Chapitre 15

            Il avait hurlé son nom et s’était jeté sur lui. Il était ivre de rage. Il a commencé à lancer des noix de coco sur lui, mais il évitait ses attaques en sautant de façon irréelle. Arcimboldo affrontait une créature dans la nuit, mais il n’avait pas le droit au luxe de la peur. Les yeux jaunes de Raptor le fixaient, et cela lui mettait les nerfs en pelote. Il voulait le détruire, il mit tout ce qu’il avait…mais il n’avait pas fait le poids. En quelques secondes, Raptor s’était faufilé jusqu’à lui et avait griffé son torse. Il n’avait pas eu le temps de se protéger en faisant pousser des fruits sur la zone ciblée par son ennemi mortel. Il avait senti une douleur déchirante, comme si on lui avait lacéré les boyaux. Il était tombé au sol, et sentait le sang chaud s’écouler de sa plaie. Paralysé par la douleur, il ne pouvait que voir Raptor se pencher sur lui, passant sa langue sur ses dents acérées. Arcimboldo se souvint cependant avoir vu luire un éclair avant de perdre connaissance…

            « C’est un Inutile alors ? demanda Anima à Raijin qui changeait les pansements d’Arcimboldo qui dormait.

− Oui, c’est une des personnes que toi et tes amis essayez de tuer.

− Il a survécu à sa rencontre avec Raptor…

− Et avec Ondine aussi. Ses amis le cherchent, et ils ont du cran.

− Tu es venu à leur secours contre Ondine, il me semble.

− Oui, Kratos n’avait absolument pas apprécié d’ailleurs, et il est venu me le faire savoir.

− Tu vois qu’ils ne devraient pas se mettre en danger. Regarde-le, et pour Ondine tu as eu besoin de jouer au baby-sitter !

− Tu n’y es absolument pas. Je crois qu’ils s’en seraient sortis parfaitement sans moi. » Anima le regarda avec un air incrédule. Pourquoi donc Raijin manifestait-il une telle confiance à ces inconnus aux pouvoirs minables ? Elle regarda Arcimboldo, allongé, les yeux clos, l’air complètement vulnérable, puis ses yeux s’attardèrent sur la blessure. Elle était sérieuse, mais il avait survécu. « Les cafards aussi survivent à des choses incroyables, ça n’en fait pas les rois du monde pour autant » s’exclama-t-elle avec un haussement d’épaules.

            Raptor était chez lui, avec ses gars. Ceux-ci avaient pensé à leur chef par intérim. Ils avaient kidnappé un mauvais payeur et le lui avaient apporté en pâture. Ainsi, le mutant allait pouvoir manger un peu de chair fraîche, sans se faire surprendre par Kratos. Après tout, son repas avait des problèmes avec la mafia, il pouvait bien disparaître. Les hommes que lui avaient prêté Devreaux étaient pour lui de bons gars, loyaux et sadiques. Il leur prodiguait un spectacle jouissif en bouffant la victime qu’ils lui avaient apporté sur un plateau, et ceux-ci étaient fascinés par le spectacle. Nul doute que quand il les rendrait à Lionel, ce seraient tous des tueurs psychopathes aussi vicieux qu’il l’avait été. Une fois qu’il eut terminé de dévorer le pauvre bougre, l’un de ses gars lui apporta un mouchoir blanc et nettoya les lèvres de son mutant de chef, dans une attitude servile. Les autres s’installèrent autour du fauteuil sur lequel Raptor avait pris place.

            « Les gars, vous avez fait un super travail, je suis très fier de vous. J’ai toutes les informations possibles sur les Inutiles, et je peux vous dire qu’ils sont prenables. On va les provoquer encore une fois…une dernière fois.

− Alors ça y est ? Vous êtes prêt, patron ? demanda l’un des hommes.

− Est-ce qu’on pourra au moins en descendre un ? Le Cuistot me doit une balafre, ajouta un type patibulaire dont le visage était traversé d’une bien disgracieuse cicatrice.

− Non, vous me les laissez, la nourriture, c’est bien mieux quand c’est vivant. Mais vous pourrez regarder ! » rétorqua avec un grand rire Raptor. L’homme qui lui essuyait la bouche jeta le mouchoir dans une poubelle. Celui-ci était devenu tout rouge.

