lundi 29 mai 2017

Partie 2: Chapitre 12

Jean-Pierre Le Mène affichait un air hautain, plein de résolution, un air d’une gravité solennelle, celle d’un homme qui a un projet, une mission. Les caméras étaient tournées vers lui, de même que les regards de ses sympathisants qui s’étaient massés pour participer à sa conférence de presse. Le politicien avait été le seul à prendre la parole en public.
             « Mes chers concitoyens, vous le savez, vous l’avez vécu dans votre chair… nous sommes tombés dans une période sombre. La période du cauchemar, la période des ténèbres. Un monstre s’est libéré de ses chaînes pour nous mettre sous sa coupe. Cet homme, ce monstre, vous le connaissez, pour les multiples crimes qu’il a commis au cours de son existence. Pour les crimes qu’il s’apprête à commettre.
            Ce monstre, nous l’avons hélas laissé se développer. Ce laxisme, cette acceptation de la dénaturation de notre humanité, est le facteur qui a permis à ce démon nommé Gepetto de s’élever et de marcher parmi nous. Durant toute ma carrière politique, je vous avais mis en garde contre ces « Supers » et le danger qu’ils représentent. Pour cela j’ai été insulté, chahuté, dénigré… »
            Michael venait d’éteindre la télévision. Il était entouré des membres de la Ligue des Inutiles. Il poussa un soupir de lassitude qui brisa le silence pesant qui régnait dans la pièce.
            « Les charognards sont de sortie, se contenta-t-il de déclarer.
— C’est l’année du vautour. Mais je crains que Jean-Pierre Le Mène bénéficie de cette crise au final, cracha Gilles avec dégoût.
— Une chose après l’autre. Que fait-on au sujet de Gepetto ? demanda Cédric.
— Je ne sais pas… répondit Greg.
— Comment ça tu ne sais pas ? Je pensais que tu nous encouragerais à lui péter la gueule ! s’étonna Gilles.
— Péter la gueule de Gepetto ? Tu rêves ? s’exclama Mehdi.
— Nous sommes censé prouver que rien n’est impossible à des Inutiles… souffla dans un petit ricanement Gilles.
— TU CROIS QUE C’EST MARRANT ? s’écria Mehdi dans un soudain accès de colère et de panique. Il y eut un long silence.
— Med ? Tu… tu vas bien ? s’enquit Claire avec une lueur d’étonnement dans les yeux.
— Oh… excusez-moi… c’est la panique… se contenta de dire Mehdi en s’asseyant, l’air sombre.
— A d’autres. Tu as un passif avec Gepetto. Je me trompe ? » demanda Fabrice
            Mehdi ne répondit pas, mais son regard trahissait un effroi glacé. Il se mura dans un silence profond. Chacun échangea un regard empli d’étonnement. Finalement, il prit une profonde inspiration.
            « Mon père, c’était un super-héros très célèbre. C’était Cimeterre. » déclara-t-il, et sa voix alourdit l’atmosphère. Nul n’ignorait que Cimeterre était un membre des Wonder 13, et que le groupe avait été massacré par Gepetto seul. Il les avait forcés à s’entretuer, sous l’œil des caméras. Cette journée sanglante avait été particulièrement traumatisante. Les gens y avaient perdu leur bouclier, avant que Kratos et Raijin ne fondent la Conjuration des Etoiles. La détresse de Cuistot était compréhensible.
            « Il était enfermé dans la même prison que Sarah. Pas étonnant que je n’aie pas pu la voir. J’espère qu’elle va bien.
— J’imagine que les autorités ont voulu étouffer l’affaire en suspendant les visites, observa Michael.
— On fait quoi, nous ? demanda Arcimboldo.
— Je ne sais pas. Mais vous ne pouvez pas foncer stupidement sur Gepetto. Tout ce que vous y gagnerez, c’est de devenir ses pantins., répondit Michael.
— Mais vu qu’il était en cage, son pouvoir ne doit plus être un secret pour personne ? Du coup on devrait pouvoir le gérer le vieux, non ? demanda Fabrice.
— Il a réussi à s’évader de prison. Je soupçonne Gepetto d’avoir gardé des atouts dans sa manche. Ce serait du suicide d’aller l’affronter ouvertement.
— Je suis d’accord avec Mike, observa Greg qui était anormalement prudent.
— Alors quoi, on attend la providence ? demanda Textil.
— Non. Je ne peux pas vous empêcher de combattre Gepetto. Et je ne peux pas vous donner d’astuces. Par contre… — Michael fit une pause, comme s’il réfléchissait — Oui. Gepetto peut vous forcer à utiliser vos pouvoirs. Mais il ne peut pas les comprendre. Le secret, c’est de mieux les connaître que lui, je dirais.
— C’est un peu vague comme conseil, Mike, lança Claire, une pointe de déception dans la voix.
— On dit souvent qu’il faut apprendre à connaître ses ennemis, pour les vaincre. Mais je pense qu’il vaut mieux se connaître soi-même. Non ?
— Je vois, si on connaît toutes les subtilités de nos pouvoirs, on peut avoir une marge de manœuvre contre Gepetto, ce n’est pas stupide… observa Greg. 
— Hé, arrête de faire comme si tu étais le cerveau de l’équipe ! » ronchonna Gilles.
            Greg ne lui prêta pas attention. Que pouvait bien signifier le fait de connaître ses pouvoirs ? Quelles étaient les implications ? Il avait saisi ce que voulait dire Michael, mais il avait du mal à formuler le propos. C’était comme si on venait de lui demander de décrire le temps.

