lundi 28 mars 2016

Chapitre 16

            Raptor les toisait tous, ces minables Inutiles qui se dressaient face à lui, avec ce regard insupportable qui luisait à travers leurs masques. Ils semblaient tous si suffisants, si bouffis d’orgueil, que son mépris pour eux ne faisait que grandir, prendre de l’ampleur. Raijin et Anima étaient hors-combat, et lui-même aussi commençait à fatiguer. Il commençait à payer le tribut réclamé par les multiples décharges électriques de Raijin. Il dévisageait à présent Arcimboldo. Il regrettait de ne pas avoir eu le temps de le dévorer, Raijin l’ayant fait fuir alors qu’il s’apprêtait à finir le travail, ce soir-là. A présent, c’était le héros aux fruits qui l’observait avec un regard de prédateur. Raptor retroussa les lèvres. Il ne pourrait pas tenir longtemps à ce rythme, il devrait fuir, et voir si ce faisant, il ne pourrait pas se débarrasser d’un ou deux adversaires.


            Mais alors qu’il était plongé dans ses pensées, un ananas vola vers lui. Il l’esquiva en faisant un bon sur le côté. Il fut alors surpris par un coup de poêle en fonte sur la joue qui le sonna. Il voulut lacérer Cuistot qui était sur sa droite, mais celui-ci s’éloigna en un bond. Il courut à sa poursuite, mais trébucha, soulevant un épais nuage de poussière. Une ceinture en cuir était apparue autour de ses chevilles. Il força, et ses jambes puissantes détruisirent leur entrave. Raptor regarda partout, à la recherche d’une victime. Son regard se posa sur Lumen. Il se précipita vers elle, mais cette dernière ne bougeait pas. Il crut au début qu’elle avait été paralysée par la peur, mais la détermination dans ses yeux contredisait ce point. Elle enclencha son pouvoir, mais il ferma les yeux pour éviter la lumière rouge, tout en continuant de courir. Il ressentit un choc énorme : il venait de se prendre la façade d’un immeuble de plein fouet. Il poussa un hurlement bestial et chercha une issue. Mais son regard était brouillé par les larmes qu’avaient provoqué Tear.
            On aurait dit une bête aux abois. Mais il n’inspirait pas de pitié à Arcimboldo qui voyait là enfin l’occasion de venger Andy. Il courut vers Raptor, épaulé par Atchoum-man et Cuistot. Une fois arrivés à proximité de l’ennemi, Arcimboldo fit pousser des noix de coco bien mûres sur ses poings, tandis que Cuistot transforma ses mains en maillets en inox. Les deux se placèrent de part et d’autres de l’ennemi. Atchoum-man fit éternuer Raptor dont la tête se projeta successivement vers les poings-coco d’Arcimboldo, et les maillets de Cuistot. Leur attaque combinée dura un petit moment, jusqu’à ce que Raptor, s’avouant finalement vaincu, tombe au sol, aux pieds de ceux qu’il avait toujours considéré comme des proies faciles.

            Arcimboldo aurait voulu le frapper plus, il aurait voulu décharger toute la haine qu’il éprouvait pour cette abomination qui lui avait enlevé son ami et l’avait grièvement blessé, mais il y avait plus important à faire. Ses camarades étaient éreintés, et avaient besoin de soins et de repos. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de haïr Raptor. Il matérialisa une énorme pastèque, plus grosse que sa propre tête, et se dirigea à proximité de Raptor qui gisait. Il brandit haut la pastèque et resta immobile, à fixer le crâne de Raptor. S’il laissait tomber sa pastèque dessus, il lui broierait la tête, et Raptor ne serait plus jamais un problème. Tout ce qu’il avait à faire, c’était lâcher le fruit, le laisser tomber, et tout serait fini.
            « Mais tu n’es pas un tueur. Tu vaux mieux que lui. Je me trompe ? claironna la voix de Greg qui, ayant posé sa main sur son épaule, le fit sortir de sa rêverie.
− Tu as raison…gardons cette pastèque, et partageons-là pour fêter notre victoire. » sourit Arcimboldo. Les Inutiles, triomphants, se regardèrent chacun, ne parvenant pas à réaliser l’exploit qu’ils venaient d’accomplir. Eux, qui s’étaient toujours sentis exclus, avaient réussis à vaincre l’une des plus grandes menaces du monde moderne. Déjà, les hordes de journalistes faisaient route vers eux. Textil n’avait plus qu’à sangler Raptor.

