Jean-Pierre Le Mène affichait un air
hautain, plein de résolution, un air d’une gravité solennelle, celle d’un homme
qui a un projet, une mission. Les caméras étaient tournées vers lui, de même
que les regards de ses sympathisants qui s’étaient massés pour participer à sa
conférence de presse. Le politicien avait été le seul à prendre la parole en
public.
Ce
monstre, nous l’avons hélas laissé se développer. Ce laxisme, cette acceptation
de la dénaturation de notre humanité, est le facteur qui a permis à ce démon
nommé Gepetto de s’élever et de marcher parmi nous. Durant toute ma carrière
politique, je vous avais mis en garde contre ces « Supers » et le
danger qu’ils représentent. Pour cela j’ai été insulté, chahuté,
dénigré… »
Michael
venait d’éteindre la télévision. Il était entouré des membres de la Ligue des
Inutiles. Il poussa un soupir de lassitude qui brisa le silence pesant qui
régnait dans la pièce.
« Les
charognards sont de sortie, se contenta-t-il de déclarer.
— C’est l’année du vautour. Mais je crains
que Jean-Pierre Le Mène bénéficie de cette crise au final, cracha Gilles avec
dégoût.
— Une chose après l’autre. Que fait-on au
sujet de Gepetto ? demanda Cédric.
— Je ne sais pas… répondit Greg.
— Comment ça tu ne sais pas ? Je
pensais que tu nous encouragerais à lui péter la gueule ! s’étonna Gilles.
— Péter la gueule de Gepetto ? Tu
rêves ? s’exclama Mehdi.
— Nous sommes censé prouver que rien n’est
impossible à des Inutiles… souffla dans un petit ricanement Gilles.
— TU CROIS QUE C’EST MARRANT ?
s’écria Mehdi dans un soudain accès de colère et de panique. Il y eut un long
silence.
— Med ? Tu… tu vas bien ?
s’enquit Claire avec une lueur d’étonnement dans les yeux.
— Oh… excusez-moi… c’est la panique… se
contenta de dire Mehdi en s’asseyant, l’air sombre.
— A d’autres. Tu as un passif avec
Gepetto. Je me trompe ? » demanda Fabrice
Mehdi
ne répondit pas, mais son regard trahissait un effroi glacé. Il se mura dans un
silence profond. Chacun échangea un regard empli d’étonnement. Finalement, il
prit une profonde inspiration.
« Mon
père, c’était un super-héros très célèbre. C’était Cimeterre. »
déclara-t-il, et sa voix alourdit l’atmosphère. Nul n’ignorait que Cimeterre
était un membre des Wonder 13, et que le groupe avait été massacré par Gepetto
seul. Il les avait forcés à s’entretuer, sous l’œil des caméras. Cette journée
sanglante avait été particulièrement traumatisante. Les gens y avaient perdu
leur bouclier, avant que Kratos et Raijin ne fondent la Conjuration des
Etoiles. La détresse de Cuistot était compréhensible.
« Il
était enfermé dans la même prison que Sarah. Pas étonnant que je n’aie pas pu
la voir. J’espère qu’elle va bien.
— J’imagine que les autorités ont voulu
étouffer l’affaire en suspendant les visites, observa Michael.
— On fait quoi, nous ? demanda
Arcimboldo.
— Je ne sais pas. Mais vous ne pouvez pas
foncer stupidement sur Gepetto. Tout ce que vous y gagnerez, c’est de devenir
ses pantins., répondit Michael.
— Mais vu qu’il était en cage, son pouvoir
ne doit plus être un secret pour personne ? Du coup on devrait pouvoir le
gérer le vieux, non ? demanda Fabrice.
— Il a réussi à s’évader de prison. Je
soupçonne Gepetto d’avoir gardé des atouts dans sa manche. Ce serait du suicide
d’aller l’affronter ouvertement.
— Je suis d’accord avec Mike, observa Greg
qui était anormalement prudent.
— Alors quoi, on attend la
providence ? demanda Textil.
