Partie 2: Chapitre 9

            Le jingle résonna. « Fréquensupers », l’émission qui permet de découvrir les supers, venait de débuter. Laurent Dévoyer, crinière blonde terne et sourire étincelant marchait dans la rue, face caméra et de sa voix claire, expliquait le programme de l’émission d’aujourd’hui.

            « Bienvenue sur Fréquensuper. Aujourd’hui une émission particulière, car les supers que nous allons rencontrer viennent de loin. Souvent moqués, mis à l’écart en raison de leurs pouvoirs un peu particuliers, les Inutiles se rebiffent, et depuis quelques temps, se rassemblent et parviennent même à réaliser quelques exploits. J’ai rencontré les mystérieux membres de la Ligue des Inutiles qui ont accepté de répondre à mes questions. Alors, imposture, ou nouveaux visages du super-héroïsme moderne ? C’est ce que nous allons déterminer avec cette interview très cosy ! » sur ces mots, le jingle se lança de nouveau.

      A présent, Laurent Dévoyer se trouvait dans un salon cosy, accompagné des membres de la Ligue des Inutiles, tous assis les uns à côté des autres. Bien qu’ils soient masqués, il était facile de voir qu’aucun d’eux n’était à l’aise avec l’exercice.

      « Merci La Ligue des Inutiles, d’avoir accepté de répondre à mes questions. Alors tout d’abord, comment on se dit tiens, je vais combattre le crime ? demanda Laurent.

— Comme n’importe quel clampin qui aurait des pouvoirs ! répondit sous son masque Tear, d’une voix rocailleuse.

— Certes, mais vous n’avez pas vraiment des pouvoirs taillés pour le combat, non ?

— Vous pointez un problème intéressant, monsieur Dévoyer, répliqua Textil, avant que l’animateur, tout en la tutoyant, ne l’invite, elle, ainsi que ses comparses à l’appeler Lolo. Tu pointes un problème intéressant, Lolo. Aujourd’hui, on considère que les pouvoirs les plus utiles sont liés au combat. Pour ma part, je suis capable de créer des vêtements à partir de rien. Arcimboldo peut générer des fruits… je ne dirais pas que ce sont des pouvoirs inutiles au quotidien.

— Et puis, au final, nous parvenons plutôt bien à mener nos combats, je trouve, renchérit Arcimboldo.

— Je me tourne vers toi, Atchoum-Man. Quel exploit incroyable. Réussir à vaincre Kratos dans un combat d’an-tho-lo-gie ! C’était important pour toi de prouver que quand on veut on peut ?

— Non, ce qui était important, c’était de calmer Kratos qui avait complètement pété les plombs.

— Mais c’était quand même le combat de David contre Goliath. Et tu l’as parfaitement géré. Tu dois en être fier, non ?

— Pas tant que ça. Kratos avait commis des erreurs, mais il restait malgré tout le meilleur super-héros du monde. Le fait qu’il ne soit plus là est préoccupant pour l’état du monde. Je ne regrette rien, mais je ne dirais pas que je suis heureux d’avoir dû me battre contre lui. Atchoum-Man semblait être très tendu.

— Ta modestie t’honore, Atchoum-Man. Je me tourne maintenant vers toi Cuistot. Un super-héros sur le champ de bataille et dans la cuisine, j’imagine ! Tu ne serais pas l’homme parfait ? Y a-t-il une madame Cuistot ?

— Il y a bien une personne qui m’est chère, et qui se reconnaîtra si elle regarde l’émission. Je pense à toi, et on se verra bientôt, je te le promets ! »

            Sarammauca, qui avait eu le droit de regarder l’émission de sa cellule, ne put s’empêcher d’étouffer un petit rire de joie. Deux gardiens, qui se trouvaient là, se sentirent étrangement très heureux de la voir sourire. Ils durent convenir que la terrifiante Sarramauca pouvait avoir l’air adorable quand elle était joyeuse.