            L’hôtesse d’accueil ne pouvait détacher son regard de la jeune femme en combinaison de motarde qui venait d’entrer dans la permanence du parti Humanité. Cette femme avait quelque chose de glacial, mais d’incroyablement envoûtant. Belle, elle l’était assurément. Mais elle avait ce regard hypnotique, qui semblaient voir au-delà de tout. Des yeux qui tranchaient avec son visage juvénile constellé d’une galaxie de tâches de rousseurs. Elle avança vers le pupitre d’une démarche assurée et féline. Elle regarda l’hôtesse d’accueil qui semblait presque être en transe.
            « J’aimerais voir monsieur Le Mène. J’ai un rendez-vous avec lui. Dit la motarde d’une voix d’une clarté mélodieuse.
— Puis-je avoir votre nom, et une pièce d’identité ? balbutia l’hôtesse.
— Non. Dites-lui simplement que la nuit point à l’horizon. »
            Elle ne saurait dire pourquoi, mais il lui paraissait logique que cette femme, cette apparition ne lui donne ni nom ni pièce d’identité. Il ne viendrait à personne l’idée de demander une pièce d’identité à un elfe, ou à un fantôme, ou toute autre créature surnaturelle. Cette femme avait quelque chose qui n’était pas de ce monde. Elle s’exécuta et contacta Le Mène qui lui demanda de faire entrer l’inconnu dans son bureau.

            Cette dernière lui lança un léger sourire avant de se diriger vers sa destination, ses cheveux laissant une traînée rouge derrière elle. Elle était belle. L’hôtesse se rendit compte, en regardant son reflet dans son miroir de poche, qu’elle était devenue pâle. Et elle tremblait. Elle était sous le charme, mais elle était surtout incroyablement effrayée.
           
            Quand Nyx entra dans le bureau, elle constata que Jean-Pierre Le Mène était en train de regarder une retransmission de son discours. Elle regarda autour d’elle, posant ses yeux dans la pièce. Des affiches électorales, des meubles remplis de livres… elle reconnut des auteurs dont les idées étaient très à droite, certains auteurs étaient des racistes et des suprémacistes reconnus, vestiges d’une époque sans pouvoirs où les hommes trouvaient un moyen de se discriminer sur la couleur de leur peau et leurs bagages culturels. Aujourd’hui, ces différences s’étaient estompées, au profit d’une menace plus inquiétante aux yeux des suprématistes que toutes les divergences culturelles et religieuses du monde : l’évolution, le changement.
            « Vous êtes un politicien remarquable, Jean-Pierre, observa Nyx.
— Je vous remercie, répondit l’homme.
— Il n’y a pas de quoi, ce n’est pas un compliment. Vous avez vite fait de récupérer l’affaire Gepetto. Cela susciterait presque le respect. Si on oublie que vous êtes un vautour.
— La politique est un monde de charognards, ma chère Nyx. Ce ne sont pas les plus forts qui survivent dans ce monde, mais les plus opportunistes. » répondit-il avec un sourire amer.

