lundi 27 mars 2017

Partie 2 : Chapitre 6

« Non, c’est une mauvaise idée ! s’exclama Tear.
— Attends, Tear, on peut peut-être en discuter, tu ne crois pas ? intervint Textil.
— Y a rien à discuter, on ne fait pas ce qu’on fait pour la gloire !
— Si je peux me permettre d’intervenir… débuta Rocco.
— Et bien tu ne peux pas, bizuth ! rétorqua Tear.
— Mais c’est vrai qu’on pourrait faire un bon usage du fric, observa Arcimboldo d’une voix hésitante.
— Il bossait avec Kratos ! S’il devient notre agent, il aura accès à toutes nos informations ! Nos identités, où nous trouver… »
           
            Celui dont il était question, Wandrille Leclerc, était juste là, et il prit quelque peu ombrage que la Ligue des Inutiles, qui s’était réunie en costumes chez Greg, parle de lui comme s’il n’était pas là. Mais il voyait d’un très bon œil le fait que cette réunion se tienne. Il avait scanné les membres de la Ligue des Inutiles, et après lui avoir servi les mêmes arguments qu’à Greg, il avait constaté qu’il les avait presque tous convaincus. Seul Tear semblait avoir des réserves. Cuistot de son côté, avait gardé le silence.
            « Dis quelque chose Cuistot, dis-moi que tu n’es pas d’accord pour laisser un inconnu avoir accès à nos vies privées !
— Hein ? Oh, désolé les gars… j’ai l’impression que je n’arrive pas à m’intéresser à votre conversation. Je choisis comme Greg, se contenta-t-il de lâcher d’un air laconique.
— Tu…t’es vraiment un petit…un sale… je suis trop énervé pour t’insulter. » s’exclama Tear.
            Greg n’était pas très à l’aise avec l’idée. Il avait espéré que ses compagnons débouteraient Wandrille. Mais étrangement, ils semblaient ne pas voir d’inconvénient à ce que quelqu’un s’occupe de leur communication.
            « Tear, je ne sais pas où tu vois un problème. Wandrille n’a pas vraiment d’intérêt à nous doubler. Regarde-le, j’ai l’impression qu’il est aux abois, qu’il a besoin à tout prix d’un travail. Ce doit être dur d’assumer qu’on a bossé pour Kratos. On est sa dernière chance. Si on disparaît, il n’a plus personne. Nous, de notre côté on a bien besoin d’un financement, et aussi de faire parler de nous. On a besoin d’être pris au sérieux. » expliqua Arcimboldo d’une voix douce et posée. Tear secoua la tête, comme s’il essayait de faire sortir les mots de son esprit. Puis finalement, il poussa un profond soupir de dépit.
            « Je comprends. Bon ben, dans ce cas, Wandrille fait partie de l’équipe ! déclara-t-il après un moment.
— Hé là ! Il ne fait pas partie de l’équipe, il bosse pour nous ! ne put s’empêcher de préciser Greg, avant de se tourner vers Wandrille : J’ai une condition ! Tu ne mettras jamais les pieds dans notre quartier général. Pigé ? Télétravail, on communique par mail.
— Si je veux bosser efficacement, il faudra bien qu’on se donne des rendez-vous et qu’on échange de visu, répliqua simplement Wandrille en réprimant son arrogance naturelle. Il était encore sur la sellette.
— On se verra ici. Et si tu connais mon identité, tu n’as pas besoin de connaître celle des autres. C’est pigé ?
— Pigé. Autre chose ?
— Non. Je crois que c’est bon. »
            Wandrille lui fit un petit sourire et tendit un contrat à Greg qui engageait toute la Ligue. Il conseilla à ses futurs clients de le lire et de ne pas hésiter à le questionner. Ils lurent le contrat quatre ou cinq fois, et furent en vérité surpris de voir que celui-ci était aussi carré que sérieux. Pour une raison qu’il ignorait, Greg était certain que Wandrille essaierait de les arnaquer, mais le contrat qu’il avait sous les yeux les protégeait autant que lui. Finalement, Greg le signa et le tendit à Wandrille qui fit reluire ses dents.
            « Parfait, maintenant mes amis, je propose qu’on se fasse un max de blé ! » déclara-t-il. Le requin qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être venait de faire son retour dans l’océan des affaires. Et il comptait bien bouffer tous les autres poissons à l’aide de la Ligue des Inutiles, ses nouveaux crocs.

