lundi 3 avril 2017

Partie 2 : Chapitre 7

            Angelure était frustrée. Cela faisait un moment, à présent qu’elle s’était évadée de prison aux côtés de Gepetto et d’autres types aussi peu recommandables qu’elle. Mais elle n’avait pas l’impression d’y avoir gagné au change. Gepetto, soucieux de ne pas les voir s’éparpiller, risquant de gâcher ce qu’il appelait « sa petite surprise ». Mais dans les faits, elle se sentait autant enfermée qu’en prison. La différence était que le geôlier la terrifiait mille fois plus que les gardiens assermentés par l’état.
 
Ses compagnons d’infortune, tous des criminels parmi ce qui se fait de pire, étaient très probablement tous du même avis, mais pas un seul n’avait osé dire un mot plus haut que l’autre. Il fallait aussi ne pas oublier que durant leur évasion, Gepetto avait pris le contrôle de leurs corps pour combattre Sarramauca, et que si, sur le coup, c’était la meilleure chose à faire pour lui échapper, à présent, ils étaient en son pouvoir. Ils étaient devenus leurs propres cages. Mais Angelure n’aimait pas l’idée d’être enfermée malgré sa liberté. La situation lui étant de plus en plus insupportable, elle prit son courage à deux mains, et alla voir Gepetto qui passait ses journées enfermé dans la chambre de l’appartement abandonné qu’ils squattaient, à lire toutes les informations qu’il pouvait engranger, que ce soit sur le net ou dans la presse papier.
Gepetto ouvrit de grands yeux quand Angelure fit irruption dans la chambre. Il était en train de lire la presse, une tasse de thé chaud posé sur la table de chevet. Il se remit et lui lança un regard plus acéré, dont le gris acier des pupilles accentuait la profondeur.
« Angelure ?
— Gepetto, j’ai une question.
— J’ai une réponse.
— Voilà, je te suis très reconnaissante de nous avoir sortis de prison. Vraiment, et crois-moi, dès que tu auras besoin de moi, tu n’auras qu’à faire signe. Mais… tu penses que c’est possible que je… enfin, tu vois, que j’aille retrouver ma liberté ?
— Retrouver ta liberté ? demanda Gepetto, en prenant un air étonné.
— Oui… enfin, tu vois… » bredouilla Angelure, ne sachant pas trop comment aborder une question qu’elle n’aurait jamais cru si délicate. Gepetto la toisa un moment, et elle eut l’impression qu’il essayait de lire en elle. Elle se sentit alors très mal à l’aise. Elle avait l’impression qu’elle passait sur le grill, qu’il était en train de la détailler au millimètre près. Elle se sentait nue, et ce n’était pas une sensation agréable.
            Finalement, Gepetto se mit à rire. Mais ce n’était pas un rire sinistre, au contraire, c’était le rire bienveillant d’un grand-père qui s’apprête à répondre à la question naïve d’un enfant. Angelure sentit le rouge lui monter aux joues, mais elle ne savait pas s’il s’agissait d’embarras, de dignité blessée ou de chaleur affective.
            « Mais Angelure, ne crois pas que je te retienne, ni toi ni personne, voyons ! Libre à toi de t’en aller quand tu le voudras, s’exclama-t-il après que son rire se fut éteint.
— Je ne veux pas que tu croies que je suis une ingrate, Gepetto. Je suis de ton côté…
— Oui, bien entendu, et tu as déjà fait du très bon travail, Angelure. »
            Elle était circonspecte. Elle ne s’attendait pas à ce que ce soit si simple. Gepetto n’était peut-être pas si effrayant que ça. Elle lui lança un sourire qui traduisait tout de même son malaise. Elle fut sur le point de se retirer, bien que ne sachant pas exactement ce qu’elle devrait faire, quand Gepetto l’interpella.
            « Angelure, avant que tu ne partes, est-ce que je peux te demander un petit service ?
— Tout ce que tu voudras, Gepetto, répondit-elle avec entrain.
— J’aimerais bientôt préparer mon retour, mais pour ça, il faut faire bouger les choses. J’aimerais que tu attaques une cible pour moi. Rien de grandiloquent, et évite de te faire attraper, je vais avoir besoin de toi à l’avenir.
— Très bien. Gepetto. » sur ces mots, elle quitta la chambre, rassurée que la conversation se soit si bien déroulée. Encore une mission et elle serait libre.
            « Ce que je veux dire, c’est que ce serait plus simple si vous parliez un peu à la presse, à la fin de vos exploits, vous voyez, que les gens mettent des personnalités derrière vos masques, et vos pouvoirs, expliqua doctement Wandrille.
— Ta mère, on n’est pas là pour se faire aimer ! grogna Tear qui leva légèrement son masque pour pouvoir boire dans sa canette de bière. Il en versa quelques gouttes sur la moquette de Greg au grand dam de ce dernier.
— Mais justement ! Les gars, si je suis là, c’est parce que vous devez vous faire aimer ! Vous savez ce que vous êtes ? Un ensemble d’histoires ! Tous autant que vous êtes. Ce qu’il faut, ce n’est pas qu’on se dise, tiens, c’est Textil de la Ligue des Inutiles, ou bien, oh regardez, c’est Cuistot de la Ligue des Inutiles, non. Il faut que vous vous débarrassiez de ce « de la Ligue des Inutiles » qui vous colle comme un nom de famille.
— Alors quoi, on est supposés se présenter ? demanda Arcimboldo.
— Non. Mais vous devez capitaliser sur vos personnalités, les gens sont bien plus attachés aux individus qu’aux collectifs. Par exemple, prenez Kratos. Quand l’a-t-on déjà présenté comme Kratos de la Conjuration des Etoiles ? Jamais, Kratos, c’était Kratos, tout comme Gravitas, c’est Gravitas.
— Mais on ne veut pas devenir célèbres nous-mêmes, on veut redonner espoirs aux Inutiles qui ne croient pas en eux, intervint Arcimboldo.
— Tu vois, Arcimboldo, tu commets une grosse erreur. Tu parles des Inutiles comme étant un groupe homogène. Non, il ne faut pas que les gens se reconnaissent en vous comme un groupe, car ces Inutiles, ils ont besoin d’individus.
— Conneries, cracha Tear.
— Pas forcément, lui répondit Rocco. On a tous des parcours différents, regardez-moi, j’étais une petite frappe, un voyou, puis j’ai pris conscience de pas mal de choses en vous observant. Je pense qu’il y a plein d’Inutiles qui sont en colère et qui aimeraient tout péter mais qui ont besoin d’un modèle qui les ramènerait dans le droit chemin…
— Je ne sais même pas pourquoi tu fais partie du groupe, Rocco, je te rappelle que ton pouvoir n’est pas listé comme étant un pouvoir Inutile, rétorqua Tear, acide.
— Hé, avec mon pouvoir, je peux faire grandir tous mes membres, sauf ma bite. Si ce n’est pas un pouvoir inutile, je ne sais pas ce que c’est. » répondit-il. Tout le monde éclata de rire, même Tear. Et Wandrille dut bien avouer qu’il commençait sérieusement à apprécier le challenge qui consistait à tenter de faire de la Ligue des Inutiles des stars.
            Il les avait d’abord observé, et pris en note tous les défauts qu’il pouvait, dans leur façon de gérer leur célébrité. Et la première chose qui l’avait frappé, c’était qu’ils fuyaient les médias, refusant de donner des interviews. Il se rendit aussi compte que personne ne connaissait vraiment les membres de la Ligue, en dehors de leurs noms, pouvoirs et exploits.