            « Bande…de minables petits merdeux…vous croyez que c’est fini ? balbutia Raptor en bavant de rage, il venait de se relever, bien qu’il paraissait lutter pour tenir sur ses jambes.
− Tu devrais laisser tomber, tu te fais du mal, déclara Atchoum-man.
− Ta gueule ! » répliqua Raptor qui fit un bond vers lui en rassemblant toute sa force.

Tout s’était passé très vite.
            Du ciel, une forme bleue est descendue à toute vitesse et avait heurté Raptor avec la violence d’un boulet de canon « Kratos ? » avait eu le temps de hurler Raptor, alors qu’il volait vers le mur de briques. Il se tenait là, devant tout le monde, le plus puissant des Super-héros, lévitant à une dizaine de centimètres au-dessus du sol. Son regard à l’air sévère était fixé sur Raptor, qui sortait des décombres en toussant. Raptor le regarda d’un œil incrédule « Mais que… » sa voix était presque suppliante. Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Kratos s’était précipité sur lui et l’avait cogné au ventre, coupant la respiration du reptile. Puis, il l’attrapa par les mollets et le fit tournoyer, l’envoyant dans les airs. A mi-hauteur, Kratos le rejoint en un bond supersonique et enchaîna les coups de poings. On aurait dit que Raptor était un fétu de paille ballotté par une tornade.
            Raijin venait de se relever, et soutenait Anima qui venait de reprendre connaissance. Ils regardaient, ahuris, l’exécution que Kratos avait réservé à Raptor.
            « C’est un sauvage, cracha avec mépris Raijin.
− Kratos…je ne le croyais pas comme ça… » souffla Anima, choquée.

            Finalement, la carcasse de Raptor tomba lourdement au sol, aux pieds de la Ligue des Inutiles, impressionnée par la démonstration de puissance de Kratos. Celui-ci atterrit auprès d’eux au moment même où les journalistes étaient installés sur les lieux de l’affrontement et commençaient leurs reportages en direct.
            « Alors la Ligue des Inutiles, j’espère que vous n’avez rien de cassé ? leur demanda Kratos avec un sourire amical.
− Oh. Mon. Dieu. Kratos ! s’écria Textil, impressionnée.
− Je le saurais si j’étais le dieu d’une aussi jolie fille, lui répondit Kratos avec un sourire charmeur.
− Vous avez mis du temps à venir, Kratos. » se contenta de rétorquer Atchoum-man. Le sourire de façade de Kratos s’estompa une demi-seconde et se transforma furtivement en rictus de rage. Atchoum-man, cependant, ne parut pas plus impressionné que cela. Il n’avait pas oublié que Kratos l’avait attaqué, Greg ne lui pardonnerait pas, et avait bien trop de haine envers lui pour en avoir peur.

            Arcimboldo regarda Raptor. Il était encore en vie, aussi étonnant que cela pouvait paraître. Il respirait bruyamment, apparemment, il avait des côtes cassées. Sa jambe gauche était aussi brisée, elle était pliée dans un angle peu naturel. Des dents acérées étaient éparpillées un peu partout autour de lui. Si ses dents ne repoussaient pas, il serait condamné à ne chasser plus que des pots de compote pour bébé ou de la purée. Arcimboldo ressentit une étrange pitié pour cette créature qu’il haïssait tant. Kratos l’avait détruit, et cela donnait un goût amer à sa victoire.

            « Tiens, mais c’est Pikachu, t’es toujours dans les bons coups, je vois ! s’exclama Kratos qui venait de voler jusqu’à Raijin.
− Kratos, rugit Raijin.
− Et Anima ? Quelle surprise, déclara Kratos d’une voix aussi glaciale que son sourire.
− Je ne pensais pas te voir ici, moi non plus.
− On dirait qu’il y a eu plus de peur que de mal, la Ligue des Inutiles est de nouveau au complet, dit-il.
− Cela doit bien t’emmerder, non ? le nargua Raijin.
− Qu’est-ce que tu racontes, Pikachu ? Je suis heureux que tout le monde s’en soit sorti indemne. Espérons qu’il en soit de même la prochaine fois. Vous savez que Sarramauca est en liberté, elle aussi ? »
            Anima eut un frisson. Il l’avait regardée en disant les derniers mots, et cela sonnait comme un avertissement, avec un léger parfum de menace. Pour la première fois de sa vie, elle vit à travers Kratos des ténèbres insondables. Il lui faisait peur, et elle était contente d’avoir Raijin à ses côtés. Elle se tourna vers lui, et pâlit. Il était tremblant et regardait Kratos en silence. Lui aussi avait peur.
            « Je vais parler aux journalistes. Vous venez avec moi ? Il y a peut-être des choses que vous voulez révéler à la presse ? les invita-t-il.
− Non…hoqueta Anima. Puis elle s’éloigna et partit de son côté.
Kuwabara, Kuwabara ! psalmodia Raijin. 
− Pardon ?
− C’est pour éloigner la foudre Kratos. Tu pourrais bien avoir besoin de cette formule, un de ces quatre. » sur ces mots, Raijin disparut dans un éclair.