            Terminacop était très stressé. Il savait qu’il devait garder l’esprit alerte. Le bâtiment de la Conjuration des Etoiles avait été réaménagé pour accueillir l’Egide. Il était dans la salle de réunion, et ne prêtait qu’une oreille peu attentive au débriefing de Gravitas. Elle semblait s’être faite à son rôle de chef. Elle avait toujours eu les dents longues, et cela faisait un moment qu’elle voulait trouver un moyen d’usurper la place de Kratos. Mais Terminacop n’avait pas à trop s’en plaindre. Elle faisait un travail plutôt honnête et sa réputation était encore immaculée. Ses nouveaux équipiers ne savaient pas qu’elle était aussi acariâtre qu’ambitieuse.
            Il n’avait que peu de temps à accorder à Gravitas. Tout son être était focalisé sur sa mission : tuer Gepetto. Rien que l’idée que le marionnettiste soit en liberté le faisait frissonner. Il avait du mal à se concentrer, et il enviait l’insouciance des autres. Il se demandait comment il pourrait faire pour le retrouver tout en gardant le secret.
            « … Je trouve que nous intervenons plutôt rapidement, même si nous ne sommes pas aussi efficaces que la Conjuration des Etoiles.
— Et vous faisiez comment pour vous bouger les fesses plus vite que nous ? demanda Singham avec une pointe d’arrogance dans la voix.
— C’est simple, on était aux aguets grâce à Cassandre. Sans notre medium qui voit dans le futur, on ne peut pas intervenir de façon préventive, répondit Gravitas.
— Et il lui est arrivé quoi à Cassandre ? demanda Punch.
— Elle s’est retirée. » répliqua sèchement Gravitas, que le sujet semblait énerver.

            Elle avait demandé plusieurs fois à Cassandre de rejoindre l’Egide, mais Fiona avait décidé de laisser tomber. Elle était tombée dans une grande déprime après la défaite de Kratos. Gravitas l’ignorait, mais ce jour-là, Fiona avait perdu les deux hommes qu’elle aimait. Elle avait trahi Atchoum-Man pour favoriser un Kratos qui était dans l’erreur et s’était enfui. Le soir même, quand elle avait compris qu’elle avait perdu ses deux hommes, elle s’était regardée dans le miroir et avait murmuré « Tu ne l’avais pas vu venir, celle-là. » dans un rire amer. Le lendemain elle avait annoncé qu’elle n’assurait plus les consultations et qu’elle ne voulait plus rien avoir à faire avec le monde du super-héroïsme.
            Le nom de Cassandre résonna dans les oreilles de Terminacop. Elle était extrêmement utile pour localiser les gens, en plus de pouvoir lire dans le futur. Il se dit même qu’il avait une idée pour localiser Gepetto sans lui dévoiler que ce taré s’était enfui. Il lui suffirait de lui demander de localiser l’un des membres de sa garde prétorienne. Il passa en revue, dans son esprit, les criminels qui s’étaient rangés à son côté lors de l’évasion. Les services secrets lui avaient transmis une liste exhaustive des prisonniers qui avaient suivi Gepetto. Il en choisirait un au pif, le localiserai et il le ferait soit parler, soit il le filerait.
            De son côté, Lumen était toujours sous le choc de l’accueil que lui avait réservé Greg. Elle en avait été vraiment blessée. Elle pensait sincèrement qu’il serait content pour elle. Etait-il jaloux ? Non, elle refusait même de l’envisager. Greg n’était pas ce genre d’esprit mesquin. Il était plus proche du preux chevalier, mais avec un caractère imbuvable. Lumen se rendit compte qu’elle pensait bien trop à lui, depuis qu’il lui avait si mal parlé. Peut-être avait-elle été bien trop affectée par la froideur dont il avait fait preuve. Elle avait du mal à concentrer son attention sur Gravitas qui continuait à parler, traversant dans son esprit les territoires de nombreux sentiments différents. Parfois elle s’en voulait, se disant qu’il y avait sûrement quelque chose dans son attitude qui avait pu paraître hautain à ses amis, à d’autres moments, elle se contentait d’insulter amèrement Greg dans son esprit. Elle poussa un soupir de dépit. A ce compte-là, la réunion allait lui paraître interminable.

