ce serait mauvais pour nous, répondit Gravitas.
− Attendez, je n’aime pas trop ce que
vous insinuez ! s’écria Dragon.
− Alors, je n’insinue pas, je dis qu’il
faut s’assurer qu’Anima garde le silence ! Tout comme Kratos s’est assuré
que Raijin ne se mette pas en travers de notre route… » à peine Gravitas
eut elle achevé sa phrase qu’un bruit assourdissant résonna dans la pièce.
Kratos avait fracassé la table d’un coup de poing. Le silence s’imposa alors,
et chacun pâlit. Kratos mit un moment à reprendre contenance.
« Je
ne me suis pas assuré de quoi que ce soit. Je n’ai jamais voulu combattre
Raijin, c’est lui qui s’est opposé à moi. Est-ce que c’est clair ?
− Il faut pourtant faire quelque chose
pour Anima. Je peux m’en charger si vous voulez…ce sera discret…proposa
Terminacop.
− Tu…tu entends quoi par je peux m’en
charger ? balbutia Dragon.
− Je sous-entends qu’un balle, tirée de
loin… » Cette fois-ci, c’est Dragon qui perdit son sang-froid il se leva,
affichant un air enragé, de la fumée sortait de sa bouche, prête à cracher le
feu. Mais finalement, il sembla ployer sous un poids énorme. Il posa finalement
un genou au sol, puis le deuxième, tout en hoquetant. On aurait pu croire qu’il
était écrasé par quelque chose que l’on ne pouvait distinguer à l’œil nu.
Finalement, Dragon se retrouva à quatre pattes, la tête basse.
« Arrête
ça Gravitas, lança Kratos.
− Pas drôle, se contenta de déclarer
Gravitas tout en relâchant son pouvoir. Le poids de la gravité disparut des
épaules de Dragon qui se releva maladroitement.
− Quand j’ai rejoint la Conjuration des
Etoiles, je voulais faire le bien, faire la différence. Mais on dirait que vos
objectifs ont bien changé ! Vous êtes en train d’envisager d’assassiner
Anima, elle était notre camarade, notre amie ! Déjà que je ne suis pas
fier de ce qu’on réserve aux Inutiles, mais là ! Vous voulez tuer une
Super-héroïne qui a combattu à nos côtés ! s’écria Dragon.
− Une Super-héroïne ? C’est
marrant, mais quand on regarde son pouvoir de près, elle me fait plus l’effet
d’une Inutile en vérité, ricana Terminacop.
− C’est bon…j’arrête ! Je n’en
peux plus. Vous êtes tous devenus des monstres ! s’écria Dragon.
− Tu devrais faire très attention aux
mots que tu vas prononcer, petit ! le prévint Gravitas.
− Alors écoute les bien : Je me
casse ! » et sur ces mots, il tourna les talons et se dirigea vers la
sortie. Au moment de passer la porte, il lança un dernier regard vers Kratos
qui avait l’air éteint.
« Regarde-nous
Kratos ! On n’a plus rien d’héroïques, ni toi ni moi, ni personne d’autre
dans la Conjuration des Etoiles…murmura Kratos.
− Qu’est-ce que tu baves, toi ?
siffla Gravitas.
− L’ère des Super-héros est en train de
s’effondrer sous nos yeux, déclara Kratos en se levant.
− Au lieu de jouer les prophètes, tu
ferais mieux de nous suggérer quoi faire pour Anima et Dragon.
− Je ne sais pas, je m’en fous…faites
ce que vous voulez… » sur ces mots, il s’envola par la fenêtre.
Cassandre
savait où Kratos avait l’habitude de se réfugier quand il avait un coup de mou.
Il allait sur le toit de son immeuble et regardait la ville, son regard se
perdant sur son horizon hérissé de toits qui lui donnait l’air d’un hérisson
géant. Le soleil se couchait et semblait saigner, transpercé par les
hallebardes des toits. Comme elle l’avait prévu, il était assis sur le parapet.
« Joël…
− Fiona…
− Sacrée réunion, hein ?
− J’ai l’impression que la Conjuration
va perdre un membre par réunion, sourit-il, amer.
− Qu’est-ce que tu penses de tout
ça ?
− Toi d’abord.
− J’en pense que Dragon a raison, et
qu’on va trop loin, Joël.
− On va vers la destruction de la
Conjuration ?
− Non. On va vers la tienne, j’en ai
peur. » Kratos la regarda avec une pointe d’étonnement. Il était toujours
très attentif à ce que disait Fiona, car quand elle faisait ce genre
d’affirmation, c’était soit dû à son excellente perception des choses, soit à
ses pouvoirs qui lui permettaient de voir dans le futur. Elle paraissait par ailleurs
vraiment inquiète. Il se leva alors, puis posa affectueusement sa main sur sa
tête, ébouriffant ses cheveux blonds.
« Fais
très attention à Gravitas, Joël. Je ne lui fais pas confiance.
− Je la hais, et elle me le rend bien.
Je serai prudent. Merci Fiona. » il avait un sourire chaleureux en disant
ces mots. Fiona avait l’impression de revoir enfin le vrai Kratos, celui qui la
rassurait rien qu’en le voyant, celui qui représentait l’espoir et l’héroïsme,
et non celui qui hantait ses visions d’horreur, celui qui s’asseyait sur des
piles de ruines. Alors qu’elle se faisait cette réflexion, elle le revit, ce
Kratos-là, elle revit dans son esprit son regard vide.
« Cassandre…n’oublie
pas ta mission auprès de Atchoum-man. » déclara Kratos après un moment de
silence. Fiona sentit un frisson la parcourir. En prononçant ces mots, le
regard de Kratos s’était gelé de nouveau, et alors, il sembla à Fiona qu’il
était dévoré par des ténèbres insondables. Il paraissait même être encore plus
inquiétant qu’avant son combat contre Raijin.
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