lundi 26 juin 2017

Partie 2: Chapitre 14

            « On s’emmerde, Gepetto ! chouina Vico, qui venait de finir ses mots croisés.
— C’était marrant de faire cramer Angelure et tout… mais si on ne fait rien, ça a servi à quoi qu’on sorte de taule ? renchérit Tox.
— Vous vous ennuyez ? demanda Gepetto qui leva un sourcil. Ses compagnons ne lui avaient quasiment jamais adressé la parole. Ils s’étaient contentés de rester plantés là, à attendre on ne savait quoi.
— Ben ouais, on s’emmerde !
— Ben dans ce cas, sortez, éclatez-vous ! répondit le vieil homme.
— On… on a le droit ? Tu nous autorises ? demanda Crystal d’une voix hésitante.
— Quoi faut que je vous donne mon autorisation ? Vous me demandez mon avis quand vous allez pisser ? Sortez, volez, tuez éclatez-vous ! » grommela le marionnettiste. Les trois criminels s’échangèrent un regard circonspect, avant de chacun quitter l’appartement délabré que Gepetto avait choisi pour cachette.
             Au commissariat, c’était la panique. Le major Séverine Togusa avait été appelée en catastrophe. Elle était allée rendre visite à Terminacop sur son lit de souffrance. Elle avait vu les deux bras cassés de son ami, plongé dans un profond coma. Elle s’était jurée de détruire Gepetto. Dans ses veines coulaient du café, elle avait les sens en alerte, et attendait que le marionnettiste fasse une erreur pour l’abattre, venger son camarade et sauver le monde. Elle n’aurait pas besoin de super-pouvoirs. Ou plutôt, son flingue était rempli de super-pouvoirs. Et elle avait hâte de les utiliser sur le super-criminel.
            Elle avait demandé à être avertie en cas de mouvements suspects de supers. Et après une longue période de calme plat, les incidents avaient explosé d’un coup. Tox, Vico et Crystal, qui avaient été vus dans la vidéo de Gepetto s’étaient mis à attaquer divers endroits de la ville. Il semblait n’y avoir aucun lien entre les crimes. Ils choisissaient chacun un lieu, ils faisaient des ravages, et ils disparaissaient aussitôt.
            « Ils sont durs à suivre. Depuis ce matin, on a compté cinq attaques en moyenne par criminel, s’exclama un lieutenant de police pâlot et transpirant. Il semblait débordé.
— Aucun signe de Gepetto ? demanda Togusa.
— Non. On essaye de trouver un lien entre ces attaques, mais rien. Si ce n’est que les criminels sont liés à Gepetto.
— Mon dieu ! Tox vient d’empoisonner les occupants d’une boutique dans le quatrième arrondissement ! s’exclama un officier.
— Des animaux… » souffla Séverine, en s’assurant que son arme de service était chargée. D’un pas décidé, elle sortit du commissariat et se précipita dans sa voiture.

            Elle parvint sur les lieux du crime en peu de temps, et sortit arme au poing. La rue était déserte, et de la fumée verdâtre sortait de la boutique. Alors qu’elle porta la main à un masque à gaz posé sur le siège passager du véhicule, elle vit une silhouette se diriger d’un pas décidé vers la boutique. C’était un homme vêtu d’une cape bleu électrique et d’un costume en lycra flashy. Il s’agissait d’un super-héros bien connu. Il se faisait appeler Skateman, et son pouvoir consistait à retirer le sens de friction chez ses adversaires. Son pouvoir particulier le rendait plus redoutable qu’on ne pourrait le croire.
            « Tox ! Je sais où tu t’caches ! Viens ici que j’te bute sale enfoiré ! hurla Skateman d’une voix rauque.
— Ta gueule ! Viens ici sale enculé ! répondit la voix de Tox
— Salaud ! » Séverine fit la moue. Skateman n’était pas connu pour être un poète dans l’âme.

