Partie 2: Chapitre 10

            « Et vous pensez quoi de Joignez l’Inutile à l’agréable ? C’est cool comme slogan, non ? demanda Wandrille.

— Non, c’est nul ! Et je t’ai dit qu’on ne voulait pas d’un slogan de merde ! grogna Tear.

— En tout cas, toi tu joins l’Inutile à au désagréable… » maugréa Wandrille dans sa barbe. La porte de l’appartement de Greg s’ouvrit, dévoilant Textil et Cuistot. Les deux venaient d’arriver et ils semblaient agités.

            « Les gars, même Rocco est arrivé à l’heure, vous foutiez quoi ? s’exclama Wandrille.

— Atchoum-Man, allume la télé ! » s’écria Cuistot.

            Sans chercher plus d’explications, Greg alluma la télévision. Une édition spéciale d’actualité était diffusée. David Pujadiste, le présentateur avait une mine sombre et sérieuse qui ne parvenait pas à cacher la lueur d’excitation qui scintillait dans son regard.

             « Je vous rappelle l’information principale, Terminacop, super héros affilié à l’Egide s’est lancé dans une furie meurtrière. Il déambule dans les rues, et tire au hasard. Des blessés sont dénombrés, mais pour le moment, le bilan ne fait état d’aucun mort. Je rappelle toutefois que ce bilan n’est que provisoire.

            Nous sommes à présent en contact avec Jean-Pierre le Mène, leader du parti humanité. Jean-Pierre, vous êtes connu pour des discours appelant à la méfiance vis-à-vis des supers. J’imagine que cet attentat vous conforte dans vos idées ?

— Monsieur David Pujadiste, il faut savoir faire preuve de décence, dans ces moments de crise je pense. — déclara Jean-Pierre le Mène, en réprimant un sourire. — Cependant, avec des exemples comme Raijin, Kratos et à présent Terminacop, je pense que nous avons la preuve que les Super sont des individus dangereux et instables.

— Mais qu’en est-il de l’ère de l’héroïsme dans laquelle nous vivons ?

— Nous ne vivons pas une ère d’héroïsme. Il y a des super-criminels, et des super-héros, mais il paraît évident que ces soi-disant héros sont surtout attirés par les démonstrations de force. L’humanité n’est pas prête à manipuler des pouvoirs aussi puissants. J’imagine, qu’il ne vous viendrait pas à l’idée de confier une arme à un singe ? ... »

            Wandrille afficha un air dégoûté. Il détestait Jean-Pierre le Mène du fond du cœur. Il était très mauvais pour le business. Le pire était que son discours touchait de plus en plus de personnes sans pouvoirs. Wandrille avait pour travail de les faire rêver de ces héros, Le Mène avait pour but de susciter la peur. En un sens, on pouvait dire que Jean-Pierre le Mène était la némésis de Wandrille.

            « Non mais vous avez entendu ce connard ? » s’exclama-t-il à l’adresse de la Ligue en se retournant. Il se rendit compte alors qu’il était seul dans l’appartement. Il ne douta pas un seul instant que la Ligue était partie à la rencontre de Terminacop. Il s’en frotta les mains. S’ils remportaient le combat, les contrats pub allaient pleuvoir.

            Terminacop avait une démarche complètement erratique, on aurait dit qu’il ne contrôlait pas ses mouvements. Chaque fois qu’il pointait l’un de ses canons vers une victime, il hurlait comme une bête. Son casque était ébréché, et on pouvait voir son œil vert qui semblait se porter partout dans un mouvement frénétique, un peu comme s’il cherchait de l’aide. Sa peau était pâle comme la mort. Et pour ce que l’on pouvait en voir, des larmes abondantes semblaient couler le long de ses joues.

            Il vit alors des silhouettes qu’il connaissait très bien. C’était l’Egide. Ils étaient enfin là pour l’arrêter. Gravitas, Lumen, Punch, Singham et le Géant. Ils le regardaient tous avec un air contrit.

