lundi 16 mai 2016

Chapitre 23

              Raijin esquiva de peu le coup de poing de son frère. Il reculait à mesure que Pascal cognait. Il s’en doutait, là il en avait la confirmation : son frère était toujours aussi puissant, et peut-être l’était-il même plus qu’avant. Des deux, c’était Raijin qui avait bénéficié des pouvoirs, mais malgré cela, Pascal avait toujours été le plus fort. Tout petit déjà, Raijin l’admirait. Pascal était du genre à prendre la défense des plus faibles contre les plus forts que lui. Si Raijin était l’homme qu’il était devenu, c’était grâce à celui contre lequel il se battait à ce moment-là.
            Pascal ne retenait pas ses coups. Il savait que Cyril était solide. Pascal avait toujours été fier de Raijin, qui avait toujours représenté un idéal absolu. Le voir se perdre ainsi lui était donc trop douloureux. Pascal espérait le ramener à la raison, même si ce devait être à coups de poings. 

            « Tu es décidément monstre, frangin ! souffla Raijin après s’être éloigné de Pascal.
− Ne me dis pas que tu es impressionné par ça ! Je n’ai même pas commencé à m’échauffer !
− Je le sais…crois-moi je le sais trop bien. Dans ce cas, tu vas me permettre d’utiliser mes pouvoirs ? » sur ces mots, un courant électrique parcourut le corps de Raijin.
            Pascal n’en parût pas le moins du monde impressionné et fondit vers son frère poings en avant. C’est au moment où Pascal lui écrasa son coup dans les côtes que Raijin se rendit compte que son frère avait enfilé avec vivacité des gants en caoutchouc qui isolaient son électricité. C’étaient des gants qu’il s’était confectionné lui-même pour pouvoir être sûr de mater son frère en combat.
            Raijin se mit à lancer des arcs électriques que Pascal esquivait aisément, au grand détriment du mobilier de l’appartement. Pascal savait qu’il serait trop dangereux de coller Raijin. Il se débrouillait donc pour être très mobile. Il courait autant que possible puis parfois, lançait un raid pour frapper son adversaire. Raijin était lui aussi très rapide, ce qui rendait cette stratégie difficile à tenir, car il était très mobile lui aussi.
            « Tu es infatigable, Pascal !
− Je ne fais que commencer. Si tu ne suis pas, tu vas finir avec la gueule de travers ! 
− Désolé frangin, mais je ne peux pas me permettre de perdre ce combat. »
            Les deux hommes se mirent à redoubler d’efforts. Mais à présent, Raijin parvenait à avoir du répondant. Il tentait bien de donner des coups de poings, mais Pascal parvenait sans difficulté à les parer, et à rendre au centuple les attaques qui parvenaient à le toucher. Raijin en prenait plein la figure, au point qu’il en eut le tournis. Pascal frappait encore, destiné à le mettre à terre. Décidément, son frère était un mur infranchissable.
            « Cyril tu vas maintenant revenir à la raison ! Quel que soit ton projet, tu vas laisser tomber !
− Désolé Pascal…mais je ne peux pas, répondit Raijin en se relevant.
− Tu n’es pas fait pour être un criminel !
− Je le sais bien, mais il faut que je le fasse ! Personne ne m’en empêchera, et certainement pas toi ! »
            Raijin mit ses poings sous tension. Puis, il se précipita sur Pascal qui l’envoya balader avec une clé de bras. Mais Raijin se réceptionna vite et lança sur Pascal son poing gauche. Ce dernier le bloqua avec force, mais alors, Raijin posa le plat de sa main contre son torse. Pascal retint sa respiration. Il savait qu’il venait de perdre le combat.
            « Frangin, c’est quelque chose que je dois faire à tout prix…je ne sais pas, peut-être que plus tard, tu comprendras…peut-être que tu me pardonneras…
− Cyril… » Pascal n’eut pas le temps de finir sa phrase. De la main de Raijin partit une décharge électrique qui secoua le corps de Pascal. Celui-ci resta un moment debout. Bien qu’il ait perdu connaissance, il refusait de s’écrouler. Raijin le regarda tristement, puis le dépassa, afin de rejoindre la porte. Il dut faire tous les efforts du monde pour ne pas se retourner quand il entendit le corps de son frère s’affaler au sol.

            « On dirait que Pascal t’a fait passer un sale quart d’heure, observa Ondine quand il l’eut rejointe devant l’immeuble.
− C’est le cas, répondit-il sèchement.
− Ondine et moi on va aller faire un peu de grabuge dans la ville, histoire de rappeler que tu es toujours là.
− Souvenez-vous bien que je ne veux pas de victimes, c’est compris ? »
Sur ces mots, Raijin disparut dans un éclair laissant là ses deux comparses perplexes.