            Nyx n’aimait vraiment pas cet homme. Mais elle avait tout de même répondu à sa convocation. Il l’intriguait. Elle avait beau le mépriser, Jean-Pierre Le Mène était un homme suffisamment inquiétant pour susciter son intérêt.
            « Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ?
— Nyx, je veux que vous tuiez Gepetto pour moi.
— Rien que ça ?
— Il est sorti au bon moment, mais il reste un danger. Il a donné un coup de pied dans la fourmilière, mais tant qu’il sera présent, il bloquera l’accès au trône.
— Donc il me suffit de tuer Gepetto et vous devenez le roi ? demanda avec une pointe d’ironie.
— Vous tuez Gepetto, les gens sont rassurés, et je les préviens contre les autres dégénérés de votre genre qui courent les rues. Je leur promets une solution miracle, ils votent pour moi, et paf ! Les pleins pouvoirs.
— C’est vraiment aussi simple ?
— Ce n’est pas avec des idées qu’on se fait élire, ma chère Nyx. Mais avec la peur. Vous y connaissez un rayon dans ce domaine. Tuez Gepetto et je vous promets un chèque mémorable.
— Navrée, mais je ne suis pas capable d’affronter Gepetto. Il est bien trop dangereux. »
            Jean-Pierre Le Mène ouvrit de grands yeux. Il ne s’attendait pas à entendre ces mots de la bouche de Nyx.
            « Vous avez peur de Gepetto ?
— Imaginez un instant que Gepetto parvient à m’avoir sous son contrôle… il aurait un moyen de dissuasion digne de l’arme nucléaire. Il n’aurait qu’à me jeter un peu partout pour faire un carnage. »
            Le politicien sursauta. Il n’avait effectivement pas envisagé cette possibilité. Nyx était bien trop dangereuse pour risquer de la perdre entre les mains de Gepetto. Pourtant, le vieux criminel devait mourir, et Nyx était la personne idéale pour ce travail.
            « Réfléchissez-y. à la fin, tout ce que je veux, c’est que Gepetto crève dans un caniveau sans qu’on sache ce qui lui est arrivé. Ma proposition reste ouverte. Maintenant, retirez-vous. » Nyx, sans un mot se dirigea vers la sortie.
            Elle marcha jusqu’à sa moto qu’elle enfourcha. Cependant, avant d’enclencher le starter, son casque encore dans les mains, elle lança un regard par-dessus son épaule. La rue semblait déserte. Pourtant elle ouvrit la bouche.
            « Whisper, j’espère que si tu me suis, c’est uniquement parce que je te fascine.
— Pourquoi tu fais affaire avec Jean-Pierre Le Mène ? demanda une voix qui semblait sortie de nulle part.
— Je pourrais te le dire, mais après cela, je serai obligée de te tuer. » répondit Nyx avec un petit clin d’œil malicieux.
            Comme sorti de nulle part, Whisper se matérialisa et lança à Nyx un regard de défi. Il n’y avait aucune trace de peur dans ses yeux. Pas plus que dans ceux de Nyx. En revanche, l’envie de tuer était bien présente. Finalement, Nyx enfila son casque, et démarra son véhicule.
            « Si je te revois dans les parages, Devreaux en entendra parler. Et ce sera peut-être la dernière chose qu’on se dira, lui et moi.
— Tu menaces Lionel Devreaux ? »

            Mais Nyx ne lui répondit pas. Le moteur de sa moto rugissait, et sa silhouette s’éloignait dans la jungle des rues.

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