            « Terminacop, je peux savoir ce que tu es en train de faire ? s’exclama Gravitas avec une voix lourde de reproches.

— Gravitas ! C…c’est lui ! Il… mais il ne put finir sa phrase, car déjà son bras se dressa face à ses compagnons, et chacun de ses doigts devint un canon de mitrailleuse.

— Il va tirer ! s’écria Singham.

— Je m’en occupe ! » s’écria le Géant. Il grandit alors, et son bras gigantesque servit de bouclier à ses amis lorsque Terminacop fit feu. Les balles n’eurent pas plus d’effet que des piqûres de moustique.

            Terminacop vit alors une lumière rouge se réfléchir sur le lampadaire en face de lui. Lumen apparut dessus, tenant Punch par un bras. Elle lança sa jeune adversaire vers Terminacop. Celui-ci fit un bond surnaturel, comme s’il avait été soulevé par une main invisible. Il évita le coup de poing de Punch qui détruisit le bitume. Aussitôt après cette attaque, Singham, partiellement transformé en lion sauta par-dessus le bras de Géant. Sous sa forme métamorphosée, il avait une longue crinière, des traits félins, et un corps bien plus robuste, ses mains devenant de puissantes pattes griffues.

            Tout en rugissant, il lança des coups de griffes à Terminacop qui les esquiva toujours en bougeant de façon surnaturelle. Son bras se transforma en canon qu’il pointa sur son camarade. Celui-ci parvint à esquiver le tir au bon moment en un saut. Gravitas pointa ses deux bras en direction de Terminacop.

            « S’il faut t’immobiliser, je suis la personne idéale, tu le sais très bien Terminacop ! ». Elle se concentra alors et augmenta la gravité de quelques G autour de Terminacop. Ses mouvements devinrent plus lourds, et finalement, il tomba au sol. Gravitas fut troublée de constater que dans l’œil visible de Terminacop, du soulagement était lisible. Pourtant, son bras bougea, en dépit des difficultés vers elle, et se transforma en un gros canon. Il hurla de détresse au moment où il tira.

            Géant avait pu arrêter l’obus, et protéger Gravitas qui intensifia sa concentration. Le poids était devenu extrêmement lourd pour Terminacop.

            « Je ferai ce qu’il faut pour que tu ne sois plus une menace, Terminacop ! » hurla Gravitas d’une voix chevrotante. Ce dernier poussa un cri de douleur déchirant, il avait l’impression d’être écrasé. So casque se mit à se fissurer, dans un bruit de craquellement. Lumen s’aperçut qu’il crachait du sang.

            « Gravitas ! Relâche la pression, tu vas le broyer !

— Je le sens lutter, si je le relâche, il va attaquer tout ce qui bouge, répliqua Gravitas.

— Hé la vieille ! On ne va pas commencer à tuer les nôtres ! » la rabroua Punch.

            Elle avait raison, s’était dit Gravitas. Elle allait finir par le tuer si elle continuait. Elle relâcha la pression. Mais comme elle l’avait elle-même prévu, aussitôt qu’il eut toute latitude pour bouger, Terminacop s’était remis debout et son bras devint un lance-roquettes à quatre têtes.

            « Sauvez-vous ! Je ne contrôle plus rien ! C’est lui… ! » commença Terminacop dont le casque venait de s’effriter, dévoilant son visage émacié par la fatigue et le désespoir. Des mèches de sa chevelure châtain clair étaient plaquées contre son front par la sueur. Il ne finit pas sa phrase, car il venait de tirer les quatre roquettes. Géant les réceptionna, mais cela ne se fit pas sans mal. Il ne pouvait pas atteindre sa taille maximale en pleine ville, c’était trop dangereux. Il encaissa les roquettes, mais cette fois-ci, il les sentit passer.

            Lumen se téléporta face à Terminacop, espérant le surprendre. Mais il avait réagi très vite et à présent, son bras transformé en fusil à pompe était braqué sur la tête de Gaëlle. Elle se figea, elle ne serait jamais assez réactive pour l’esquiver…c’était fini pour elle.