            « Rocco, sacré nom, si je peux me permettre. Tu es un nouveau membre de la Ligue…

— Je suis même le plus membré, Lolo ! répondit Rocco dans un rire gras.

— Tu as commencé ta carrière en étant un super-vilain, puis tu te retrouves à remplacer Lumen. Qu’est-ce qui t’a intéressé avec la Ligue ?

— Ben, tu vois Lolo, la Ligue, de loin, ça ressemblait à une bande de clowns qui essayaient de jouer les héros. Mais la vérité, c’est que ce sont des gens qui font de leur mieux, dans un contexte pas favorable, pour démontrer qu’ils en ont. J’ai toujours bien aimé les histoires de vilains petits canards qui prouvent leur valeur à grand renfort de volonté.

— Et tu t’es retrouvé en eux ?

— Comme tu l’as dit, j’étais un super-voyou, un minable. On me regardait avec dédain. Là, j’ai les moyens de faire quelque chose d’important, d’avoir de quoi être fier de moi, quand je me couche le soir.

— Oh… je ne savais pas… souffla Tear dont la voix s’était adoucie.

— Vous êtes donc tous des outsiders, c’est ça ?

— Notre boulot, c’est d’être ceux en qui personne ne croit, mais qui font la différence. On veut être la preuve vivante que personne n’est vraiment inutile, que rien n’est inaccessible, répondit Textil.

— Ce qu’on veut faire avec la Ligue des Inutiles, c’est accomplir l’impossible, pour montrer à ceux qui ne croient pas en eux, que c’est largement faisable, ajouta Arcimboldo.

— Vous êtes très ambitieux et je trouve ça super courageux de faire ce que vous faites, les gars. Mais vous n’avez pas peur de vous retrouver un jour à jouer dans une cour qui n’est pas la vôtre ? Je suis désolé, mais je dois poser la question.

— Lolo, nous sommes tous adultes, et nous savons ce que nous faisons. Ce que les autres super-héros font, on peut le faire. On va combattre le crime, mais aussi l’idée même d’Inutilité ! Je pense pouvoir dire qu’on croit tous dans les vertus du mental ! Ceux qui veulent être des héros peuvent le devenir, même avec des pouvoirs faibles, même sans pouvoirs ! Tout ce qu’il faut, c’est avoir le mental et se donner les moyens. Et si certains trouvent ça naïf, on s’en fout. On leur prouvera qu’ils se plantent, déclara Atchoum-Man.

— On veut être ceux vers qui les gens se tournent quand ils ont besoin d’être sauvés, mais aussi pour reprendre courage. On veut qu’ils se disent : s’ils peuvent le faire, alors moi aussi ! » ajouta Tear.

            Lumen regardait l’émission dans le QG de l’Egide, en compagnie de ses compagnons. Gravitas poussa un petit rire suffisant.

            « Ils ont un directeur de la com très habile, on ne peut pas leur retirer ça, déclara-t-elle.

— Tu penses que c’est du chiqué, leur truc ? demanda Punch.

— Les gens aiment les challengers. C’est bien connu. On aime bien supporter ceux qui connaissent des difficultés. Ça remplit d’espoir, ces histoires de moins que rien qui arrivent au sommet.

— Donc tout ça, c’est de la com…c’est un peu décevant.

— Ce n’est pas de la com. Ça a toujours été notre but, à la Ligue des Inutiles, de lutter contre les discriminations liées aux pouvoirs. C’est pour ça qu’on a choisi de s’appeler la Ligue des Inutiles, répliqua Lumen.

— Sincères ou pas, ils pourraient bien nous piquer notre popularité avec leurs conneries. Heureusement qu’on est plus efficaces qu’eux, lâcha Singham dans un haussement d’épaules dédaigneux.