            Lionel Devreaux n’aimait pas trop l’idée que quelqu’un d’autre s’intéresse de trop près à Nyx. Elle était sa chose, son arme après tout. Il la faisait souvent suivre, et ses espions lui avaient dit qu’elle avait rencontré un homme et qu’elle était entré dans sa voiture. Devreaux voyait d’un très mauvais œil que quelqu’un d’autre sache que Nyx était une tueuse aussi implacable et efficace. Ce ne serait pas bon pour les affaires. Il était entouré de sa garde rapprochée, une bande de voyous qui le suivaient partout. Ils jetaient des regards partout autour de lui tandis qu’il profitait de son repas au restaurant. En face de lui se tenait Whisper, un homme d’une trentaine d’années. Celui-ci était grand et pâle. Il avait les cheveux roux et sombres et un regard bleu électrique. Il avait croisé ses longs doigts fins devant son visage, les coudes sur la table, dans une attitude de concentration attentive.
            « Je veux que tu me fasses part de tous ses faits et gestes. Je veux savoir qui l’a approchée et que tu me fasses un rapport. C’est compris, Whisper ? Tu es le meilleur pour ce genre de choses, ne me déçois pas.
— Bien reçu monsieur Devreaux.
— Ne prends pas d’initiatives. C’est peut-être toi sur la piste, mais c’est moi qui mène la danse. Fais bien ce que je te dis et je te garantis que tu n’auras pas besoin de bosser pendant une bonne plombe. » Whisper acquiesça.
            Son vrai nom, c’était Ronan Dougall, il avait des origines néo-zélandaises. Et comme beaucoup, c’était un Super. Il avait choisi le nom Whisper, car il était capable, comme un murmure, de presque disparaître. Les cellules de sa peau réfléchissaient la lumière, ce qui le rendait invisible, mais il était aussi capable de s’entourer d’une bulle de silence qui étouffait tout bruit qu’il émettait. En cela, il était évident qu’il pouvait faire un espion de qualité. Il faisait partie des tueurs à gage les plus redoutés parmi ceux qui travaillaient pour Devreaux, et parmi les hommes de main du gangster, on avait beaucoup de mal à savoir lequel était le plus dangereux entre Nyx et Whisper. Les gardes du corps présents s’échangèrent tous un regard inquiet. Si Devreaux avait fait appel à Whisper, c’est qu’il envisageait vraiment la pire éventualité pour Nyx. Après tout, il fallait bien assurer ses arrières : imaginons qu’elle décide de travailler pour l’un des multiples rivaux du patron, se disaient-il.

