Mehdi
avait beaucoup de mal à en croire ses yeux. Mais pourtant, elle semblait aller
pour le mieux. Sarah, au parloir, affichait une mine radieuse. Elle s’était
même fait légèrement couper les cheveux, et n’avait, physiquement, presque plus
rien de Sarramauca. Son teint restait encore blafard, et elle gardait son
rictus, mais il n’y avait plus de solitude dans son regard. C’était une femme
nouvelle, ce n’était plus un monstre. Mehdi s’était inquiété pour elle, et dès
qu’il a su que les visites étaient de nouveau autorisées en prison, il n’avait
pas hésité une seule seconde.
« Je
fais une piètre super-criminelle, non ? Pour me neutraliser, il faut
m’accepter. » sourit-elle. Mehdi lui rendit son sourire. Il valait mieux
qu’elle reste en prison, là, elle sera en sécurité face à Gepetto. Il
trouverait un moyen de la faire sortir, il trouverait un moyen de la serrer de
nouveau dans ses bras. Elle avait été héroïque face à Gepetto. Il le serait
aussi.
« Sarah. Je
vais botter les fesses de Gepetto. Et je te ferai sortir d’ici.
— Ma place est en prison. Tu le sais
Mehdi.
— Ma place est auprès de toi, et pas
séparé par un mur ou une baie vitrée. » répondit-il en posant sa main
contre la vitre. Sarramauca posa sa main à l’emplacement de la sienne. Elle
ferma les yeux. Elle aurait juré pouvoir sentir la chaleur de la main de Mehdi.
Michael
était en train de préparer son repas du soir. La nuit était en train de tomber
sur les rues toujours déserte. Les gens étaient effrayés. Gepetto n’avait même
pas encore agi qu’il avait déjà transformé Paris la cosmopolite en ville
fantôme. La paranoïa était visible sur les visages fermés et tendus des
quelques personnes qui déambulaient les rues en regardant autour d’elles, se
demandant si Gepetto n’allait pas débarquer pour commettre des atrocités avec
leurs corps.
Depuis
qu’il savait qu’il était sorti de sa prison, Michael était connecté 24 heures
sur 24 aux chaînes d’informations. De même, il écoutait toutes les
communications de la police. Il devait être prêt à agir, mais il ne savait pas
comment. Il avait beau fonder de grands espoirs sur la Ligue des Inutiles, il
ne les voyait pas en mesure de combattre un adversaire aussi puissant. Comme
chaque fois qu’il sortait son nez, le vieillard maléfique annonçait un
changement d’ère.
Des
coups frappés à sa porte l’extirpèrent de ses pensées. Il dirigea ses pas vers
l’entrée de son appartement, se demandant qui cela pouvait bien être. Il
ouvrit, et son visage se figea dans une expression surprise. Il eut du mal à
articuler les premiers mots qu’il voulait prononcer.
« N…
Nathalie ? Mais tu… »
Nathalie
était vêtue de sa combinaison de motarde. Elle détacha le chignon qui retenait
ses cheveux écarlates. Ses yeux verts semblaient luire dans l’obscurité du
palier. Elle tendit une main droite gantée à Michael. Celui-ci la prit dans la
sienne. Puis, d’un geste rapide, il retira le gant gauche de Nathalie. Celle-ci
eut un mouvement de recul. Michael serra alors la main gauche nue de la jeune
fille.
« Tu
joues un jeu dangereux, souffla Nyx.
— Tu n’as pas le moindre pouvoir sur moi,
répondit Michael. Et puis, j’imagine que ce doit être désagréable, de ne
pouvoir toucher aucune créature vivante. Alors si ça peut te soulager un peu.
— Tu as toujours été trop gentil. »
répondit Nyx avec un petit sourire. Michael l’invita à entrer.
Le
fumet du plat que Michael se préparait embaumait l’appartement. Les narines de
Nyx en furent flattées.
« Tu
restes pour dîner ? demanda Michael.