— Non. Je ne peux pas vous empêcher de
combattre Gepetto. Et je ne peux pas vous donner d’astuces. Par contre… —
Michael fit une pause, comme s’il réfléchissait — Oui. Gepetto peut vous forcer
à utiliser vos pouvoirs. Mais il ne peut pas les comprendre. Le secret, c’est
de mieux les connaître que lui, je dirais.
— C’est un peu vague comme conseil, Mike,
lança Claire, une pointe de déception dans la voix.
— On dit souvent qu’il faut apprendre à
connaître ses ennemis, pour les vaincre. Mais je pense qu’il vaut mieux se
connaître soi-même. Non ?
— Je vois, si on connaît toutes les
subtilités de nos pouvoirs, on peut avoir une marge de manœuvre contre Gepetto,
ce n’est pas stupide… observa Greg.
— Hé, arrête de faire comme si tu étais le
cerveau de l’équipe ! » ronchonna Gilles.
Greg
ne lui prêta pas attention. Que pouvait bien signifier le fait de connaître ses
pouvoirs ? Quelles étaient les implications ? Il avait saisi ce que
voulait dire Michael, mais il avait du mal à formuler le propos. C’était comme
si on venait de lui demander de décrire le temps.
L’hôtesse
d’accueil ne pouvait détacher son regard de la jeune femme en combinaison de
motarde qui venait d’entrer dans la permanence du parti Humanité. Cette femme
avait quelque chose de glacial, mais d’incroyablement envoûtant. Belle, elle
l’était assurément. Mais elle avait ce regard hypnotique, qui semblaient voir
au-delà de tout. Des yeux qui tranchaient avec son visage juvénile constellé
d’une galaxie de tâches de rousseurs. Elle avança vers le pupitre d’une
démarche assurée et féline. Elle regarda l’hôtesse d’accueil qui semblait
presque être en transe.
« J’aimerais
voir monsieur Le Mène. J’ai un rendez-vous avec lui. Dit la motarde d’une voix
d’une clarté mélodieuse.
— Puis-je avoir votre nom, et une pièce
d’identité ? balbutia l’hôtesse.
— Non. Dites-lui simplement que la nuit
point à l’horizon. »
Elle
ne saurait dire pourquoi, mais il lui paraissait logique que cette femme, cette
apparition ne lui donne ni nom ni pièce d’identité. Il ne viendrait à personne
l’idée de demander une pièce d’identité à un elfe, ou à un fantôme, ou toute
autre créature surnaturelle. Cette femme avait quelque chose qui n’était pas de
ce monde. Elle s’exécuta et contacta Le Mène qui lui demanda de faire entrer
l’inconnu dans son bureau.
Cette
dernière lui lança un léger sourire avant de se diriger vers sa destination,
ses cheveux laissant une traînée rouge derrière elle. Elle était belle.
L’hôtesse se rendit compte, en regardant son reflet dans son miroir de poche,
qu’elle était devenue pâle. Et elle tremblait. Elle était sous le charme, mais
elle était surtout incroyablement effrayée.
Quand
Nyx entra dans le bureau, elle constata que Jean-Pierre Le Mène était en train
de regarder une retransmission de son discours. Elle regarda autour d’elle,
posant ses yeux dans la pièce. Des affiches électorales, des meubles remplis de
livres… elle reconnut des auteurs dont les idées étaient très à droite,
certains auteurs étaient des racistes et des suprémacistes reconnus, vestiges d’une
époque sans pouvoirs où les hommes trouvaient un moyen de se discriminer sur la
couleur de leur peau et leurs bagages culturels. Aujourd’hui, ces différences
s’étaient estompées, au profit d’une menace plus inquiétante aux yeux des
suprématistes que toutes les divergences culturelles et religieuses du
monde : l’évolution, le changement.
« Vous
êtes un politicien remarquable, Jean-Pierre, observa Nyx.
— Je vous remercie, répondit l’homme.