            Michael était seul chez lui. Il regardait par la fenêtre. Il avait voulu redonner confiance en eux à ses amis de la Ligue des Inutiles et avait réussi. Il voulait prouver au monde entier que ce n’étaient pas les pouvoirs qui faisaient le héros. Il voulait que les gens effacent la frontière qu’ils avaient placé entre ceux qui étaient dotés de pouvoirs impressionnants et les autres. Il voulait que sans aucune hésitation, on appelle la Ligue des Inutiles au secours. Mais avait-il le droit de vouloir cela, maintenant que lui aussi doutait de la Ligue ? Arcimboldo avait disparu, et quand la bande de Lumen devait s’attaquer à de simples voyous, ça allait. Mais là, ils étaient passés à la vitesse supérieure. Ondine, Pierre, et probablement bientôt Raptor, les ennemis de la Ligue commençaient à avoir des noms célèbres, et des pouvoirs capables de donner le change, et même, d’écraser la Ligue. Mike se demandait s’il croyait autant en eux que ce qu’il affirmait. Il voulait être capable de se dire que ses comparses gagneraient, afficher une assurance à toute épreuve, mais ça lui était impossible. La Ligue des Inutiles allait se faire massacrer par Raptor, et il aurait leurs morts sur la conscience.

            Un jour, on annonça que des braqueurs s’étaient attaqués à une petite boutique de dératisation, non loin du quartier Montparnasse, et qu’ils avaient pris en otage les employés, en menaçant de les exécuter s’ils voyaient une voiture de police apparaître. La Ligue prit le véhicule et se précipita sur les lieux. Michael remarqua qu’ils étaient tous tendus, quand ils montèrent dans le van. Sa mine s’assombrit, et il garda le silence. Il aurait voulu au moins leur souhaiter bonne chance.

            « Ce crime n’a aucun sens, déclara Textil.

− C’est une provocation, c’est évident, répondit Lumen.

− Raptor sera là…j’en mettrai ma main à couper, la voix de Tear était sombre.

− Il y a des chances pour que tu te retrouves vraiment avec une main en moins. Textil pourrais-tu renforcer un peu nos tenues avec du kevlar ? demanda Cuistot.

− Très bien, mais ça va nous alourdir, et nous ralentir.

− Alors pas pour moi, merci, déclara Greg. J’ai besoin de toute ma rapidité surtout contre Raptor.

− Tu as raison Atchoum-man, Raptor est très rapide, et ses griffes sont très tranchantes. On va faire deux équipes. L’une d’elle sera au contact, l’autre attaquera à distance. Cuistot et moi, on sera en première ligne. On va avoir besoin de tenues renforcées. Greg, tu nous serviras de soutien, de même que Tear. Brouillez sa vue, ma stratégie dépend de vous. Il pourrait vouloir s’attaquer à vous, soyez prêts à esquiver, et pour ça vous devez avoir besoin de toute votre agilité possible. Textil, en retrait tu es la pièce maîtresse du combat. Dès qu’on l’aura mis KO tu nous l’emballes le plus serré possible. C’est noté ? » Tout le monde acquiesça aux recommandations de Lumen, qui fit tout son possible pour ne pas montrer qu’elle était transie de peur.

            Le véhicule arriva sur les lieux, et comme ils s’y attendaient, les Inutiles eurent la surprise de voir les bandits qu’ils commençaient à bien connaître partir sans un mot de la boutique. Les voitures de police n’étaient pas visibles devant la boutique. Pourtant, quand la compagnie de malfrats disparut au coin de la rue, des sirènes se mirent à hurler, avant de s’éloigner, plongeant la rue dans un silence morbide. Les Inutiles restèrent immobiles, leurs membres tremblaient, mais leur résolution était inébranlable.

            Les employés sortirent à leur tour de la boutique en courant, et passèrent à proximité de la Ligue des Inutiles. « Partez ! Il y a un monstre ! » hurlaient-ils à leur encontre en fuyant. A ces mots, un frisson parcourut la nuque de Claire, elle regarda ses compagnons, leurs yeux devaient exprimer la même peur que celle qui devait être peinte sur les siens. Ils restèrent immobiles et attendirent en regardant la porte de la boutique.