            Kratos se retourna vers la Ligue des Inutiles, mais ils avaient disparu. Ils s’étaient sûrement éclipsés pendant qu’il discutait avec Raijin et Anima. Il aurait bien voulu en apprendre un peu plus sur eux avant qu’ils ne partent. Mais tant pis. Il se dirigea vers les journalistes, prêt pour une interview. Il était satisfait. Raptor, certes, avait lamentablement échoué dans sa mission, mais en arrivant pour le démolir, Kratos avait sauvé les apparences.

            « C’est un grand jour pour les Inutiles, je pense, qui, avec cette victoire, montrent que l’héroïsme est plus qu’une question de pouvoir. C’est une question de volonté, de courage et de cœur. C’est ce genre d’événement qui me donne envie de me battre pour cette planète et ses merveilleux habitants, déclarait Kratos en conférence de presse.
− Êtes-vous favorable à plus d’initiatives dans ce genre ? demanda un journaliste.
− J’ai pu apercevoir la Ligue des Inutiles, et le prix de leur bravoure a été quelques blessures qui paraissaient douloureuses. Je ne peux pas encourager les gens à s’exposer au danger, quelle que soit la raison, surtout si les risques ne sont pas calculés en amont. La Ligue des Inutiles a accompli là un exploit, mais la particularité d’un exploit n’est-elle pas son aspect exceptionnel ? »
            Mike éteignit la télé. Il en avait assez entendu. Il regarda ses amis, qui d’Inutiles étaient devenus des héros. Ils étaient tous installés sur le sofa et avaient suivi avec intérêt la conférence de presse.
            « Comme ça a dû lui faire mal aux boules de nous lancer des fleurs, ricana Greg.
− Tu devrais arrêter d’être aussi jaloux de lui, Greg. Je le trouve cool et séduisant, moi, répondit Claire.
− Désolé, j’ai du mal à admirer un gars qui m’a démoli le portrait.
− Tu as dû le chercher, si c’est vrai, et c’est pas vrai.
− Taisez-vous. On peut essayer de se contenter d’être fiers de nous et de nous réjouir d’avoir de nouveau Cédric avec nous ? trancha Gaëlle.
− Mais tu nous connais, on aime bien se foutre sur la gueule de temps en temps, s’exclama Gilles.
− Dans ce cas, je vais me contenter de me réjouir et d’être fier de vous à la place de tout le monde ! déclara Mike.
− Vous avez été extraordinaires, maintenant, vous jouez dans la cour des grands. » annonça Pascal avec un large sourire.

            Raptor a été placé en soins intensifs, puis en détention. Il n’a pas prononcé un seul mot depuis. Sans ses dents, il s’était senti comme émasculé. Il était impuissant. Il ne représentait plus vraiment une menace. On ne savait pas s’il était possible que ses dents repoussent, mais pour le moment, Raptor n’était que l’ombre de celui qu’il était.

            « Bravo Kratos, ton plan était superbe ! Faisons un bilan : quelques morts innocentes, notre équipière traumatisée au point qu’elle ne veut plus entendre parler de nous, ce qui a grandement affaibli la Conjuration des Etoiles, alors que la Ligue des Inutiles est ressortie encore plus forte. Aucune perte chez eux, et leur renommée a augmenté. J’ai oublié quelque chose ?
− Oui Gravitas. Tu as oublié que maintenant, Raijin est devenu notre ennemi, ajouta Terminacop.
− Oh vous avez peur de Pikachu ? Je l’explose quand je veux, répliqua Kratos.
− Tu sais Kratos, je commence à me demander si en fait tu n’es pas en train de faire en sorte de rendre la Ligue des Inutiles plus célèbre avec tes plans idiots, lança Terminacop.
− Je pourrais faire en sorte de rendre ta gueule plus tordue si tu n’arrêtes pas de me chercher des crosses, Terminacop.
− Alors c’est quoi le plan ? demanda Dragon.
− Je vais aller secouer les puces de Sarramauca. Si cette connasse avait travaillé avec Raptor, on en serait pas là, expliqua Kratos.
− Et pour Anima ?
− Elle pourrait poser un gros problème si elle parle. Dragon, tu la culbutais dans le passé. Assure-toi qu’elle garde ses lèvres scellées. Il vaut mieux que ce soit toi qui t’en charges. Mes arguments risquent d’être plus fracassants… »