— Il n’y a pas de quoi, ce n’est pas un
compliment. Vous avez vite fait de récupérer l’affaire Gepetto. Cela
susciterait presque le respect. Si on oublie que vous êtes un vautour.
— La politique est un monde de
charognards, ma chère Nyx. Ce ne sont pas les plus forts qui survivent dans ce
monde, mais les plus opportunistes. » répondit-il avec un sourire amer.
Nyx
n’aimait vraiment pas cet homme. Mais elle avait tout de même répondu à sa
convocation. Il l’intriguait. Elle avait beau le mépriser, Jean-Pierre Le Mène
était un homme suffisamment inquiétant pour susciter son intérêt.
« Pourquoi
m’avez-vous fait venir ici ?
— Nyx, je veux que vous tuiez Gepetto pour
moi.
— Rien que ça ?
— Il est sorti au bon moment, mais il
reste un danger. Il a donné un coup de pied dans la fourmilière, mais tant
qu’il sera présent, il bloquera l’accès au trône.
— Donc il me suffit de tuer Gepetto et
vous devenez le roi ? demanda avec une pointe d’ironie.
— Vous tuez Gepetto, les gens sont
rassurés, et je les préviens contre les autres dégénérés de votre genre qui
courent les rues. Je leur promets une solution miracle, ils votent pour moi, et
paf ! Les pleins pouvoirs.
— C’est vraiment aussi simple ?
— Ce n’est pas avec des idées qu’on se
fait élire, ma chère Nyx. Mais avec la peur. Vous y connaissez un rayon dans ce
domaine. Tuez Gepetto et je vous promets un chèque mémorable.
— Navrée, mais je ne suis pas capable
d’affronter Gepetto. Il est bien trop dangereux. »
Jean-Pierre
Le Mène ouvrit de grands yeux. Il ne s’attendait pas à entendre ces mots de la
bouche de Nyx.
« Vous
avez peur de Gepetto ?
— Imaginez un instant que Gepetto parvient
à m’avoir sous son contrôle… il aurait un moyen de dissuasion digne de l’arme
nucléaire. Il n’aurait qu’à me jeter un peu partout pour faire un
carnage. »
Le
politicien sursauta. Il n’avait effectivement pas envisagé cette possibilité.
Nyx était bien trop dangereuse pour risquer de la perdre entre les mains de
Gepetto. Pourtant, le vieux criminel devait mourir, et Nyx était la personne
idéale pour ce travail.
« Réfléchissez-y.
à la fin, tout ce que je veux, c’est que Gepetto crève dans un caniveau sans
qu’on sache ce qui lui est arrivé. Ma proposition reste ouverte. Maintenant,
retirez-vous. » Nyx, sans un mot se dirigea vers la sortie.
Elle
marcha jusqu’à sa moto qu’elle enfourcha. Cependant, avant d’enclencher le
starter, son casque encore dans les mains, elle lança un regard par-dessus son
épaule. La rue semblait déserte. Pourtant elle ouvrit la bouche.
« Whisper,
j’espère que si tu me suis, c’est uniquement parce que je te fascine.
— Pourquoi tu fais affaire avec
Jean-Pierre Le Mène ? demanda une voix qui semblait sortie de nulle part.
— Je pourrais te le dire, mais après cela,
je serai obligée de te tuer. » répondit Nyx avec un petit clin d’œil
malicieux.
Comme
sorti de nulle part, Whisper se matérialisa et lança à Nyx un regard de défi.
Il n’y avait aucune trace de peur dans ses yeux. Pas plus que dans ceux de Nyx.
En revanche, l’envie de tuer était bien présente. Finalement, Nyx enfila son
casque, et démarra son véhicule.
« Si
je te revois dans les parages, Devreaux en entendra parler. Et ce sera
peut-être la dernière chose qu’on se dira, lui et moi.
— Tu menaces Lionel Devreaux ? »
Mais
Nyx ne lui répondit pas. Le moteur de sa moto rugissait, et sa silhouette
s’éloignait dans la jungle des rues.
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