lundi 15 mai 2017

Partie 2: Chapitre 11

            Tout était gris. Les rues étaient désertes, c’était comme si la ville était endormie. Les stores étaient baissés, et rares étaient les âmes qui déambulaient sur le bitume. Quand des passants marchaient, ils avaient l’air anxieux des animaux traqués. Leurs yeux hagards se posaient partout, comme s’ils s’attendaient à être fauchés. La peur avait installé ses quartiers dans la ville, depuis l’annonce de la veille. Greg regardait par la fenêtre, plongé dans ses pensées. C’était comme s’il n’y aurait plus jamais d’espoir.
             Il avait pâli la veille, quand Gepetto avait annoncé son nom. Et les membres de l’Egide eux-mêmes avaient adoptés des mines contrites. Mehdi, surtout, paraissait troublé, et effrayé. Il n’avait pas pu détacher son regard de la vidéo ensuite. La mise en scène avait été inquiétante. Entouré des pires criminels, Gepetto semblait trôner comme un prince des ténèbres. Angelure, les joues sillonnées de larmes, semblait ajouter du bois à un feu de camp. Ses mouvements étaient mécaniques, comme ceux d’une marionnette.
            « Je sais que je vous ai manqué. Comment je le sais ? Tout simplement parce que, en mon absence, vous avez fait n’importe quoi. Vous avez laissé le chaos s’installer, et vous le savez, que je n’aime pas le chaos. Votre monde part à la dérive, et vous laissez faire les choses, mais vous avez besoin d’un guide, vous avez besoin qu’on vous tienne la main, vous comprenez ? La liberté, c’est un joli mot, mais ce n’est pas ce dont vous avez besoin, ce n’est pas ce que vous recherchez.
            Non, mes amis. Ce dont vous avez besoin, c’est de contrôle. Le contrôle amène la structure, la structure amène la sécurité, la sécurité est incompatible avec la liberté. C’est pour ça que vous cherchez toujours un être providentiel. Un leader. Qu’il existe ou non. Vous l’appelez Dieu, ou vous votez pour des hommes qui vous promettent de résoudre tous les problèmes de l’univers d’un claquement de doigts, ou encore, vous vous rassemblez derrière des super-héros. »
            Gepetto se leva, faisant une pause dans son discours théâtral. Angelure venait de poser la dernière bûche sur le foyer. Elle se tourna vers Gepetto et de son pas non naturel, elle se dirigea vers lui. Le vieil homme lui prit délicatement les deux mains. Puis, ils se lancèrent dans une valse. Ils dansèrent une bonne minute. Puis ils se figèrent.
            « Je suis en ce moment entouré des pires criminels qui soient. Angelure que voilà, me hait, car elle estime que je lui ai menti. Angelure pourrait me geler à mort, si elle le pouvait. Elle le désire ardemment. N’est-ce pas, Angelure ?
— Tu m’avais promis de me libérer… » souffla-t-elle.
            Elle s’éloigna de Gepetto et son corps se dirigea vers un coin de la pièce. Elle revint quelques instants plus tard avec un bidon d’essence. Son regard reflétait une détresse absolue.
            « Je suis la réponse. Je suis Gepetto. Je suis le marionnettiste, et vous êtes mes pantins. Vous m’appartenez à jamais. Ne l’oubliez jamais. » la voix de Gepetto s’était faite glaciale. Sur ces mots, Angelure, la criminelle de glace, se plaça sur le bûcher et s’aspergea de combustible. Puis, des larmes se mêlant à l’essence qui ruisselait le long de ses joues, elle craqua dans un geste mécanique une allumette.

            Gravitas avait alors éteint l’écran. Les hurlements d’Angelure avaient été insupportables. Un silence de mort s’était alors abattu dans la salle de conférence de l’Egide. Malgré les masques, on pouvait aisément deviner que chacun était devenu pâle.
            « Ce n’est pas des conneries ? C’est bien Gepetto ? C’est lui le pire criminel qui ait existé ? demanda Punch qui était encore très jeune.
— C’est lui. Il a tué les Wonder 13… il a tué mon père… » souffla Cuistot qui tremblait de tous ses membres.

