Raptor
les toisait tous, ces minables Inutiles qui se dressaient face à lui, avec ce
regard insupportable qui luisait à travers leurs masques. Ils semblaient tous
si suffisants, si bouffis d’orgueil, que son mépris pour eux ne faisait que
grandir, prendre de l’ampleur. Raijin et Anima étaient hors-combat, et lui-même
aussi commençait à fatiguer. Il commençait à payer le tribut réclamé par les
multiples décharges électriques de Raijin. Il dévisageait à présent Arcimboldo.
Il regrettait de ne pas avoir eu le temps de le dévorer, Raijin l’ayant fait
fuir alors qu’il s’apprêtait à finir le travail, ce soir-là. A présent, c’était
le héros aux fruits qui l’observait avec un regard de prédateur. Raptor
retroussa les lèvres. Il ne pourrait pas tenir longtemps à ce rythme, il
devrait fuir, et voir si ce faisant, il ne pourrait pas se débarrasser d’un ou
deux adversaires.
Mais
alors qu’il était plongé dans ses pensées, un ananas vola vers lui. Il
l’esquiva en faisant un bon sur le côté. Il fut alors surpris par un coup de
poêle en fonte sur la joue qui le sonna. Il voulut lacérer Cuistot qui était
sur sa droite, mais celui-ci s’éloigna en un bond. Il courut à sa poursuite,
mais trébucha, soulevant un épais nuage de poussière. Une ceinture en cuir
était apparue autour de ses chevilles. Il força, et ses jambes puissantes
détruisirent leur entrave. Raptor regarda partout, à la recherche d’une
victime. Son regard se posa sur Lumen. Il se précipita vers elle, mais cette
dernière ne bougeait pas. Il crut au début qu’elle avait été paralysée par la
peur, mais la détermination dans ses yeux contredisait ce point. Elle enclencha
son pouvoir, mais il ferma les yeux pour éviter la lumière rouge, tout en continuant
de courir. Il ressentit un choc énorme : il venait de se prendre la façade
d’un immeuble de plein fouet. Il poussa un hurlement bestial et chercha une
issue. Mais son regard était brouillé par les larmes qu’avaient provoqué Tear.
On
aurait dit une bête aux abois. Mais il n’inspirait pas de pitié à Arcimboldo
qui voyait là enfin l’occasion de venger Andy. Il courut vers Raptor, épaulé
par Atchoum-man et Cuistot. Une fois arrivés à proximité de l’ennemi,
Arcimboldo fit pousser des noix de coco bien mûres sur ses poings, tandis que
Cuistot transforma ses mains en maillets en inox. Les deux se placèrent de part
et d’autres de l’ennemi. Atchoum-man fit éternuer Raptor dont la tête se
projeta successivement vers les poings-coco d’Arcimboldo, et les maillets de
Cuistot. Leur attaque combinée dura un petit moment, jusqu’à ce que Raptor,
s’avouant finalement vaincu, tombe au sol, aux pieds de ceux qu’il avait
toujours considéré comme des proies faciles.
Arcimboldo
aurait voulu le frapper plus, il aurait voulu décharger toute la haine qu’il
éprouvait pour cette abomination qui lui avait enlevé son ami et l’avait
grièvement blessé, mais il y avait plus important à faire. Ses camarades
étaient éreintés, et avaient besoin de soins et de repos. Pourtant, il ne pouvait
s’empêcher de haïr Raptor. Il matérialisa une énorme pastèque, plus grosse que
sa propre tête, et se dirigea à proximité de Raptor qui gisait. Il brandit haut
la pastèque et resta immobile, à fixer le crâne de Raptor. S’il laissait tomber
sa pastèque dessus, il lui broierait la tête, et Raptor ne serait plus jamais
un problème. Tout ce qu’il avait à faire, c’était lâcher le fruit, le laisser
tomber, et tout serait fini.
« Mais
tu n’es pas un tueur. Tu vaux mieux que lui. Je me trompe ? claironna la
voix de Greg qui, ayant posé sa main sur son épaule, le fit sortir de sa
rêverie.
− Tu as raison…gardons cette pastèque,
et partageons-là pour fêter notre victoire. » sourit Arcimboldo. Les
Inutiles, triomphants, se regardèrent chacun, ne parvenant pas à réaliser
l’exploit qu’ils venaient d’accomplir. Eux, qui s’étaient toujours sentis
exclus, avaient réussis à vaincre l’une des plus grandes menaces du monde
moderne. Déjà, les hordes de journalistes faisaient route vers eux. Textil
n’avait plus qu’à sangler Raptor.
« Bande…de
minables petits merdeux…vous croyez que c’est fini ? balbutia Raptor en
bavant de rage, il venait de se relever, bien qu’il paraissait lutter pour
tenir sur ses jambes.
− Tu devrais laisser tomber, tu te fais
du mal, déclara Atchoum-man.
− Ta gueule ! » répliqua
Raptor qui fit un bond vers lui en rassemblant toute sa force.
Tout s’était passé très vite.
Du ciel,
une forme bleue est descendue à toute vitesse et avait heurté Raptor avec la
violence d’un boulet de canon « Kratos ? » avait eu le temps de
hurler Raptor, alors qu’il volait vers le mur de briques. Il se tenait là,
devant tout le monde, le plus puissant des Super-héros, lévitant à une dizaine
de centimètres au-dessus du sol. Son regard à l’air sévère était fixé sur
Raptor, qui sortait des décombres en toussant. Raptor le regarda d’un œil
incrédule « Mais que… » sa voix était presque suppliante. Il n’eut
pas le temps de finir sa phrase, Kratos s’était précipité sur lui et l’avait
cogné au ventre, coupant la respiration du reptile. Puis, il l’attrapa par les
mollets et le fit tournoyer, l’envoyant dans les airs. A mi-hauteur, Kratos le
rejoint en un bond supersonique et enchaîna les coups de poings. On aurait dit
que Raptor était un fétu de paille ballotté par une tornade.
Raijin
venait de se relever, et soutenait Anima qui venait de reprendre connaissance.
Ils regardaient, ahuris, l’exécution que Kratos avait réservé à Raptor.
« C’est
un sauvage, cracha avec mépris Raijin.
− Kratos…je ne le croyais pas comme
ça… » souffla Anima, choquée.
Finalement,
la carcasse de Raptor tomba lourdement au sol, aux pieds de la Ligue des
Inutiles, impressionnée par la démonstration de puissance de Kratos. Celui-ci
atterrit auprès d’eux au moment même où les journalistes étaient installés sur
les lieux de l’affrontement et commençaient leurs reportages en direct.
« Alors
la Ligue des Inutiles, j’espère que vous n’avez rien de cassé ? leur
demanda Kratos avec un sourire amical.
− Oh. Mon. Dieu. Kratos ! s’écria
Textil, impressionnée.
− Je le saurais si j’étais le dieu
d’une aussi jolie fille, lui répondit Kratos avec un sourire charmeur.
− Vous avez mis du temps à venir,
Kratos. » se contenta de rétorquer Atchoum-man. Le sourire de façade de
Kratos s’estompa une demi-seconde et se transforma furtivement en rictus de
rage. Atchoum-man, cependant, ne parut pas plus impressionné que cela. Il
n’avait pas oublié que Kratos l’avait attaqué, Greg ne lui pardonnerait pas, et
avait bien trop de haine envers lui pour en avoir peur.
Arcimboldo
regarda Raptor. Il était encore en vie, aussi étonnant que cela pouvait
paraître. Il respirait bruyamment, apparemment, il avait des côtes cassées. Sa
jambe gauche était aussi brisée, elle était pliée dans un angle peu naturel.
Des dents acérées étaient éparpillées un peu partout autour de lui. Si ses
dents ne repoussaient pas, il serait condamné à ne chasser plus que des pots de
compote pour bébé ou de la purée. Arcimboldo ressentit une étrange pitié pour
cette créature qu’il haïssait tant. Kratos l’avait détruit, et cela donnait un
goût amer à sa victoire.
« Tiens,
mais c’est Pikachu, t’es toujours dans les bons coups, je vois ! s’exclama
Kratos qui venait de voler jusqu’à Raijin.
− Kratos, rugit Raijin.
− Et Anima ? Quelle surprise,
déclara Kratos d’une voix aussi glaciale que son sourire.
− Je ne pensais pas te voir ici, moi
non plus.
− On dirait qu’il y a eu
plus de peur que de mal, la Ligue des Inutiles est de nouveau au complet,
dit-il.
− Cela doit bien
t’emmerder, non ? le nargua Raijin.
− Qu’est-ce que tu racontes,
Pikachu ? Je suis heureux que tout le monde s’en soit sorti indemne.
Espérons qu’il en soit de même la prochaine fois. Vous savez que Sarramauca est
en liberté, elle aussi ? »
Anima
eut un frisson. Il l’avait regardée en disant les derniers mots, et cela
sonnait comme un avertissement, avec un léger parfum de menace. Pour la
première fois de sa vie, elle vit à travers Kratos des ténèbres
insondables. Il lui faisait peur, et elle était contente d’avoir Raijin à
ses côtés. Elle se tourna vers lui, et pâlit. Il était tremblant et
regardait Kratos en silence. Lui aussi avait peur.