            « ATCHOUM ! » l’éternuement de Terminacop semblait venir de nulle part. Et ce moment permit à Lumen de prendre ses distances. Le héros arsenal se mit à éternuer à répétition, ce qui permit à l’Egide de se regrouper. Ils adoptèrent une formation de défense. Lumen ne put s’empêcher de sourire en voyant Terminacop éternuer à répétition. Punch s’en rendit compte.

            « Tiens, qu’est-ce qui te fait rire ?

— Tu en as mis du temps pour arriver, mon héros ! s’exclama Lumen sans répondre à Punch.

— Pas si Inutiles que ça, hein ? » s’exclama Atchoum-Man les bras croisés, sa cape verte volant au vent. Il était entouré du reste de la Ligue des Inutiles. Ils venaient de faire leur apparition aux côtés de l’Egide, et ils semblaient tous prêts à en découdre.

            « …On m’annonce à l’oreillette que le Ligue des Inutiles vient de rejoindre l’Egide qui avait des difficultés face à Terminacop. » s’exclama David Pujadiste avant de lancer la liaison avec la rue qui s’était transformée en champ de bataille. Un journaliste, vêtu d’un gilet pare-balles expliquait la situation avec un débit de parole très élevé, ne pouvant dissimuler son excitation.

            Michael Perséphone regardait avec attention la scène. Il remarqua quelque chose d’étrange concernant Terminacop, dans sa façon de se mouvoir. Il avait déjà vu ça dans le passé. Terminacop ne maîtrisait pas ses mouvements. Cela voulait-il dire que…

            Wandrille exultait de joie. « Pas si Inutiles que ça ? » aurait dit Atchoum-Man en arrivant sur les lieux. Un slogan parfait, à ses yeux qui définissait bien selon lui ce qu’était la Ligue des Inutiles. Et puis, s’ils parvenaient à travailler de concert avec l’Egide et à arrêter Terminacop, leur popularité serait sans limite. Non seulement la Ligue des Inutiles serait un groupe de super-héros à part entière, mais en plus, ils auraient l’aura d’une force chargée de remettre les super-héros à leur place.

            Cuistot transforma ses bras en marmites et s’en servit pour bloquer les balles tirées par Terminacop. Gravitas manipula la mobilité de Cuistot pour le rendre plus léger. Il était devenu bien plus mobile et pouvait sauter partout afin de servir de bouclier chaque fois que Terminacop tirait quelque part. De son côté, Arcimboldo, faisait pousser des fruits durs qu’il tendait à Punch. Celle-ci pouvait les lancer au moyen de sa force herculéenne afin de forcer Terminacop à bouger, et à détruire ses couvertures. Textil fit apparaître une cagoule autour de la tête de Terminacop afin de l’aveugler, mais cela ne sembla pas l’empêcher de viser avec précision.

            « Tu as vu ça ? s’exclama Tear.

— Oui, on dirait que l’aveugler est inutile, observa Lumen.

— Il y a aussi sa façon de bouger, il n’est pas comme ça, d’habitude, ajouta Singham.

— Il ne réagit qu’à mes éternuements. » observa Atchoum-Man.

            Rocco apparut devant eux et fit grossir ses bras pour leur servir de protection face à la rafale que Terminacop leur tira. « Aïe aïe aïe aïe aïe ! Dites les petits malins, si vous avez un plan pour l’arrêter, c’est le moment ! » s’exclama-t-il en encaissant les balles qui pleuvaient comme des coups de poings sur ses deux bras agrandis.

            Puis soudain, ce fut le calme. Terminacop avait cessé de tirer. Il était resté immobile. Et le combat se suspendit. Alors, l’index de Terminacop se transforma en canon de révolver. D’un geste tremblant, il le pointa contre sa propre tempe, les larmes aux yeux.

            « Qu’est-ce que tu fais ? hurla Gravitas.

— J…je ne contrôle…rien… » hurla Terminacop.