— Non. Je te remercie, mais je suis
pressée.
— C’est dommage pour toi. Ce soir, c’est
Rougail. »
Nyx
sourit avec tendresse. Elle n’avait hélas pas le temps de rester. Elle se
demandait même pourquoi elle était venue. Michael faisait partie d’un passé
révolu. Pourtant, elle avait ressenti le besoin de venir lui rendre visite.
Cela ne s’expliquait pas. En vérité, elle redoutait le moment où elle se
retrouverait devant lui.
« Tu
te fais appeler comment ? lui demanda Michael.
— Nyx.
— Nyx ? Ca te va bien.
— Et toi alors ? Comment se passe ton
atelier pour inutiles ?
— Très bien.
— J’imagine que tu es lié à la Ligue des
Inutiles ?
— C’est possible. »
Le
silence s’installa de nouveau. Michael avait envie de poser une question à Nyx,
mais il savait pertinemment que s’il posait sa question, une dispute allait
éclater entre lui et elle. A sa grande surprise, c’est Nyx qui prit
l’initiative.
« Dis-moi,
Mika. Tu penses que le monde se porterait mieux sans des individus comme
Gepetto ? Parfois je me demande s’il ne vaut pas mieux que certaines
personnes meurent, simplement.
— Tu envisages d’utiliser ton pouvoir sur
Gepetto ?
— Je l’ai utilisé sur de nombreuses
personnes. Pour l’argent. Pour le fun…
— Nathalie. Tu ne dois pas approcher
Gepetto. S’il se rend compte de la nature de ton pouvoir…
— Oui, je sais, je serais une arme idéale
pour lui. »
Michael
eut l’impression que Nathalie avait envie de lui dire quelque chose. Mais elle
semblait hésiter. Michael lui servit un rafraîchissement. Elle but le verre
d’une traite.
« Parfois,
quand je regarde tous ces gens… tous ces pouvoirs… tu crois que le monde était
meilleur quand on n’en avait pas ? J’ai l’impression qu’on n’est pas faits
pour avoir des pouvoir, tu vois ? J’ai l’impression que la nature nous a
fait faibles pour une bonne raison.
— J’imagine que comme pour tout, il faut
choisir si tu veux voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Les hommes
ont une particularité, ils avancent, ils évoluent. Ils résolvent, petit à petit
tous les problèmes que leur pose l’univers. Mais ce faisant, ils génèrent
autant de bon que de mauvais. On crée des armes qui peuvent raser des villes
entières, et en même temps, on est capables de greffer des membres. On est
capables de voyager partout et rapidement, mais on détruit notre environnement.
C’est
la même chose pour les pouvoirs. Certains choisissent de les utiliser pour le
bien, d’autres pour le mal. Je crois que c’est ce qui nous définit. Être
humain, c’est pouvoir décider la voie que tu vas emprunter. Dis-moi Nathalie,
tu voulais me parler de quelque chose ? »
Nyx
hésita avant de répondre. Mais lorsque la porte de l’appartement s’ouvrit, elle
bondit sur ses pieds, et porta sa main droite à son gant gauche, prête à le
retirer. Michael lui fit silencieusement signe de se calmer.
« Yo,
Mike, la porte était ouverte ! Je me suis permis d’entrer ! claironna
la voix de Greg. Celui-ci fit son entrée au salon, et, avec un air surpris,
regarda Michael et Nyx.
— Salut Greg ! s’exclama Michael.
— Oh je… je ne savais pas que tu étais
accompagné. Je suis Greg Gorman ! » il tendit sa main à Nathalie.
Celle-ci le regarda, confuse, puis quitta l’appartement sans mot dire, et sans
accorder à Greg sa poignée de main.
« Eh !
Désolé Mike… je crois que j’ai fait foirer ta soirée érotique.
— Mais qu’est-ce que tu
racontes ? »
Greg
se retourna pour jeter un dernier coup d’œil à la jeune femme qui venait de
quitter l’appartement. Il avait l’impression de l’avoir déjà vue quelque part.