            Celle-ci s’ouvrit lentement, et une forme en sortit. Celle-ci était encapuchonnée dans un plaid brun effiloché. Dans un geste vif, la silhouette se débarrassa de sa draperie, dévoilant à la lumière du soleil son apparence. Pour la mise en scène, Raptor avait décidé de s’habiller uniquement d’un jean ravagé. Ses écailles luisaient au soleil, faisant briller son corps reptilien puissant. Il prit une posture plus animale qu’humaine, et de ses yeux de serpent, il fixa chacun des Inutiles. Quand son regard accrocha celui d’Atchoum-man, il fit sortir une griffe rétractile de la taille d’un briquet et se mit à la lécher de sa langue fourchue. Puis, il adressa à ses adversaires un sourire acéré effrayant démontrant des dents tranchantes comme des rasoirs.

            « Ligues des Inutiles, je viens de vous trouver une utilité, dans ma panse ! » siffla-t-il. Et sa voix avait un quelque chose d’inhumain qui horrifia toute l’assistance. Lumen, dont la tenue avait changé (elle était renforcée, couvrait plus de peau et ressemblait à une tenue d’intervention rouge, la jupe fut remplacée par un pantalon de cuir et son masque était devenu intégral, ne dévoilant plus que le bas de son visage et ses yeux.) fit un pas en arrière. Raptor était en train de tous les effrayer. Et il était très fier de ce résultat. Comme un serpent qui fascine un oiseau avant de le dévorer, il avait paralysé ses proies qui le regardaient en silence.

            « Vous m’avez cherché, je crois. Réjouissez-vous, je viens à vous. Mais je ne crois pas que vous aimerez la fin de toute cette histoire. Votre pote la salade de fruits ne m’a pas suffi, vous savez ? Vous êtes tous là, appétissants, une belle brochette de minables…oh oui, vous êtes tous pitoyables, tellement pitoyables, que ça m’ouvre l’appétit ! Je vais me faire un plaisir de tous vous…ATCHOUM ! » Atchoum-man avait claqué des doigts et interrompu le monologue de l’ennemi.

            « Tu devrais la fermer, les discours de méchant avant le combat, c’est un poncif vieux et inutile. Surtout que tu n’as pas l’air d’avoir grand-chose à dire, se contenta-t-il de dire.

− Tu parles comme un prédateur, mais c’est toi notre proie, ajouta Tear.

− Tu parles de bouffe, mais c’est toi le plat de résistance, mon pote ! » s’exclama Cuistot en transformant tous ses doigts en couteaux. Lumen les regarda avec étonnement. Ils faisaient parfaitement illusion, tous les trois. On n’aurait pas cru qu’ils étaient pétris de trouille, en les regardant. Il était hors de question de laisser la vedette aux garçons.

            « On a dit au monde entier qu’on allait te faire bouffer tes dents ! Tu comprends que maintenant, on est obligés de joindre le geste à la parole ! s’exclama-t-elle.

− Ne t’inquiète pas, sac à main, le plâtre ça va être tendance pour toi cette année ! » ajouta Textil en frappant du poing sur sa paume. A présent la Ligue des Inutiles souriait. Ils avaient tous fait évacuer la pression en invectivant Raptor. Lumen savait à qui elle devait ce sentiment de légèreté. Elle lança un sourire à Atchoum-man qui avait été le premier à interrompre le terrible mutant. Il lui répondit d’un clin d’œil complice.

            « Très bien, pas de bla-bla ! On passe tout de suite au banquet ! » s’exclama Raptor tout en fondant sur eux.