Détonation.

            Terminacop venait d’éternuer. Sa tête s’était reportée en avant, évitant la balle qui lui était réservée. Atchoum-Man venait de le sauver. Mais alors, il pointa de nouveau son doigt canon contre sa tempe.  Une fois encore, il tira, et une fois encore, Atchoum-Man, le visage tendu par la concentration lui fit manquer sa cible par un éternuement salvateur.

            Finalement, Terminacop s’immobilisa. Atchoum-Man guettait. Il avait pu avoir le bon timing pour lui sauver la vie, mais il devait pour cela conserver une attention toujours plus aiguë. Le super-héros écarta les bras, et lança à chacun de ses adversaires un regard empli de détresse. Les paumes des mains tournées vers l’arrière, chacun vit ses bras trembler.

            « Mais qu’est-ce que… » balbutia Textil. Mais elle ne put finir sa phrase. Dans un bruit de spaghettis que l’on casse, les deux bras de Terminacop prirent un angle non naturel. Il poussa un hurlement déchirant, et chacun pâlit. Son visage perdit tout couleur, et il s’évanouit de douleur. La Ligue des Inutiles tout comme l’Egide n’en revenait pas. Comment avait-il pu se casser les deux bras de la sorte ?

            « Vous avez aimé le spectacle ? — claironna une voix venue d’un haut-parleur qu’on avait de la peine à localiser. Terminacop s’effondra comme un pantin dont on aurait coupé les fils — si c’est le cas, vous devriez regarder le stream que je vous prépare sur Youtube ce soir. Ça devrait vous passionner. » Sur ces mots, la voix disparut, et chacun des héros présents sur place ressentit un frisson leur parcourir l’échine.

            Terminacop fut embarqué dans une ambulance qui partit, toutes sirènes hurlantes. Les membres de l’Egide et de la Ligue des Inutiles avaient gardé le silence, en dépit des reporters qui s’étaient agglutinés autour d’eux et les bombardaient de questions.

            « Nous n’avons aucun commentaire à faire pour le moment, déclara d’une voix blanche Gravitas avant d’ajouter : La Ligue des Inutiles va nous rejoindre au repaire de l’Egide, nous devons réfléchir à un plan d’action. » à ces mots, Lumen et les membres de la Ligue ouvrirent de grands yeux. Avaient-ils bien entendu ? Ils allaient vraiment travailler de concert avec l’Egide ?

            C’était la première fois qu’ils mettaient les pieds dans le quartier général. On leur avait bandé les yeux, mais il n’était pas difficile de voir où ils étaient, les grande baies vitrées et teintées permettaient de voir en contrebas le quartier dans lequel ils se situaient. Un écran géant était installé dans la salle de conférence, seule salle que la Ligue avait pu visiter depuis qu’ils étaient arrivés. L’écran était allumé, de toute évidence, Gravitas voulait voir le stream.

            « Vous avez une idée de ce qu’il s’est passé ? Comment il a pu se péter les bras comme ça ? Et pourquoi ? demanda Punch.

— … » Cuistot avait gardé le silence. Il voulut se ronger les ongles, mais il se rendit compte que sa main tremblait. Il avait un très mauvais pressentiment.

            Finalement, des distorsions envahirent l’écran. Puis, dans une mise en scène travaillée, une image apparut. Il y avait un fauteuil, plongé dans l’ombre. Une silhouette était assise dessus. On ne pouvait la distinguer. Autour, des criminels notoires étaient au garde à vous. Vico, Tox, Crystal et Angelure. Face au fauteuil, un foyer avec des bûches. Ils restèrent un moment silencieux, puis, la voix railleuse du haut-parleur, celle qui était apparue après que Terminacop eut été neutralisé, claironna. C’était la voix d’un vieil homme, un vieil homme aigri et qui débordait encore d’énergie.

            « Mes petites marionnettes, vous me reconnaissez ? C’est moi, Gepetto. Je vous ai manqué ? » dit-il en sortant son visage ridé de l’ombre.