            Il n’avait pas eu droit à une sépulture. C’était juste un clodo lambda aux yeux de tous. Mais pour lui, il était Andy, son ami. Cédric l’avait vengé, mais il ne ressentait pas de satisfaction particulière. Raptor devait être arrêté quoi qu’il en coûte. Il avait fait son devoir. Peut-être était-ce là plus important que la vengeance ? Peut-être ce dont avait besoin le pauvre Andy, c’était que l’on se souvienne de lui, et non pas d’être vengé ? Alors Cédric décida de se souvenir de lui, de se rappeler les paroles du sans-abri, qui le voyait non comme un Inutile, mais comme un Super-Héros. Alors Arcimboldo l’avait décidé. Il ne se verrait plus comme un Inutile, mais comme un Super-Héros.
            Il fit route vers le parc comme tous les mercredis soir, afin de distribuer ses fruits aux SDF. Il n’allait pas perdre cette habitude. Ces gens avaient besoin de lui, aussi il serait présent pour eux. C’était ce que devaient faire les Super-Héros après tout. Lorsqu’il arriva sur place, il fut surpris de voir deux silhouettes qu’il ne connaissait que trop bien. Textil et Cuistot étaient présents.
            « Le temps commence à se rafraîchir, alors je me disais que des vêtements chauds et des couvertures neuves ne seraient pas de trop pour eux, lui expliqua Textil tout en faisant apparaître des manteaux et des draps de laine qu’elle donnait aux sans-abris.
− Et moi, j’ai pris des cours de cuisine ! Tes fruits sont bons, mais je suis sûr que tes amis n’auront rien contre une bonne soupe de temps en temps, ajouta Cuistot en découpant des légumes avec ses pouvoirs, tandis qu’un réchaud faisait cuire du bouillon.
− Les gars… » Arcimboldo ne savait pas trop quoi répondre. Mais il était heureux de voir ses amis là, avec lui.

            On sonna chez Pascal avec insistance. Il était six heures trente du matin, il se demanda qui pouvait bien l’embêter à une heure pareille. Les yeux mi-clos, il se dirigea vers la porte, et constata avec surprise que c’était Greg qui se trouvait derrière la porte.
            « Salut, tu fais quoi là ? Il est quelle heure ? demanda Pascal, un peu déboussolé.
− Je voulais savoir si tu pouvais me rendre encore plus fort ?
− Comment ça ?
− Le combat contre Raptor était dur. J’ai pu voir ma limite. Je veux être plus fort. Je veux pouvoir être capable de mettre une mandale à Kratos.
− Vous êtes tous déjà bien assez fort…non…on n’est jamais assez fort quand on a ton regard, répliqua Pascal en tournant le dos à Greg avant d’ajouter : OK mon pote, je te préviens, tu vas roter du sang, parce que l’entraînement va être bien pire ! »

            Joël Pinker décrocha son téléphone, ce qui agaça son associé Wandrille qui n’avait pas fini de lui raconter l’histoire des cinq strip-teaseuses et de l’âne. Joël fut surpris d’entendre la voix de Fiona.
            « Je t’écoute, beauté.
− Je dois te parler de quelque chose, mais il faut que tu viennes dès que tu peux chez moi.
− Je ne sais pas si j’aurai le temps de venir, dit Kratos d’une voix hésitante. Il avait rendez-vous avec deux mannequins de la marque Victoria’s Secret et il avait bien l’intention de leur faire un défilé.
− Je crois que je connais l’identité de l’un des membres de la Ligue des Inutiles.
− Oh toi, tu sais comment me parler. » répliqua Kratos avec un grand sourire. Il regarda Wandrille, et lui demanda de le conduire chez Cassandre. Ce dernier soupira de dépit. Tant pis pour les mannequins.
            Seule dans son appartement, Fiona regarda un moment son téléphone. Elle avait fait le bon choix, elle le savait. Pourquoi alors avait-elle l’impression de trahir Greg, un ex-petit ami tout droit sorti de son adolescence ?


            Elle errait dans les catacombes, cachée de tous, ignorant encore qu’elle serait bientôt une brise annonciatrice d’une tempête qui devrait changer et détruire de nombreuses vies.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire