« On s’emmerde, Gepetto !
chouina Vico, qui venait de finir ses mots croisés.
—
C’était marrant de faire cramer Angelure et tout… mais si on ne fait rien, ça a
servi à quoi qu’on sorte de taule ? renchérit Tox.
—
Vous vous ennuyez ? demanda Gepetto qui leva un sourcil. Ses compagnons ne
lui avaient quasiment jamais adressé la parole. Ils s’étaient contentés de
rester plantés là, à attendre on ne savait quoi.
—
Ben ouais, on s’emmerde !
—
Ben dans ce cas, sortez, éclatez-vous ! répondit le vieil homme.
—
On… on a le droit ? Tu nous autorises ? demanda Crystal d’une voix
hésitante.
—
Quoi faut que je vous donne mon autorisation ? Vous me demandez mon avis
quand vous allez pisser ? Sortez, volez, tuez éclatez-vous ! »
grommela le marionnettiste. Les trois criminels s’échangèrent un regard
circonspect, avant de chacun quitter l’appartement délabré que Gepetto avait
choisi pour cachette.
Elle
avait demandé à être avertie en cas de mouvements suspects de supers. Et après
une longue période de calme plat, les incidents avaient explosé d’un coup. Tox,
Vico et Crystal, qui avaient été vus dans la vidéo de Gepetto s’étaient mis à
attaquer divers endroits de la ville. Il semblait n’y avoir aucun lien entre
les crimes. Ils choisissaient chacun un lieu, ils faisaient des ravages, et ils
disparaissaient aussitôt.
« Ils
sont durs à suivre. Depuis ce matin, on a compté cinq attaques en moyenne par
criminel, s’exclama un lieutenant de police pâlot et transpirant. Il semblait
débordé.
— Aucun signe de Gepetto ? demanda
Togusa.
— Non. On essaye de trouver un lien entre
ces attaques, mais rien. Si ce n’est que les criminels sont liés à Gepetto.
— Mon dieu ! Tox vient d’empoisonner
les occupants d’une boutique dans le quatrième arrondissement ! s’exclama
un officier.
— Des animaux… » souffla Séverine, en
s’assurant que son arme de service était chargée. D’un pas décidé, elle sortit
du commissariat et se précipita dans sa voiture.
Elle
parvint sur les lieux du crime en peu de temps, et sortit arme au poing. La rue
était déserte, et de la fumée verdâtre sortait de la boutique. Alors qu’elle
porta la main à un masque à gaz posé sur le siège passager du véhicule, elle
vit une silhouette se diriger d’un pas décidé vers la boutique. C’était un
homme vêtu d’une cape bleu électrique et d’un costume en lycra flashy. Il
s’agissait d’un super-héros bien connu. Il se faisait appeler Skateman, et son
pouvoir consistait à retirer le sens de friction chez ses adversaires. Son
pouvoir particulier le rendait plus redoutable qu’on ne pourrait le croire.
« Tox !
Je sais où tu t’caches ! Viens ici que j’te bute sale enfoiré ! hurla
Skateman d’une voix rauque.
— Ta gueule ! Viens ici sale enculé !
répondit la voix de Tox
— Salaud ! » Séverine fit la
moue. Skateman n’était pas connu pour être un poète dans l’âme.
Skateman
porta son attention sur une voiture, et la toucha. Puis, d’une simple
pichenette, il poussa le véhicule vers la boutique. La voiture glissa sur le
bitume comme sur une planche savonnée. Elle éventra la façade de la boutique.
La silhouette massive de Tox émergea du magasin.
« La
fliquette, essaye de sortir les survivants de la boutique. Je m’occupe de
Tox ! » déclara Skateman avec assurance. Il avait presque l’air cool,
en dépit de sa tenue ridicule. Séverine Togusa, masque à gaz sur le nez se
précipita dans la boutique afin de sauver autant de survivants que possible.
Tox,
muscles saillants en avant, accourut vers Skateman. Il lui lança un coup de
poing violent, mais sa main glissa le long du corps du Super-héros. Skateman,
qui était en plus très doué en kung-fu, entreprit un enchaînement. Tox tomba au
sol. La rage au ventre, son corps se mit à sécréter sa puissante neurotoxine.
Skateman s’en rendit compte et prit ses distances d’un bond.
Tox
n’en pouvait plus du sourire d’abruti de Skateman. Il voulut se lever, mais il
se rendit compte que ses mains, ses bras, ses jambes, ses pieds… tous ses
membres glissaient sur le sol. Il ne pouvait plus se relever.
« Le
tas de merde dans ton genre devraient rester par terre ! hurla Skateman
d’une voix triomphale.
— Attends que j’arrive à ma lever, espèce
de minable ! » s’écria un Tox enragé.
Séverine
Togusa avait réussi à retrouver quelques survivants. Mais il était trop tard
pour au moins trois victimes. Elle se démena pour sortir autant de survivants
qu’elle le pouvait de la boutique. Une fois qu’elle les eut mis en sûreté, elle
appela les secours. Son regard se posa ensuite sur le combat entre les deux
surhumains. Il semblait que Skateman avait pris l’avantage. Il était bien plus
fort qu’on ne pouvait le croire, décidément. Tox avait beau se démener, il ne
parvenait pas à se relever. Skateman porta son attention sur une camionnette
stationnée non loin. Il allait probablement faire glisser le véhicule vers le
criminel pour le percuter.
Mais
alors, il se passa quelque chose d’inhabituel. Tox s’éleva dans les airs, et se
posa sur ses pieds. Il parut lui-même surpris un instant, avant qu’un sourire
féroce ne se dessine sur son visage. Séverine Togusa ouvrit grands ses yeux. Il
venait d’arriver, Il était caché quelque part. Gepetto.
Skateman
fut surpris de voir que Tox s’était relevé. Il se précipita sur lui, et le
frappa afin de lui retirer sa friction. Mais cela ne fonctionna pas. Tox était
toujours debout. Le criminel se mit à le cogner. Il semblait avoir gagné une
maîtrise du kung-fu qu’il n’avait pas précédemment. Il était évident, à son
regard confus, que Tox ne savait pas ce qu’il faisait. Pourtant, ses mouvements
étaient efficaces et précis. Skateman eut du mal à suivre.
Finalement,
il tomba au sol. Il lança de nouveau son regard vers la camionnette qu’il avait
remarqué plus tôt. Il se leva d’un bond et se précipita vers le véhicule. Il le
poussa. La camionnette glissa vers Tox qui l’esquiva avec un bond non naturel
de plus de six mètres. Il atterrit avec grâce. Skateman était troublé.
Puis il sentit une main sur son épaule. Un frisson traversa son échine. Il se
figea et sentit la pâleur emplir ses joues.
« C’est
un pouvoir intéressant, jeune homme. Il serait bon de l’utiliser pour moi. Tu
ne crois pas ? demanda une voix sardonique.
— Putain de bordel de merde… souffla
Skateman.
— Tu m’appartiens maintenant. »
s’exclama Gepetto.
C’était
lui. Il était dans sa ligne de mire. Séverine Togusa dirigea son arme vers le
criminel. Celui-ci lui lança un regard énigmatique. Il la salua d’un mouvement
de tête poli, puis, bougeant les doigts, il approcha de lui Skateman et Tox qui
marchèrent à sa suite comme des gardes du corps. Séverine savait que même si
elle abattait les deux boucliers humains de Gepetto, il pourrait toujours
manipuler leurs cadavres. Elle ne put que regarder le criminel s’en aller avec
ses deux otages, tandis que les sirènes des ambulances venaient emplir ses
tympans.
A
peine avait-elle rejoint l’habitacle de son véhicule que la radio grésilla.
Vico était en train de faire des ravages. Elle s’enquit de l’adresse et se
précipita vers le lieu du crime. Mais au moment où elle arriva sur place, elle
vit un autre superhéros, Ray, qui pouvait tirer des lasers avec ses doigts,
marcher comme un automate aux cotés du criminel. Séverine vit alors la
silhouette de Gepetto non loin. Un nouvel appel radio la ramena à la réalité.