            Les jambes puissantes du mutant l’avaient propulsé à toute vitesse au milieu d’eux. Ils ne l’avaient pas vu bouger, et n’avaient pas eu le temps de se mettre en formation. « Am, stram, gram » chantonnait il en observant les Inutiles immobilisés par la surprise. Il lança son regard vers Textil. « Toi ! » et plongea vers elle en ouvrant grand la gueule. Elle poussa un cri. Cuistot réagit rapidement et lança des coups de couteaux au reptile. Les lames se brisèrent contre ses écailles solides, mais il l’avait suffisamment gêné pour interrompre son attaque. Il regarda Cuistot et lui donna un coup de pied violent qui envoya l’Inutile voler contre la vitrine de la boutique. Puis, il se tourna vers Textil et relança son attaque. Il mordit avec fureur le bras de l’Inutile. Mais il ne parvint pas à trouver les chairs. Textil avait in-extremis matérialisé une manche faite de la couche la plus épaisse possible de Kevlar. Raptor secoua la tête pour lui déchiqueter le bras, Textil fit alors apparaître sur elle une véritable armure de Kevlar. Raptor lâcha prise, ce ne serait que de la perte de temps de s’acharner « Ne t’inquiète pas, je te ferai sortir de ta boîte de conserve ». Il venait de finir sa phrase quand Tear s’était précipité sur lui et avait lancé un coup de poing sur sa tempe. Mais Raptor avait la peau dure, et le héros au masque s’était fait mal au poignet. Raptor lança un coup de griffe que Tear esquiva d’un bond en arrière. Sa tenue souffrit de l’attaque, alors que trois estafilades venaient de se creuser au niveau du torse. Raptor éternua alors, et sa tête heurta le genou de Lumen. Il l’avait sentie passer celle-là. Les yeux de Lumen se mirent à luire, il détourna le regard vers la droite, et ne vit pas le coup que Cuistot lui préparait sur sa gauche. Un wok se fracassa sur sa joue. Raptor fit un bond en arrière et secoua la tête pour se remettre les idées en place. « Vous vous débrouillez bien. Mais ce ne sera pas suffisant. Allez, j’arrête de jouer avec la nourriture. On y va sérieusement cette fois ! »

            Raptor se lança à corps perdu sur Atchoum-man et donna des coups de griffe que le héros en vert évita tant bien que mal. Il fut néanmoins touché au bras. Greg trébucha au sol, Raptor posa sa jambe puissante sur son estomac et fit pression. Les griffes rétractiles de ses orteils sortirent, lacérant ses chaussures et dévoilant des pattes animales. Atchoum-man poussa un hurlement de douleur et cracha du sang. Tear se jeta tête baissée sur Raptor et le bouscula, libérant Atchoum-man du poids de l’ennemi. Pour toute réponse, Raptor lança un violent coup de pied à Gilles qui s’écrasa contre le mur. Le mutant entreprit de lui mordre la jugulaire. « Lumen ! Maintenant ! » cria d’une voix affolée Tear. Lumen actionna son pouvoir et visa l’œil de Raptor qui cligna, donnant de précieuses secondes à Tear pour faire monter les larmes aux yeux de l’ennemi. Lumen relança son laser, amplifié par les larmes. Il était aveuglé, Cuistot écrasa une poêle sur le sommet du crâne de Raptor et tira Tear de l’emprise de l’ennemi.

            Les membres de la Ligue s’éloignèrent pendant que Raptor était sonné. Textil soutenait Atchoum-man et avait fait apparaître des bandages autour des blessures de ce dernier et de Tear. Puis, elle fit apparaître un sac de toile sur la tête de Raptor, qui enflait au rythme de sa respiration. Lumen en profita pour s’élancer contre l’ennemi. Elle tenta un balayage qui fit trébucher Raptor, mais ne suffit pas à le mettre à terre. Elle donna des coups de poings au sternum du monstre, puis lança un coup de poing à son visage. Mais Raptor avait déchiré le sac au niveau de la mâchoire et y emprisonnait le bras de Lumen. Le sang se mit à couler abondamment de la blessure, tandis que les larmes s’échappaient de ses yeux. Elle crut que Raptor allait lui arracher le bras, alors qu’elle sentait ses crocs traverser le kevlar pour entailler les chairs. Atchoum-man s’était précipité vers eux, et lança un coup de poing hasardeux qui atteint le monstre à l’œil. Il poussa un cri, et Lumen put enfin dégager son bras.

            Les membres de la Ligue des Inutiles se regroupèrent afin de se passer en revue. A l’exception de Textil, ils étaient tous blessés et épuisés. Textil n’avait pas arrêté d’utiliser son pouvoir, et elle en ressentait une fatigue mentale qu’elle ignorait pouvoir manifester. Jamais elle n’avait eu à utiliser son pouvoir de façon aussi frénétique. Lumen haletait, elle n’arrivait pas à trouver d’angle d’attaque. Même si Atchoum-man ou Tear parvenaient à l’immobiliser, ses écailles étaient trop dures pour Cuistot qui invariablement cassait les ustensiles qu’il fracassait contre le monstre. Celui-ci pouvait les briser sans problème, semblait-il, mais après autant d’ustensiles ruinés, et d’utilisation de son pouvoir, il commençait à en ressentir les limites : une vive douleur aux doigts. De son coté, Raptor avait l’air en forme. Il paraissait juste plus énervé qu’au début du combat.

            En deux bonds, il s’était retrouvé au milieu d’eux. De nouveau, il visa Textil qu’il jugeait être la plus dangereuse. Il la mordit à l’épaule et l’envoya valser au loin avec sauvagerie. Puis il éternua sur le poing d’Atchoum-man. Il griffa Lumen au dos, la faisant pirouetter. Par réflexe, elle tira son laser sur les écailles du monstre. La douleur à sa tête réapparut, fugace, et à sa grande surprise, Raptor fit un bond en arrière, comme s’il avait été brûlé par quelque chose, ou piqué par une aiguille. Elle le remarqua avant de s’effondrer au sol. Atchoum-man fit éternuer Raptor, dont le visage vint heurter le poing de Tear. Le dinosaure-humain se rétablit très vite et d’un coup, mit Tear à terre. Puis, il se tourna vers Atchoum-man et rugit. Mais, une marmite de fonte s’écrasa sur sa tête. Se retournant, il fit face à Cuistot qui poussait un cri de rage et de douleur mêlées. Il allait le lacérer, mais Atchoum-man le ceintura par derrière. Il fit éternuer plusieurs fois Raptor qui se cogna à répétition sur la lourde marmite de fonte avec une telle violence que celle-ci se brisa. La douleur projeta Cuistot au sol. Enfin, Raptor mordit le bras d’Atchoum-man, le jeta au sol et augmenta la pression de sa redoutable mâchoire.

            Greg ne sentait plus la douleur, elle explosait en chaîne dans tous les recoins de son corps, et sa vision se mettait à se troubler. Il jeta un œil à ses compagnons. Tous gisaient au sol, blessés. Lumen était couverte de sang, et essayait sans succès de se relever. Textil était sans connaissance au loin, Cuistot allongé sur le ventre tendait le bras vers lui, et essayait de se relever en s’appuyant sur son front. Greg constata que Raptor était sur lui et avait lâché son bras, à présent, il le regardait et lui disait des mots qu’il ne parvenait pas à comprendre. Un bourdonnement assourdissant résonnait dans ses oreilles. Tout ce qu’il savait, c’est que ce que lui disait Raptor était sûrement propre à l’énerver.

            « Ferme là, lézard débile. Ta gueule… » se répétait-il sans cesse. Il vit alors Raptor éternuer, coupant son monologue. Atchoum-man eut un petit sourire. C’est alors qu’un éclair apparut de nulle part et toucha le mutant au torse qui s’envola au loin.

            Raijin avait fait mouche, il fut heureux que Raptor, en ayant éternué, n’ait pas pu déceler sa présence. « Anima, va mettre la Ligue des Inutiles en lieu sûr ! » hurla-t-il. Raptor se releva et le regarda, Raijin lança un nouvel éclair sur lui.

« Minute mon pote, ce n’est pas ce qui était convenu ! J’ai le droit de les attaquer ! J’ai un arrangement avec Kratos !

− J’emmerde Kratos ! » lui répondit Raijin en lui balançant une nouvelle décharge qui le heurta de plein fouet. Raijin remarqua que Raptor n’était pas aussi vif qu’à l’accoutumée. Il paraissait épuisé. Etait-il possible que la Ligue des Inutiles lui ait donné autant de fil à retordre, au point de le pousser au bout de ses forces ?

            Anima prit possession du corps de chacun des Inutiles afin de rendre plus facile leur déplacement. Raptor les vit du coin de l’œil se relever les uns après les autres, pour se mettre à l’abri. Comprenant ce qu’il se tramait, il s’adressa à Anima.

            « Qu’est-ce que tu fous Anima ? C’est ma bouffe ! Kratos m’a autorisé à les dévorer ! Et c’est toi qui m’a libéré, je pensais que tu étais d’accord avec le plan !

− Souvent femme varie. » lui répondit Anima qui était dans le corps de Tear. Cette réponse ne satisfit pas Raptor qui s’élança avec rage vers Anima, dont le corps inanimé (comme chaque fois qu’elle utilisait ses pouvoirs) reposait non loin. Mais il fut stoppé net dans sa course. En un éclair (littéralement), Raijin s’était retrouvé face à lui. Son poing était zébré d’arcs électriques, c’était son coup de poing défibrillateur. Il frappa Raptor au visage, et celui-ci perdit le sens de l’équilibre et de l’orientation.

            Quand Anima eut terminé d’évacuer les blessés, elle alla les rejoindre. Elle grimaça devant les blessures.

« Tout ça, c’est ma faute, dit-elle plus pour elle-même.

− Vous…vous êtes Anima ? Vous êtes venue nous filer un coup de main ? murmura Lumen qui venait de se réveiller.

− On peut dire…que vous avez pris votre temps… » lâcha Textil, qui, à peine après avoir repris connaissance, fit apparaître des bandages serrés autour des blessures de ses amis.

            Raptor passait un sale moment, mais il semblait que la peur commençait à lui donner des ailes. Il était remarquablement résistant, ayant pris de plein fouet de nombreuses attaques de Raijin. Il parvenait à présent à en esquiver certaines. Il avait le regard glacé de haine à présent. Ses écailles, dont certaines étaient carbonisées, fumaient, et il n’avait plus qu’un but à présent, tuer tout ce qu’il avait sous les yeux. Il n’avait plus que ça à l’esprit. C’était comme si sa partie humaine avait perdu connaissance après tous ces chocs électriques, laissant libre cours à sa partie animale. Sa posture elle-même n’avait plus rien d’humain. Il ne réfléchissait plus, il réagissait à l’instinct. Il s’adaptait.

            Finalement, il parvint à prendre Raptor de vitesse et à le griffer au bras, déchirant sa manche gauche, dévoilant la peau noire du héros sur laquelle trois estafilades venaient ajouter une touche de rouge vif. Mais Raijin n’allait pas se laisser abattre pour si peu, il reprit ses attaques, mais à présent, une sur trois seulement touchait sa cible.

            « Il a l’air de galérer…souffla Atchoum-man qui venait de reprendre connaissance.

− Raptor a une endurance absolument incroyable. Vous l’avez bien fatigué, mais à présent, il agit à l’instinct. C’est devenu un animal, il est encore plus dangereux, et je crois que Raijin a du mal à suivre le rythme, déclara Anima.

− Raijin va s’en sortir ? Non ? demanda Tear avec une pointe d’inquiétude.

− C’est la première fois que quelqu’un encaisse autant de ses attaques. Raijin ne va pas tarder à s’épuiser, répondit Anima avant d’ajouter : ce qu’il faudrait, c’est l’immobiliser le temps que Raijin lui porte un coup décisif. Si je pouvais le posséder…

− Ben faites-le ! s’écria Cuistot.

− Je vous ai dit que c’était devenu un animal. Je ne peux posséder que les êtres humains. Il faut que Raptor revienne à lui pour que je puisse prendre possession de son corps. Et même là, son instinct animal me rejetterait en moins d’une minute.

− J’ai peut-être une idée. Atchoum-man, immobilise-le, Tear, mouille lui les yeux avec autant d’eau que possible ! » s’écria Lumen qui se releva et avait repris du poil de la bête. Ses deux compagnons obéirent.

            Raptor éternua, ce qui le coupa dans son élan alors qu’il envisageait de bondir sur Raijin. C’est à ce moment que Tear utilisa son pouvoir pour faire pleurer le monstre. Des larmes abondantes coulaient le long des joues de Raptor. « Il a le visage humide Raijin ! » hurla Lumen de toutes ses forces. Raijin hocha la tête. Raptor éternua une seconde fois, ce qui l’immobilisa, puis Raijin envoya une décharge en pleine tête. Le mutant poussa un terrible hurlement. « Putain ! » hurla-t-il. Anima saisit cet instant d’humanité pour posséder Raptor. Une fois qu’elle prit possession de son corps, elle prit une pose moins agressive, et écarta les bras.

            « Raijin, dit-elle de la voix sifflante de Raptor, vise le cœur ! Finissons-en avec lui !

− Ne sois pas stupide Anima ! Si je le tue alors que tu es en lui, tu grilleras avec lui !

− Peu importe. C’est moi qui ait lâché cette chose sur le monde, tu n’as qu’à te dire que je vais le surveiller en enfer. Mais dépêche-toi Raijin, il va m’éjecter de son corps, je le sens…

− Anima…

− Arrête d’hésiter ! Tue-le ! C’est la bonne chose à faire !

− Anima. Tu es une véritable héroïne. » déclara Raijin après un instant de silence nécessaire pour affirmer sa résolution. Il ne voulait pas faire ce qu’il s’apprêtait à faire, mais il n’avait pas le choix. Il devrait sacrifier Anima. Des arcs électriques bleutés se formèrent sur sa paume, qu’il tendait vers Raptor. Il visa le cœur, et sous sa cagoule intégrale coulaient peut-être des larmes.

            « Rappelle-leur à tous ce que c’est qu’être un vrai Super-héros, d’accord ? » déclara Anima dans la voix de Raptor. Raijin lança alors l’éclair. Celui-ci se fraya un chemin depuis la paume du héros et s’approcha à la vitesse de la lumière du torse offert de Raptor. Le corps inerte d’Anima reposait à côté des Inutiles qui regardaient, fascinés, et horrifiés, les événements dramatiques qui se déroulaient sous leurs yeux. L’éclair s’approcha de plus en plus du torse.

Mais il s’estompa avant d’atteindre sa cible…

            Raijin n’avait plus de forces. Il avait échoué. Raptor afficha avec son visage le désespoir d’Anima. Elle n’allait pas tarder à être éjectée du corps de l’ennemi par la part animale de sa personnalité. Raijin tomba à genoux, il était à bout de forces. La Ligue des Inutiles fut submergée par le désespoir quand Anima était revenue à elle. Ils étaient tous hors-combat, et leur ennemi s’était rétabli. Il n’y avait plus qu’à attendre qu’il les massacre. Raptor leur lança un regard de prédateur, puis en poussa le cri, avant de s’élancer vers eux. Par réflexe, Anima se posta devant ceux contre qui elle avait conspiré, dans une attitude protectrice.

            Atchoum-man regardait en silence la scène. Raptor approchait, Anima qui s’élançait vers lui. Il la repoussa comme si elle n’avait été qu’un simple obstacle. Il devait faire quelque chose, pas seulement pour sauver sa peau, mais pour Claire, pour Gilles, Mehdi et aussi pour Gaëlle.

Une main forte se posa sur son épaule.

            Atchoum-man ouvrit de grands yeux. La main qui l’avait touché à l’épaule était attachée à une silhouette qu’il désespérait de voir. Devant lui se tenait Arcimboldo. Il avait matérialisé une énorme noix de coco et la lança à la tête de Raptor qui stoppa sa course et le regarda avec méfiance.

            « Arcimboldo ! Tu es vivant mec ! hurla Cuistot les larmes aux yeux.

− Ce monstre est ma proie ! Mais je suis partageur. La Ligue des Inutiles, vous êtes prêts au combat ?

− Je me suis assez reposé ! J’ai promis qu’on allait le savater, répondit Atchoum-man qui avait repris de poil de la bête.

− La Ligue des Inutiles est à présent au maximum de sa force ! Pas de quartiers, on doit se montrer dignes de Raijin et Anima ! » s’écria Lumen comme un commandant qui motive ses troupes.

            La Ligue des Inutiles s’élança alors sans peur vers son adversaire prête pour un dernier assaut.