Mais où ?
Devreaux
n’aimait pas les nouvelles que venait de lui apporter Whisper. Pourquoi Nyx
travaillait-elle avec Jean-Pierre Le Mène ? Elle lui appartenait, elle
comme tous ceux qui travaillaient pour lui. Le moindre de ces cafards était à
lui. Peu importaient qu’ils soient plus puissants physiquement que lui, ou
mieux armés. Au final, ils étaient tous tremblants devant son autorité et son
pouvoir. Nul ne pouvait échapper à son contrôle. Et ceux qui voudraient essayer
finiront comme cette nana que Gepetto a fait flamber en direct à la télé. Il
ruminait ces pensées.
« Whisper.
Tu crois que tu pourrais l’emporter sur Nyx, en cas de combat ?
— Tant qu’elle ne me touche pas. Je n’ai
qu’à être plus rapide qu’elle.
— Donc, si je te demandais de tuer Nyx, tu
le ferais sans problèmes ?
— Vous voulez vous débarrasser
d’elle ?
— Disons qu’elle pourrait bien causer plus
de problèmes à l’avenir. »
Les
deux hommes se regardèrent un moment. Le regard de Whisper semblait ne rien
exprimer. Ce saligaud a du sang froid à revendre, se disait Devreaux en
l’observant. Avant que Nyx ne lui arrive, c’était lui son tueur phare. Discret,
efficace, froid. Nyx ne lui était supérieure que parce qu’elle était
indétectable. Personne ne pouvait remonter jusqu’à elle, une fois le travail
effectué.
Cependant,
Nyx était indigne de confiance, tout le temps en train de défier son autorité.
Elle ne le craignait pas, elle ne lui était pas loyale. Il ne lui tournerait
jamais le dos. Whisper, en revanche, était fiable. Plus il y pensait, plus il
se disait qu’il valait peut-être mieux que Nyx disparaisse. En silence, il fit
un mouvement de tête, et Whisper acquiesça. Les deux hommes n’avaient pas
besoin de se parler pour se comprendre. Le tueur prit congé de son patron. La
prochaine fois qu’il verrait Nyx serait la dernière.
« C’est
peut-être le moment de faire ton come-back, non ? lui demanda une voix
féminine énergique qui le sortit de ses pensées.
— Tu disais, Delphine ? Cyril Marvel
s’était endormi. Il jeta un œil aux alentours. Il était dans un bus.
— Tu as vu les infos ? Il est revenu.
Le monde est plongé dans le désespoir. Alors, peut-être qu’il serait temps pour
Raijin de revenir ? »
Cyril
ne prit pas la peine de répondre. Il n’avait pas été capable de remettre Kratos
sur le droit chemin. Il n’avait rien d’un héros. Il n’était qu’un perdant.
L’expression d’ondine devint amère, et elle poussa un soupir de lassitude.
« Tu
étais plus impressionnant quand tu étais ma némésis.
— Et toi, tu étais moins bruyante.
— Tu t’es ramolli, Raijin.
— L’Egide existe, ils veilleront au grain.
Ils sauront vaincre Gepetto. Ils n’ont pas besoin de moi, personne n’a besoin
de moi.
— C’est faux, et tu le sais. Pascal a
besoin de toi, et moi aussi… » Cyril ne répondit rien. Il appréciait les
efforts d’Ondine pour lui remonter le moral, et il avait du mal à croire qu’il
s’agissait de la même tueuse implacable qu’il avait poursuivi toutes ces années.
Pierre était également devenu un ami précieux. Lui qui se voyait comme un
chevalier, il s’était acoquiné avec de bien étranges individus.
« Raijin
doit revenir ! s’exclama Ondine.
— Raijin est mort. Kratos l’a tué. »
répondit-il après une seconde de réflexion.
Il ne reviendrait
pas, et il n’utiliserait jamais plus ses pouvoir, c’était décidé.
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