— C’est exactement ce que disait Kratos. Et crois-moi, Singham, tu n’es pas grand-chose comparé à lui. » rétorqua Gravitas. Lumen restait concentrée sur l’écran. Elle ressentait une immense fierté en voyant ses amis avoir une tribune pour passer leur message. Ils étaient pris au sérieux.

            « Avant la fin de l’émission, vous avez une chose à ajouter ? Un message pour nos téléspectateurs ?

— Oui. Ne laissez rien d’autre que vos actes vous définir ! » s’exclama Atchoum-Man avec passion. Sur ces mots, l’écran devint noir. La télé venait d’être éteinte.

            « Vous avez été extraordinaires, les gars ! Pas mal pour une première interview ! s’exclama Wandrille d’une voix enjouée. Toute la Ligue était rassemblée chez Greg et avait regardé l’émission.

— Ce dernier mot, Greg, succulent ! déclara Gilles avec enthousiasme.

— C’était l’inspiration du moment… bredouilla Greg à moitié gêné.

— Votre côte de popularité devrait monter en flèche. Et puis vous avez réussi à ne pas vous étriper. Si vous arrivez à avoir l’air moins tendu sur la prochaine interview, ce serait parfait.

— Tu trouves qu’on s’est bien débrouillés ? demanda Claire.

— Mais carrément, Textil. Vous avez ça dans le sang, les amis. Maintenant, ce qu’il faudrait, c’est une interview après exploit. Avec cette émission, on vous situe, on sait où vous vous tenez, maintenant, les gens ont besoin de savoir à quoi ça ressemble, un Inutile dans le feu de l’action, ou juste après.

— Et tu crois que les messages sont passés ? s’enquit Cuistot.

— Oui mon Cuicui. C’était mignon de parler de ta copine, mais tu aurais vraiment dû dire que c’était Sarramauca ! On a un ancien voyou qui rejoint l’équipe et une super-criminelle notoire qui est amoureuse de l’un de vous. C’aurait été du petit lait pour les médias. La Ligue des Inutiles, capable de transformer les mauvais en chatons…

— Il est hors de question que j’instrumentalise Sarramauca.

— Oh et une dernière chose. Atchoum-Man…merci pour ce que tu as dit sur Kratos…merci de ne pas l’avoir enfoncé.

— Je pensais vraiment tout ce que j’ai dit. Il était insupportable, et je ne l’aimais pas. Mais il reste encore aujourd’hui le meilleur super-héros du monde. Je n’oublie pas le nombre de fois où il a sauvé le monde. » rétorqua Greg en arborant un air renfrogné un peu forcé qui fit sourire Wandrille. Ce dernier commençait sérieusement à se dire qu’ils étaient plutôt sympas ces gusses.

            Le générique de « Fréquensuper » était en train de défiler, recouvrant de sa musique le silence de la pièce. Gepetto, avait regardé l’émission avec attention. Terminacop, était assis dans un coin, et semblait agité. Par son pouvoir, Gepetto le maintenait immobile. Il était son prisonnier.

            « Ce sont donc eux qui ont battu Kratos, c’est ça ? Le monde est un endroit bien étrange.

— Relâche-moi, Gepetto ! rugit Terminacop.

— Il faudrait que je passe à la télé moi aussi. Tu as raison, Terminacop.

— Tu es complètement taré ! Le bras de Terminacop se transforma alors en fusil et le super-héros se porta à lui-même un coup à la tête qui endommagea son casque.

— Plutôt que te frapper toi-même, tu ferais mieux de m’aider à trouver un moyen de faire passer mon message. Il sembla attendre une réponse de Terminacop, mais celui-ci avait perdu connaissance. Gepetto le manipula pour le mettre debout et fit gesticuler les bras de sa victime. — Gepetto, il faudrait que tu fasses une vidéo sur Internet ! s’exclama-t-il dans une voix de fausset supposée représenter celle de Terminacop avant de se répondre à lui-même : Excellente idée. Je vais faire passer mon message, et tu vas m’aider, Terminacop… »