        Mehdi y mettait beaucoup d’application. Il ne pouvait pas perdre face à elle. Sarramauca pourtant, était en train de le rattraper, petit à petit. Il avait beau aller aussi vite que possible, rien ne semblait pouvoir ralentir Sarramauca qui gagnait du terrain, inexorablement. Mais ce ne serait pas suffisant ! Il voyait la ligne d’arrivée, et déjà, il souriait à la victoire. Mais alors, la voix de Sarramauca tonna : « Carapace bleue ! » et à ces mots, Mehdi lança vers elle un regard effaré. Il le savait, elle venait de renverser la situation. Et alors, c’était comme si le temps avait ralenti sa course. La carapace fila à toute berzingue et explosa contre le kart de Donkey Kong, sous les cris d’effroi de Mehdi. Le malheureux gorille tournoya sur lui-même et se déporta sur le côté, laissant tout le loisir au kart de Yoshi, dirigé par Sarramauca de le dépasser, pour filer à la ligne d’arrivée, en première position.
            Sarramauca poussa un cri de joie ! Elle souriait pour de vrai. Cela faisait plusieurs nuits que Sarramauca allait chez Mehdi et elle s’était rendue compte que plus elle parlait avec lui, moins son pouvoir avait d’emprise sur lui. Elle avait l’impression qu’il était possible qu’elle ne fasse plus peur, pour peu qu’on l’accepte. Et elle avait l’impression que c’était ce qu’avait fait Mehdi. Elle ressentait une douce chaleur dans sa poitrine, mais avec étaient venues des questions qu’elle se posait sur le mal qu’elle avait fait autour d’elle. Elle avait tué des gens, aussi se demandait-elle si elle avait vraiment le droit d’être assise là, à jouer aux jeux vidéo avec son seul ami, après qu’elle ait détruit tant de vies.
            « C’est moi qui devrais faire cette tête, je te rappelle que tu as gagné ! » s’exclama Mehdi en lui tendant un sachet de bonbons. Sarramauca le dévisagea, puis elle regarda le paquet de bonbons. Elle y plongea la main et porta l’une des sucreries à la bouche. C’était un de ses préférés, un bonbon acidulé. C’était bon. Elle sentit ses yeux lui piquer, elle était tellement heureuse qu’elle avait l’impression qu’elle allait pleurer comme une madeleine.
            Quand Sarramauca fut repartie, Mehdi se retrouva seul avec ses doutes. Il se demandait ce qu’il devait faire, en tant que Super-héros. Après tout, Sarramauca était une super-criminelle, elle avait du sang sur les mains. Mais elle lui avait raconté sa vie, et il ne pouvait s’empêcher de la voir comme une victime. En fait, il ne voulait pas qu’elle se retrouve en prison. Il savait, que c’était complètement égoïste de sa part. Elle ne représentait plus du tout une menace pour lui, mais pour le reste du monde, en revanche…Son père, Cimeterre, était l’image même de la droiture, et il n’aurait pas hésité à combattre sa famille si elle avait été maléfique. Quand il voyait le problème sous cet angle, il s’en voulait d’être si faible de caractère. A coup sûr, le fait de se poser ces questions aurait suffi à décevoir son père. Tant pis. Il savait que les gens à qui Sarramauca avait fait du mal n’auraient pas droit à la justice, mais il décida qu’il la couvrirait. Il ne parlerait pas même d’elle à ses amis de la Ligue des Inutiles. Ils ne comprendraient pas. Et puis, maintenant que Sarramauca n’était plus seule, elle ne risquait pas de faire de mal à qui que ce soit…