            Le soleil se couchait déjà quand Terminacop se retrouva en face de l’immeuble dans lequel habitait Fiona Lerner. Il eut un petit sourire nostalgique. Il portait toujours sa tenue de super-héros, ne voyant pas trop pourquoi il devrait s’en séparer. Après tout, il était là pour le boulot. Il connaissait l’adresse, et les lieux. Il se dirigea d’un pas décidé vers la porte du logement de la médium, et frappa trois coups.
            Fiona ne mit pas longtemps à ouvrir. Il n’y avait pas la moindre surprise dans son regard. Elle semblait avoir perdu un peu de sa superbe.  Elle qui prenait toujours soin d’elle semblait fatiguée. Elle avait des poches sous les yeux, et ses cheveux étaient devenus gras. Elle ne se maquillait plus, et portait une tenue inhabituelle pour elle : un vieux pull tâché, et un pantalon de jogging. « Eh bien, et dire que c’était une vraie petite beauté, y a pas si longtemps. » se dit en lui-même Terminacop surpris par la transformation physique de Fiona.
            « Tu veux quoi Terminacop ? demanda Fiona d’une voix brisée et blanche.
—  J’ai besoin de tes visions, répondit-il.
— Je ne fais plus ça. Et tu le sais. » se contenta-t-elle de répondre en fermant la porte. Mais Terminacop avait mis son pied dans l’embrasure. Ils se regardèrent un moment, puis, Fiona poussa un soupir de dépit avant de l’inviter à entrer.

            L’appartement était dans le plus profond désordre. De toute évidence, Fiona Lerner se laissait vivre. Sur sa télé, un épisode d’une série était diffusé. Et à en juger par les nombreux sachets de snacks et les bouteilles de soda et de bière vides disposés sur la table, elle n’en était pas à son premier épisode de la journée.
            « T’es une vraie épave. Ton appart est dégueulasse, et j’émets un doute sur ton hygiène corporelle, se contenta-t-il d’observer.
— Je t’emmerde, Terminacop. Et je n’ai rien à t’offrir à boire.
— Ce n’est pas un problème. J’ai l’impression que je vais chopper la légionellose, à respirer l’air de chez toi. J’ai juste besoin que tu fasses quelque chose pour moi.
— C’est non. Au revoir.
— Je ne te demande pas de reprendre du service, bordel ! T’as l’air de bien te complaire dans le chômage et la dépression. Tout ce que je veux, c’est que tu localises quelqu’un pour moi. »
            Fiona posa sur lui un regard éteint. Il crut qu’il allait étouffer de rage, et elle avec par la même occasion. Elle semblait si molle, qu’il avait une forte envie de lui frapper dessus. Comme elle gardait le silence, il décida de continuer sa requête.
            « C’est Angelure que je recherche. Elle s’est échappée de prison, et elle est dangereuse. Aide-moi.
— Angelure ? Maintenant tu t’inquiètes de quelqu’un comme Angelure ? demanda-t-elle, son regard finalement illuminé par un éclat de curiosité.
— J’ai juste besoin d’une adresse, une seule, et je te promets que je ne viendrai plus t’embêter. »
            Fiona le regarda un moment, il sembla qu’une multitude d’idées avaient traversé son esprit. Finalement, elle ferma les yeux, et une fois de plus, elle exhala un soupir. Elle rouvrit les yeux, qui, comme à chaque fois qu’elle voyait dans le futur, s’étaient révulsés.
            « Elle va attaquer une épicerie dans deux jours. Je te note les détails.
— Très bien. Tu vois, ce n’était pas si dur ? » s’exclama Terminacop en s’emparant du morceau de papier sur lequel Fiona avait noté la date, le lieu et l’heure de l’attaque d’Angelure. Il affichait un sourire de satisfaction et, ayant mis le post-it dans sa poche, il se dirigea vers la sortie, ouvrant la porte. Fiona l’avait suivi en marchant d’un pas mou et peu décidé. Mais alors que Terminacop s’était retrouvé sur le pallier, elle l’interpella.
            « Terminacop, tu ne feras pas le poids.
— Quoi ? Contre une minable comme Angelure ? demanda-t-il, intrigué.

— Non, pas contre Angelure… » mais elle ne finit pas sa phrase. Elle savait qu’il avait compris. Elle ferma la porte, un air éteint peint sur son regard. Elle regarda sa main, un long moment, et se mit à mimer un marionnettiste qui faisait bouger un pantin, presque machinalement.

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