            « Les gens ne veulent pas de faits, mais des histoires. Tout le temps. Regardez par exemple en politique, les idées, tout le monde s’en fout, ce que les gens veulent, c’est un feuilleton. Quel politicard couche avec qui ? A détourné combien ? A dit quelles saloperies. C’est pareil pour le Super-Héroïsme. Les gens s’ennuient vite, et si tout ce que vous avez à leur servir c’est des « On a arrêté ce braquage », vous perdez en visibilité.
— Alors on doit leur servir quoi ? demanda Greg d’un air narquois.
— Atchoum-Man, le héros au pouvoir le plus faible parvient à faire plier Kratos, avec l’aide de ses compagnons. Atchoum-Man et Kratos avaient une relation amoureuse avec Cassandre. Et crois-moi, Greg, tu aurais eu l’adhésion du public. T’étais l’outsider, mais aussi l’amour d’enfance et…ATCHOUM ! — Greg, qui n’appréciait pas le discours le fit éternuer, signifiant ainsi l’intérêt qu’il avait à se taire. — Très bien et Cuistot ?
— Quoi Cuistot ? demanda ce dernier qui sursauta.
— Un super-héros, amoureux de la maîtresse des cauchemars. Une histoire de repentir, et d’amour qui déchire le voile de la peur, une connerie du genre quoi. Tu te rends compte de l’impact que ça aurait eu devant le public ?
— Hé là, je n’aime pas trop que tu m’emmènes sur ce terrain, Wandrille.
— Et pourtant, ça humaniserait Sarramauca auprès du monde. Ce qui est bon pour sa réhabilitation dans la société. »
            Textil ouvrit de grands yeux. Elle devait bien avouer que, s’il était très agaçant, Wandrille avait toujours un excellent argument dans la manche. Il semblait vouloir faire de la Ligue des Inutiles des stars. Mais elle ne put s’empêcher de se demander si c’était bien là ce qu’elle voulait. Pourtant, quand elle regardait Lumen, elle se disait que ce devait être sympa, de temps en temps, de capter la lumière. Lumen, elle était belle, intelligente, et elle inspirait confiance grâce à son charisme. Et puis, son pouvoir avait évolué, alors qu’elle, Textil, semblait toujours cantonnée à un second rôle. Devait-elle vraiment se contenter de marcher derrière, de ne voir son amie que de dos ? Elle n’était pas spécialement sociable, et elle n’avait que peu confiance en elle. Peut-être que faire parler de son alter-ego héroïque allait l’aider à s’aimer un peu plus.
            « Ce que je veux, la Ligue, c’est que la prochaine fois que vous voyez la presse arriver, plutôt que fuir en courant, vous répondez à deux ou trois questions. Et vous devez faire gaffe à ce que vous dites, claironna Wandrille.
— Répondre à des questions ? Et si on dit des bêtises ? demanda Tear.
— Vous êtes tous sincères dans votre démarche. Alors soyez sincères. Au fond, c’est tout ce qu’on peut demander à des héros. Vous ne croyez pas ? » Sur ces mots, Greg ne put s’empêcher de sourire. On lui avait fait plusieurs fois remarquer qu’au fond, il n’était qu’un gamin qui avait grandi, mais pas un adulte. Et Wandrille, au contraire, était complètement un adulte, tourné dans le matérialisme et qui aurait vendu tous ses rêves d’enfant pour gonfler son compte en banque. Pourtant, qu’ils aient eux-mêmes été sincères ou non, les mots qu’il avait prononcés étaient ceux d’un gamin. C’était le regard d’un petit garçon qui venait de se créer son propre héros. Ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée, au fond, d’embaucher cet énergumène.