Cette fois-ci, Crystal était en train de dévaster un quartier dans le 5e
arrondissement. Sa voiture fendit l’atmosphère.
L’officier
chargé du dispatch semblait débordé. Plus d’une dizaine de super-crimes avaient
été signalés en une demi-journée, et aucun n’avait été résolu. Un autre appel
survint. Cette fois-ci, c’était Skateman qui faisait du grabuge au quartier de
l’Opéra.
« C’est
quoi ce merdier ? laissa échapper l’agent du dispatch.
— Oh mon dieu… c’est un plan de
recrutement… Gepetto lève une armée… » souffla Séverine Togusa.
Fiona
Lerner regarda par la fenêtre de son immeuble. La rue en contrebas était en
feu. Des voitures renversées, des poubelles en flammes, des bris de vitres
jonchant le bitume… On se serait cru dans une zone de guerre. C’était le chaos.
Gepetto devenait de plus en plus fort. Et personne ne pouvait s’opposer à lui.
Elle voulut utiliser son pouvoir afin de voir le futur… puis elle s’abstint.
Elle ne voulait plus voir l’avenir. Ses visions n’étaient jamais heureuses.
Qu’importe ce qu’il pourrait advenir. Elle ferait comme tout le monde, elle
connaîtrait le futur quand il deviendra le présent.
Pascal
Marvel regardait la télévision. Les chaînes d’information en parlaient sans
arrêt. La ville de Paris connaissait une vague de super-criminalité comme
jamais on n’en avait vu. Des super-criminels et des super-héros utilisaient
leur pouvoir pour blesser, détruire… son frère Cyril vint s’asseoir à coté, un
sachet de chips dans les mains.
« Le
monde a besoin de héros, plus que jamais… observa Pascal.
— Le monde a suffisamment de héros. Il n’y
a plus que ça. Et regarde ce que ça donne, répondit Cyril en engloutissant une
poignée de chips.
— Raijin doit revenir mettre de l’ordre.
Aujourd’hui, il fait partie des plus puissants superhéros.
— Raijin n’existe plus. Je ne peux plus
rien faire Pascal. Au fond, j’ai toujours été un second rôle. »
Pascal
le regarda un moment, puis il se leva et passa un manteau sur ses épaules. Il
se dirigea vers la porte.
« Tu
vas où, frangin ? demanda Cyril.
— Tu sais, je suis un personnage
secondaire moi aussi. Que ce soit à tes côtés ou avec la Ligue des Inutiles, je
suis un personnage secondaire. Mais même un figurant comme moi doit pouvoir
faire quelque chose. Tu peux rester ici à bouffer des chips, si tu veux. Trouve
toi un boulot dans la compta, vis une vie paisible, oublie tes pouvoirs. Moi,
je vais à Paris. »
Sur
ces mots, il passa le seuil de la porte, laissant son frère seul dans
l’appartement. Cyril, amorphe, continua de manger ses chips. Puis, pris d’une
colère soudaine, il jeta le paquet au loin.
La
préfecture de police passa une annonce officielle au cours de la journée. Les
super-héros n’avaient plus le droit d’intervenir dans les cas de super
criminalité. Gepetto profitait des interventions pour manipuler les héros afin
de les mettre sous sa coupe. Une liste des super-héros tombés sous son contrôle
avait été diffusée. Les crimes continuèrent toute la journée, et le coût des
dégâts était astronomique. Jean-Pierre Le Mène s’était fendu d’un communiqué,
et il semblait que chacun des crimes contribuait à faire grimper sa popularité
en flèche. Si ses positions avaient toujours été critiquées amèrement, si tenir
des propos anti-supers avait toujours été assimilé à du fascisme, la peur avait
contribué à les rendre moins scandaleux dans l’esprit des gens. Cette journée
avait changé la donne. Même les super-héros étaient devenus dangereux.
L’héroïsme venait de mourir.
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