« Je
vais parler aux journalistes. Vous venez avec moi ? Il y a peut-être des
choses que vous voulez révéler à la presse ? les invita-t-il.
− Non…hoqueta Anima. Puis elle s’éloigna
et partit de son côté.
− Kuwabara,
Kuwabara ! psalmodia Raijin.
− Pardon ?
− C’est pour éloigner la foudre Kratos.
Tu pourrais bien avoir besoin de cette formule, un de ces quatre. » sur
ces mots, Raijin disparut dans un éclair.
Kratos
se retourna vers la Ligue des Inutiles, mais ils avaient disparu. Ils s’étaient
sûrement éclipsés pendant qu’il discutait avec Raijin et Anima. Il aurait bien
voulu en apprendre un peu plus sur eux avant qu’ils ne partent. Mais tant pis.
Il se dirigea vers les journalistes, prêt pour une interview. Il était
satisfait. Raptor, certes, avait lamentablement échoué dans sa mission, mais en
arrivant pour le démolir, Kratos avait sauvé les apparences.
« C’est
un grand jour pour les Inutiles, je pense, qui, avec cette victoire, montrent
que l’héroïsme est plus qu’une question de pouvoir. C’est une question de
volonté, de courage et de cœur. C’est ce genre d’événement qui me donne envie
de me battre pour cette planète et ses merveilleux habitants, déclarait Kratos
en conférence de presse.
− Êtes-vous favorable à plus
d’initiatives dans ce genre ? demanda un journaliste.
− J’ai pu apercevoir la Ligue des
Inutiles, et le prix de leur bravoure a été quelques blessures qui paraissaient
douloureuses. Je ne peux pas encourager les gens à s’exposer au danger, quelle
que soit la raison, surtout si les risques ne sont pas calculés en amont. La
Ligue des Inutiles a accompli là un exploit, mais la particularité d’un exploit
n’est-elle pas son aspect exceptionnel ? »
Mike
éteignit la télé. Il en avait assez entendu. Il regarda ses amis, qui
d’Inutiles étaient devenus des héros. Ils étaient tous installés sur le sofa et
avaient suivi avec intérêt la conférence de presse.
« Comme
ça a dû lui faire mal aux boules de nous lancer des fleurs, ricana Greg.
− Tu devrais arrêter d’être aussi
jaloux de lui, Greg. Je le trouve cool et séduisant, moi, répondit Claire.
− Désolé, j’ai du mal à admirer un gars
qui m’a démoli le portrait.
− Tu as dû le chercher, si c’est vrai,
et c’est pas vrai.
− Taisez-vous. On peut essayer de se
contenter d’être fiers de nous et de nous réjouir d’avoir de nouveau Cédric
avec nous ? trancha Gaëlle.
− Mais tu nous connais, on aime bien se
foutre sur la gueule de temps en temps, s’exclama Gilles.
− Dans ce cas, je vais me contenter de
me réjouir et d’être fier de vous à la place de tout le monde ! déclara
Mike.
− Vous avez été extraordinaires,
maintenant, vous jouez dans la cour des grands. » annonça Pascal avec un
large sourire.
Raptor a
été placé en soins intensifs, puis en détention. Il n’a pas prononcé un seul
mot depuis. Sans ses dents, il s’était senti comme émasculé. Il était
impuissant. Il ne représentait plus vraiment une menace. On ne savait pas s’il
était possible que ses dents repoussent, mais pour le moment, Raptor n’était
que l’ombre de celui qu’il était.
« Bravo
Kratos, ton plan était superbe ! Faisons un bilan : quelques morts
innocentes, notre équipière traumatisée au point qu’elle ne veut plus entendre
parler de nous, ce qui a grandement affaibli la Conjuration des Etoiles, alors
que la Ligue des Inutiles est ressortie encore plus forte. Aucune perte chez
eux, et leur renommée a augmenté. J’ai oublié quelque chose ?
− Oui Gravitas. Tu as oublié que
maintenant, Raijin est devenu notre ennemi, ajouta Terminacop.
− Oh vous avez peur de Pikachu ?
Je l’explose quand je veux, répliqua Kratos.
− Tu sais Kratos, je commence à me
demander si en fait tu n’es pas en train de faire en sorte de rendre la Ligue
des Inutiles plus célèbre avec tes plans idiots, lança Terminacop.
− Je pourrais faire en sorte de rendre
ta gueule plus tordue si tu n’arrêtes pas de me chercher des crosses,
Terminacop.
− Alors c’est quoi le plan ?
demanda Dragon.
− Je vais aller secouer les puces de
Sarramauca. Si cette connasse avait travaillé avec Raptor, on en serait pas là,
expliqua Kratos.