            Sarramauca était en train de se morfondre. Cela faisait plusieurs jours, maintenant, que Gepetto s’était évadé. Et elle avait été impuissante à l’arrêter. Elle méprisait son inutilité. Elle se reprochait parfois de ne pas avoir saisi l’occasion pour s’évader et retrouver Mehdi. Pourtant, elle savait qu’elle avait fait la bonne chose, en s’interposant. Mais le fait est qu’avoir tenté de faire le bien ne lui avait pas permis de gagner quoi que ce soit. Elle était toujours enfermée, et en plus, les droits de visite avaient tous été suspendus. A quoi cela avait-il servi de tenter de jouer les héroïnes ? Si elle était restée la créature qu’elle avait été jusque-là, elle serait dehors, libre. Et… et elle serait en train de faire souffrir des innocents… en train de se nourrir de leur terreur… Non… elle ne voulait plus être ce monstre-là. Elle voulait le faire disparaître sous une carapace de repentir…
            Un garde de la prison fit claquer ses pas dans le couloir et vint à elle. Sarramauca ouvrit de grands yeux étonnés. Le gardien, un grand jeune homme aux yeux clairs et à la courte chevelure blonde se posa devant elle et lui tendit une canette de soda. Sarramauca lui lança un regard étonné et dut prendre sur elle pour ne pas lui poser les nombreuses questions qui lui brûlaient les lèvres. Le garde lui-même s’ouvrit une canette, et posant son séant à même le sol, il la regarda avec un sourire doux. Sarramauca porta la boîte à ses lèvres et but une gorgée de soda.
            « Je voulais te remercier. Tu m’as sauvé pendant l’évasion. Et j’ai trouvé très courageux que tu te sois tenue face à Gepetto. Je sais que tu ne peux pas me parler, sinon, je vais faire des cauchemars, mais je voulais juste te dire…merci.
— … Sarramauca lui lança un regard interrogateur.
— Parfois, dans ce métier, on oublie un peu vite que vous êtes des gens. Des êtres humains. On vous présente tous comme des monstres, comme des dangers pour l’humanité… et honnêtement, pour beaucoup vous l’êtes. Mais vous êtes tous humains, et vous avez vos propres histoires. C’est juste que c’est parfois difficile de s’en souvenir.
— … Sarramauca but une autre gorgée, et regarda au sol.
— Je crois, Sarramauca que tu regrettes ce que tu as fait, je crois que tu avais besoin qu’on te parle, et je crois que tu as rencontré quelqu’un qui t’a finalement regardé sans terreur.
— … Sarramauca se mit à sourire avec tendresse, tandis qu’elle pensait à Mehdi.
— Pour moi, tu n’as plus ta place dans cette prison. Mais hélas, ça ne tient pas qu’à moi. Mais les autres matons et moi, on est d’accord pour dire que tu n’es pas un monstre. Il y a bien trop de douceur qui s’est installée dans tes yeux. Alors, ça n’effacera jamais le mal que tu as fait dans le passé, et ton passé ne peut pas teinter ton futur.
— … Sarramauca resta un moment bouche bée. Elle ne pouvait pas changer ce qu’elle avait été, mais elle pouvait toujours devenir quelqu’un d’autre.
— Très bien, faut que je retourne au boulot. Un de ces quatre, j’aimerais que tu me parles. Faut juste que je me prépare psychologiquement, par contre. Je n’aurai qu’à me dire que c’est comme aller voir un film d’horreur ultra réaliste. » sur ces mots, le gardien se leva et partit, laissant là Sarramauca, seule avec sa boisson. Alors, c’était ça, la gratitude ? C’était ça, de sentir qu’on avait été d’une utilité ? Elle sentit comme une chaleur dans sa poitrine. Elle se dit que cela faisait du bien, et elle comprit alors pourquoi Mehdi était aussi heureux d’être un superhéros.

            Terminacop était planqué devant l’épicerie. Si Cassandre n’avait pas perdu la main, Angelure ne devait pas tarder à pointer le bout de son nez. Caché dans son véhicule banalisé, il était prêt à bondir. Finalement, il vit la criminelle arriver. Elle entra dans l’établissement. Il eut un sourire de prédateur, faisant luire ses canines acérées. Puis, il sortit de son véhicule.


            « Voici mon premier mouvement. » ricana Gepetto, dans l’ombre de sa chambre. Puis, euphorique, il poussa un petit ricanement.

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