            « Mais je te dis qu’elle veut vous rencontrer pour vous convaincre que vous pouvez croire en elle ! s’écria Greg tout en faisant éternuer le malfrat dont le visage heurta le poing d’Arcimboldo.
− Mais je m’en contrefous Atchoum-man ! Je n’ai pas envie de lui parler, à Cassandre ! rétorqua Textil en faisant apparaître des moufles aux mains d’un autre bandit qui ne put continuer à tenir son arme et la fit choir avant que Cuistot ne l’assomme avec un maillet en inox à la place de la main.
− On n’est pas obligé d’écouter ce qu’elle a à nous dire ! Plus j’y pense plus je me dis que c’est quand même bizarre que Sarramauca t’attaque juste après que tu reprennes contact avec Cassandre, s’exclama Tear tout en frappant dans le visage un malandrin dont les yeux étaient baignés de larmes.
− Non, mais toi, t’es toujours d’accord avec Textil ! Surtout quand c’est pour me contredire !
− Atchoum-man, je t’avoue que je n’ai pas non plus envie de la rencontrer, Cassandre. Je te rappelle qu’elle n’a même pas voulu vous aider à me retrouver ! » conclut Arcimboldo tout en écrasant une pastèque contre le visage d’un autre voyou.
            Cet argument fit mouche chez Greg, qui devait bien avouer que Fiona n’avait pas spécialement fait une bonne première impression auprès de la Ligue des Inutiles. Il pouvait parfaitement comprendre qu’ils ne lui accordent ni confiance, ni crédit. Mais au fond de lui, il restait le jeune adolescent amoureux de sa copine, et il voulait que ses amis la voient tel qu’il la voyait. Il en ressentait une étrange frustration et une profonde amertume. Par ailleurs, Fiona lui avait demandé de l’aide, et il s’était avéré incapable de faire le moindre progrès.
            Alors qu’elle conduisait, après le combat, Textil s’aperçut qu’Atchoum-man gardait le silence. Quelque part, elle voulait être plus compréhensive, mais quelque chose chez Cassandre ne lui plaisait pas. Elle n’aurait cependant pas su dire quoi. Elle trouvait juste étrange le revirement soudain de l’oracle vis-à-vis d’eux, elle qui avait été si claire lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Au fond, elle regrettait de passer son temps à se disputer avec Greg, elle l’aimait bien, il était difficile à vivre, mais très sympathique. Mais elle ne pouvait accepter de le voir se laisser mener par le bout du nez par Cassandre sous prétexte qu’ils avaient un vécu.

            Quand la Ligue des Inutiles arriva chez Mike, celui-ci était dans un état de panique qui était très rare chez lui. Il ne prit même pas la peine de les saluer, il se précipitait vers le van. Etonnés, les Inutiles le talonnèrent.
            « Mike, t’es sûr que ça va, mec ? demanda Cuistot.
− Pascal est à l’hôpital ! Je vais lui rendre visite !
− Quoi ? Mais qu’est ce qui lui est arrivé ? demanda Tear.
− On t’accompagne ! » trancha Greg.
            Pascal était allongé sur son lit. L’infirmière était en train de lui passer un savon quand ses amis entrèrent dans la chambre. Elle lui reprochait d’avoir encore une fois tenté de s’évader de l’hôpital. Mike et les Inutiles regardèrent la scène en silence, puis une fois que l’infirmière se fut éloignée, ils se mirent en arc de cercle devant le convalescent.
            « Vous en tirez des tronches. Je vous rassure, ça baigne, déclara Pascal d’un ton rassurant.
− Qu’est ce qui t’es arrivé ? demanda Michael.
− Disons que j’ai cherché la bagarre contre celui qu’il ne fallait pas.
− Quoi tu veux dire qu’un mec t’a battu ? Je ne savais même pas que c’était possible ! s’exclama Greg.
− Disons que je ne pouvais pas me battre à pleine puissance contre lui.
− Ne me dis pas que tu t’es battu contre ton frère ! s’écria Michael.
− Dans le mille. Je voulais le convaincre d’arrêter ses conneries. Mais au final, il a l’air bien déterminé. Je n’aurais jamais cru qu’il pourrait me battre malgré ses pouvoirs. J’ai peut-être été trop sûr de moi.
− C’est qui ton frère ? demanda Textil.
− Je suppose que je peux vous le dire…c’est Raijin. Quand je l’ai vu déclarer la guerre au monde entier, j’ai voulu lui faire entendre raison, mais je n’ai pas été au top, c’est le moins qu’on puisse dire.
− Attends, Raijin ? Comme le Raijin qui fait de l’électricité avec ses doigts ? s’exclama avec étonnement Claire.
− J’ai du mal à croire qu’il ait pu devenir un super-criminel. Ce n’est pas possible qu’il ait pu te faire du mal, dit Cédric qui se sentait mal. Il avait une dette envers Raijin qui l’avait sauvé.
− Il y a quelque chose qui me tracasse dans tout ça. Cyril n’a jamais eu ce qu’il fallait pour être un criminel. Je ne sais pas pourquoi, mais je pense qu’il se donne un genre.
− Tu as l’air bien sûr de toi Pascal…répondit Michael.
− C’est mon frère, et je sais quand il ment. Et les coups qu’il m’a donnés, ce sont des coups de menteur. »
            Quand ils sortirent de l’hôpital, tous les Inutiles paraissaient être secoués. Tear avait l’impression que le monde allait trop vite pour lui. Peu importait ce que pouvait dire Pascal, il était évident à ses yeux que Raijin était un adversaire potentiel. Lorsque leurs chemins se croiseront de nouveau, ils devront probablement s’affronter. Et c’était une perspective inquiétante. Il se méfiait aussi de Cassandre, car comme Textil, il pensait que c’était elle qui avait mis Sarramauca sur la piste de Greg, bien qu’il n’aurait su expliquer pourquoi elle ferait une chose pareille. Avant de rejoindre la Ligue des Inutiles, il ne se serait jamais imaginé que son quotidien serait semé de combats contre des criminels de tous poils et qu’il aurait à se méfier de super-héros notoires. Il en avait fait du chemin depuis…décidément, le monde allait bien trop vite.