− Et pour Anima ?
− Elle pourrait poser un gros problème
si elle parle. Dragon, tu la culbutais dans le passé. Assure-toi qu’elle garde
ses lèvres scellées. Il vaut mieux que ce soit toi qui t’en charges. Mes
arguments risquent d’être plus fracassants… »
Il
n’avait pas eu droit à une sépulture. C’était juste un clodo lambda aux
yeux de tous. Mais pour lui, il était Andy, son ami. Cédric l’avait vengé, mais
il ne ressentait pas de satisfaction particulière. Raptor devait être arrêté
quoi qu’il en coûte. Il avait fait son devoir. Peut-être était-ce là plus
important que la vengeance ? Peut-être ce dont avait besoin le pauvre
Andy, c’était que l’on se souvienne de lui, et non pas d’être vengé ? Alors
Cédric décida de se souvenir de lui, de se rappeler les paroles du sans-abri,
qui le voyait non comme un Inutile, mais comme un Super-Héros. Alors
Arcimboldo l’avait décidé. Il ne se verrait plus comme un Inutile, mais comme
un Super-Héros.
Il fit
route vers le parc comme tous les mercredis soir, afin de distribuer ses fruits
aux SDF. Il n’allait pas perdre cette habitude. Ces gens avaient besoin de lui,
aussi il serait présent pour eux. C’était ce que devaient faire les Super-Héros
après tout. Lorsqu’il arriva sur place, il fut surpris de voir deux silhouettes
qu’il ne connaissait que trop bien. Textil et Cuistot étaient présents.
« Le
temps commence à se rafraîchir, alors je me disais que des vêtements chauds et
des couvertures neuves ne seraient pas de trop pour eux, lui expliqua Textil
tout en faisant apparaître des manteaux et des draps de laine qu’elle donnait
aux sans-abris.
− Et moi, j’ai pris des cours de
cuisine ! Tes fruits sont bons, mais je suis sûr que tes amis n’auront
rien contre une bonne soupe de temps en temps, ajouta Cuistot en découpant des
légumes avec ses pouvoirs, tandis qu’un réchaud faisait cuire du bouillon.
− Les gars… » Arcimboldo ne savait
pas trop quoi répondre. Mais il était heureux de voir ses amis là, avec lui.
On sonna
chez Pascal avec insistance. Il était six heures trente du matin, il se demanda
qui pouvait bien l’embêter à une heure pareille. Les yeux mi-clos, il se
dirigea vers la porte, et constata avec surprise que c’était Greg qui se
trouvait derrière la porte.
« Salut,
tu fais quoi là ? Il est quelle heure ? demanda Pascal, un peu
déboussolé.
− Je voulais savoir si tu pouvais me
rendre encore plus fort ?
− Comment ça ?
− Le combat contre Raptor était dur.
J’ai pu voir ma limite. Je veux être plus fort. Je veux pouvoir être capable de
mettre une mandale à Kratos.
− Vous êtes tous déjà bien assez
fort…non…on n’est jamais assez fort quand on a ton regard, répliqua Pascal en
tournant le dos à Greg avant d’ajouter : OK mon pote, je te préviens, tu
vas roter du sang, parce que l’entraînement va être bien pire ! »
Joël
Pinker décrocha son téléphone, ce qui agaça son associé Wandrille qui n’avait
pas fini de lui raconter l’histoire des cinq strip-teaseuses et de l’âne. Joël
fut surpris d’entendre la voix de Fiona.
« Je
t’écoute, beauté.
− Je dois te parler de quelque chose,
mais il faut que tu viennes dès que tu peux chez moi.
− Je ne sais pas si j’aurai le temps de
venir, dit Kratos d’une voix hésitante. Il avait rendez-vous avec deux
mannequins de la marque Victoria’s Secret et il avait bien l’intention de leur
faire un défilé.
− Je crois que je connais l’identité de
l’un des membres de la Ligue des Inutiles.
− Oh toi, tu sais comment me
parler. » répliqua Kratos avec un grand sourire. Il regarda Wandrille, et
lui demanda de le conduire chez Cassandre. Ce dernier soupira de dépit. Tant
pis pour les mannequins.
Seule
dans son appartement, Fiona regarda un moment son téléphone. Elle avait fait le
bon choix, elle le savait. Pourquoi alors avait-elle l’impression de trahir
Greg, un ex-petit ami tout droit sorti de son adolescence ?
Elle
errait dans les catacombes, cachée de tous, ignorant encore qu’elle serait
bientôt une brise annonciatrice d’une tempête qui devrait changer et détruire
de nombreuses vies.
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