            Skateman porta son attention sur une voiture, et la toucha. Puis, d’une simple pichenette, il poussa le véhicule vers la boutique. La voiture glissa sur le bitume comme sur une planche savonnée. Elle éventra la façade de la boutique. La silhouette massive de Tox émergea du magasin.
            « La fliquette, essaye de sortir les survivants de la boutique. Je m’occupe de Tox ! » déclara Skateman avec assurance. Il avait presque l’air cool, en dépit de sa tenue ridicule. Séverine Togusa, masque à gaz sur le nez se précipita dans la boutique afin de sauver autant de survivants que possible.

            Tox, muscles saillants en avant, accourut vers Skateman. Il lui lança un coup de poing violent, mais sa main glissa le long du corps du Super-héros. Skateman, qui était en plus très doué en kung-fu, entreprit un enchaînement. Tox tomba au sol. La rage au ventre, son corps se mit à sécréter sa puissante neurotoxine. Skateman s’en rendit compte et prit ses distances d’un bond.
            Tox n’en pouvait plus du sourire d’abruti de Skateman. Il voulut se lever, mais il se rendit compte que ses mains, ses bras, ses jambes, ses pieds… tous ses membres glissaient sur le sol. Il ne pouvait plus se relever.
            « Le tas de merde dans ton genre devraient rester par terre ! hurla Skateman d’une voix triomphale.
— Attends que j’arrive à ma lever, espèce de minable ! » s’écria un Tox enragé.

            Séverine Togusa avait réussi à retrouver quelques survivants. Mais il était trop tard pour au moins trois victimes. Elle se démena pour sortir autant de survivants qu’elle le pouvait de la boutique. Une fois qu’elle les eut mis en sûreté, elle appela les secours. Son regard se posa ensuite sur le combat entre les deux surhumains. Il semblait que Skateman avait pris l’avantage. Il était bien plus fort qu’on ne pouvait le croire, décidément. Tox avait beau se démener, il ne parvenait pas à se relever. Skateman porta son attention sur une camionnette stationnée non loin. Il allait probablement faire glisser le véhicule vers le criminel pour le percuter.
            Mais alors, il se passa quelque chose d’inhabituel. Tox s’éleva dans les airs, et se posa sur ses pieds. Il parut lui-même surpris un instant, avant qu’un sourire féroce ne se dessine sur son visage. Séverine Togusa ouvrit grands ses yeux. Il venait d’arriver, Il était caché quelque part. Gepetto.

            Skateman fut surpris de voir que Tox s’était relevé. Il se précipita sur lui, et le frappa afin de lui retirer sa friction. Mais cela ne fonctionna pas. Tox était toujours debout. Le criminel se mit à le cogner. Il semblait avoir gagné une maîtrise du kung-fu qu’il n’avait pas précédemment. Il était évident, à son regard confus, que Tox ne savait pas ce qu’il faisait. Pourtant, ses mouvements étaient efficaces et précis. Skateman eut du mal à suivre.
            Finalement, il tomba au sol. Il lança de nouveau son regard vers la camionnette qu’il avait remarqué plus tôt. Il se leva d’un bond et se précipita vers le véhicule. Il le poussa. La camionnette glissa vers Tox qui l’esquiva avec un bond non naturel de plus de six mètres. Il atterrit avec grâce. Skateman était troublé. Puis il sentit une main sur son épaule. Un frisson traversa son échine. Il se figea et sentit la pâleur emplir ses joues.
            « C’est un pouvoir intéressant, jeune homme. Il serait bon de l’utiliser pour moi. Tu ne crois pas ? demanda une voix sardonique.
— Putain de bordel de merde… souffla Skateman.
— Tu m’appartiens maintenant. » s’exclama Gepetto.

            C’était lui. Il était dans sa ligne de mire. Séverine Togusa dirigea son arme vers le criminel. Celui-ci lui lança un regard énigmatique. Il la salua d’un mouvement de tête poli, puis, bougeant les doigts, il approcha de lui Skateman et Tox qui marchèrent à sa suite comme des gardes du corps. Séverine savait que même si elle abattait les deux boucliers humains de Gepetto, il pourrait toujours manipuler leurs cadavres. Elle ne put que regarder le criminel s’en aller avec ses deux otages, tandis que les sirènes des ambulances venaient emplir ses tympans.