            « Comment ça tu es face à une impasse ? s’écria Kratos avec colère.
− Je…Greg m’a dit que les Inutiles ne me font pas confiance, ils ne veulent pas me voir ! Et lui-même refuse de m’amener dans leur repaire…se plaignit Cassandre.
− C’est que tu n’en as pas fait assez ! Si tu le torturais, torture-le plus, si tu le baisais, baise-le plus ! Je veux des putains de résultats Cassandre !
− M…mais Kratos ! Comment veux-tu que je le force à me dire où sont ses camarades ? la voix de Cassandre était rendue tremblante par la peur et la tristesse.
− Ce n’est pourtant pas compliqué de faire cracher la vérité à un gars, merde ! On ne croirait pas que tu fais de ton mieux ! – Kratos marqua une pause puis reprit d’une voix plus calme – Dis-moi ma petite Fiona…tu fais bien de ton mieux, non ? Ou bien est-ce que tu es en train de me baiser, moi ?
− Qu’est-ce que tu racontes Joël ?
− Ton Atchoum-man, là, il ne serait pas en train de faire de la magie dans ta culotte ? Ne me dis pas que tu retombes amoureuse de ce gland ! Tu sais très bien quels sont les enjeux…la Ligue des Inutiles DOIT crever ! Sinon, tout ce qu’on aura bâti, toi, moi, et tous les autres, sera réduit en poussière ! »

            Le mot « poussière » résonna dans l’esprit de Fiona. Elle eut alors un black-out. Elle se retrouvait au milieu de la ville en ruines. Le ciel était rouge, et au sommet d’un immeuble désolé se tenait debout une silhouette qu’elle connaissait. C’était Kratos. Il semblait la regarder, mais ses yeux n’avaient plus la moindre trace d’humanité. Cassandre ne pouvait plus supporter ce regard, alors elle détourna le sien. Partout autour d’elle, les bâtiments délabrés manquaient de s’effondrer. Alors elle comprit qui avait dévasté la ville autour d’elle. Elle lança son regard de nouveau vers Kratos qui la regardait toujours avec son œil vide. Pourtant, derrière lui, le ciel, qui était jusque-là rouge, se mit à se teindre petit à petit de vert…

            « Hey Fiona ! T’as fini de rêvasser ? Je n’ai pas fini de t’engueuler ! s’exclama Kratos qui se trouvait en face d’elle, dans sa salle de consultation.
− Kra…Kratos ?
− Tu as eu une vision. Je me demande ce que c’était ? T’es toute pâle.
− Je ne me sens pas très bien. Désolée… »
            Kratos la dévisagea un moment, puis il posa sa main sur le front de Cassandre. Ensuite, il examina son visage sous toutes les coutures avant de prendre un mouchoir pour essuyer la sueur qui perlait sur le front de la jeune femme. « Effectivement. Je vais te laisser te reposer. Mais on en reparlera, de tout ça. » dit-il d’une voix plus douce. Il se leva et s’envola par la fenêtre, laissant seule Fiona qui se demanda quel sens pouvait-elle donner à la vision qu’elle venait d’avoir.

            Ils faisaient les choux-gras de la presse, Ondine et Pierre, avec leurs divers actes de vandalisme. Parfois, ils attaquaient la police, parfois, ils détruisaient tel lieu, ou saccageaient telle installation. Bien que leurs crimes étaient bien moins violents que par le passé, il n’en restait pas moins qu’ils étaient potentiellement dangereux. Par ailleurs, de nombreux super-héros avaient mordu la poussière face à ces deux-là, aussi, on se demandait ce qu’attendait Kratos pour les mettre hors d’état de nuire, ainsi que Raijin.

            Un soir, Raijin, perché au sommet d’une tour, regardait au loin les nuages sombres qui s’amoncelaient dans le ciel d’encre. Il savait que ce serait pour bientôt. L’orage allait éclater, et celui-ci sonnerait le début du combat de sa vie. Avec les premiers éclairs, viendraient les premiers coups…

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