            C’était peu après que chacun était rentré chez lui. Ce matin-là, en se réveillant, Greg avait cru à un cauchemar. Mais en allumant sa télé, il s’était rendu compte que tout avait été vrai. Toutes les chaînes ne parlaient que d’une chose : l’évasion de Gepetto. Des experts se succédaient, des documentaires rappelaient ses exactions passées, c’était la course à celui qui mentionnerait le plus son nom. La vidéo repassait en boucle commentée par tout le monde et leurs voisins. Seule la brutale exécution d’Angelure avait été censurée pour ne pas « choquer les téléspectateurs » comme le disaient les journalistes, probablement avec beaucoup de frustration contenue.
            Greg ne savait que trop penser de Gepetto. Il ne pouvait pas le laisser faire plus de mal. En une vidéo, il avait plongé le monde dans un effroi glacial. Mais pourrait-il vraiment l’arrêter ? Il avait pris de l’assurance, depuis qu’il était Atchoum-Man, mais là, il devait se l’avouer, il avait peur. Ce ne serait certainement pas en le faisant éternuer qu’il pourrait vaincre Gepetto.

            Michael Perséphone affichait un air grave. Lui aussi avait suivi les actualités. Et il était à présent très tendu. Le retour de Gepetto était une horreur, et l’absence de Kratos et de Raijin donnait au monde l’impression d’être désarmé. Il était resté chez lui, et se demandait à présent ce qu’allait faire la Ligue des Inutiles. Ses membres, depuis quelques temps, avaient pris leur indépendance, et il était heureux de constater qu’ils n’avaient plus besoin de lui comme guide. Ils menaient leurs propres combats à présent. Mais il s’inquiétait tout de même de leur avenir. Ils ne devaient absolument pas se mêler de toute affaire impliquant Gepetto. Mais il savait au fond de lui que l’équipe qu’il avait formé était constituée de véritables héros.

            « On ne peut pas les mêler à ça ! s’écria Lumen à la réunion qui se tenait dans le QG de l’Egide.
— Lumen, tu sais très bien que la Ligue des Inutiles est déjà mêlée à cette affaire ! répondit Gravitas.
— Ils n’ont aucune chance contre Gepetto !
— Parce que tu t’imagines que nous en avons-nous ? s’exclama Gravitas. Je te rappelle que sans Terminacop, nous sommes affaiblis !
— Je crois que tu ne fais pas assez confiance à tes amis. Je trouve qu’on fait du bon boulot avec eux, déclara Punch.
— Je… » Lumen ne pouvait pas trouver les mots justes. Elle ne voulait pas que ses amis participent à un combat contre Gepetto. Mais alors, une pensée lui vint à l’esprit. Pourquoi ne voulait-elle pas qu’ils combattent ? était-ce pour leur sécurité ? Ou bien était-ce parce que… S’était-elle mise à les prendre de haut, comme le monde entier la prenait elle-même de haut de la même manière ? Elle garda le silence tandis que ses compagnons débattaient. Elle se mit à avoir honte d’elle et de la façon avec laquelle elle considérait ses amis de la Ligue.
            « Lumen, tu nous écoutes ? la voix de Gravitas sortit Lumen de sa torpeur.
— O…oui…
— Nous devons établir un plan d’action efficace dans les plus brefs délais. Je vous rappelle que le problème n’est pas seulement Gepetto. Les criminels qui étaient autour de lui ne sont pas des enfants de chœur. Il faut nous réunir avec la Ligue des Inutiles, et tous les super-héros qui voudront combattre Gepetto.
— C’est excitant — déclara Singham avant d’ajouter — quand Gepetto est dans l’équation, ça signifie presque toujours un changement d’ère.
— Justement, le but, c’est de faire en sorte que son ère dure le moins longtemps possible. » répondit Gravitas d’un ton sec.

            Gepetto était joyeux. Il avait été satisfait de son spectacle. Il appréciait sa promenade dans les rues désertes de Paris. Il respirait de grandes bouffées de l’air matinal et marchait d’un pas enjoué, s’autorisant un petit pas de danse.

Sans aucun lien,
Je me tiens bien,
Je ne titube, ni ne chancelle
Je n’ai besoin d’aucune main,
Qui tire les ficelles…

La ville déserte qui s’étendait sous ses yeux, c’était pour lui le plus beau spectacle. Sans les passants, sans la vie qui fourmillait sur les trottoirs, tout semblait plus propre, plus lisse, plus…comme il l’aime. Ne restait alors plus que la régularité des lignes, des buildings. Il était de retour, et il allait repousser le chaos pour faire régner l’ordre. Et pour cela, il allait passer par la peur, le moyen le plus efficace pour arriver à ses fins.

            Jean Pierre Le Mène était en train de regarder les informations tout en sirotant son verre de vin. Le liquide écarlate dansait au fond de son ballon. Il ne se retourna pas quand il entendit le pas de sa femme, Corinne. Elle s’approcha de lui et son regard clair se porta sur les images de Gepetto qui tournaient en boucle sur les chaînes d’information.
            « Ce monstre de retour… c’est une catastrophe.

— Non… c’est une opportunité. » se contenta de déclarer Jean-Pierre en finissant son verre.

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