            A peine avait-elle rejoint l’habitacle de son véhicule que la radio grésilla. Vico était en train de faire des ravages. Elle s’enquit de l’adresse et se précipita vers le lieu du crime. Mais au moment où elle arriva sur place, elle vit un autre superhéros, Ray, qui pouvait tirer des lasers avec ses doigts, marcher comme un automate aux cotés du criminel. Séverine vit alors la silhouette de Gepetto non loin. Un nouvel appel radio la ramena à la réalité. Cette fois-ci, Crystal était en train de dévaster un quartier dans le 5e arrondissement. Sa voiture fendit l’atmosphère.
            L’officier chargé du dispatch semblait débordé. Plus d’une dizaine de super-crimes avaient été signalés en une demi-journée, et aucun n’avait été résolu. Un autre appel survint. Cette fois-ci, c’était Skateman qui faisait du grabuge au quartier de l’Opéra.
            « C’est quoi ce merdier ? laissa échapper l’agent du dispatch.
— Oh mon dieu… c’est un plan de recrutement… Gepetto lève une armée… » souffla Séverine Togusa.

            Fiona Lerner regarda par la fenêtre de son immeuble. La rue en contrebas était en feu. Des voitures renversées, des poubelles en flammes, des bris de vitres jonchant le bitume… On se serait cru dans une zone de guerre. C’était le chaos. Gepetto devenait de plus en plus fort. Et personne ne pouvait s’opposer à lui. Elle voulut utiliser son pouvoir afin de voir le futur… puis elle s’abstint. Elle ne voulait plus voir l’avenir. Ses visions n’étaient jamais heureuses. Qu’importe ce qu’il pourrait advenir. Elle ferait comme tout le monde, elle connaîtrait le futur quand il deviendra le présent.

            Pascal Marvel regardait la télévision. Les chaînes d’information en parlaient sans arrêt. La ville de Paris connaissait une vague de super-criminalité comme jamais on n’en avait vu. Des super-criminels et des super-héros utilisaient leur pouvoir pour blesser, détruire… son frère Cyril vint s’asseoir à coté, un sachet de chips dans les mains.
            « Le monde a besoin de héros, plus que jamais… observa Pascal.
— Le monde a suffisamment de héros. Il n’y a plus que ça. Et regarde ce que ça donne, répondit Cyril en engloutissant une poignée de chips.
— Raijin doit revenir mettre de l’ordre. Aujourd’hui, il fait partie des plus puissants superhéros.
— Raijin n’existe plus. Je ne peux plus rien faire Pascal. Au fond, j’ai toujours été un second rôle. »
            Pascal le regarda un moment, puis il se leva et passa un manteau sur ses épaules. Il se dirigea vers la porte.
            « Tu vas où, frangin ? demanda Cyril.
— Tu sais, je suis un personnage secondaire moi aussi. Que ce soit à tes côtés ou avec la Ligue des Inutiles, je suis un personnage secondaire. Mais même un figurant comme moi doit pouvoir faire quelque chose. Tu peux rester ici à bouffer des chips, si tu veux. Trouve toi un boulot dans la compta, vis une vie paisible, oublie tes pouvoirs. Moi, je vais à Paris. »
            Sur ces mots, il passa le seuil de la porte, laissant son frère seul dans l’appartement. Cyril, amorphe, continua de manger ses chips. Puis, pris d’une colère soudaine, il jeta le paquet au loin.


            La préfecture de police passa une annonce officielle au cours de la journée. Les super-héros n’avaient plus le droit d’intervenir dans les cas de super criminalité. Gepetto profitait des interventions pour manipuler les héros afin de les mettre sous sa coupe. Une liste des super-héros tombés sous son contrôle avait été diffusée. Les crimes continuèrent toute la journée, et le coût des dégâts était astronomique. Jean-Pierre Le Mène s’était fendu d’un communiqué, et il semblait que chacun des crimes contribuait à faire grimper sa popularité en flèche. Si ses positions avaient toujours été critiquées amèrement, si tenir des propos anti-supers avait toujours été assimilé à du fascisme, la peur avait contribué à les rendre moins scandaleux dans l’esprit des gens. Cette journée avait changé la donne. Même les super-héros étaient devenus dangereux. 

L’héroïsme venait de mourir.

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