lundi 13 février 2017

Partie 2 : Chapitre 1

« Vous avez déjà entendu parler de l’entropie, Jérémy ? demanda Gepetto tout en sirotant le café qui lui avait été servi dans sa cellule, au prix de nombreuses précautions.
— Non monsieur Gepetto.
— L’univers va vers le chaos. Continuellement. Au début, il y avait l’ordre, puis le big bang. Ce qu’on est, finalement, ce n’est rien de plus que des résidus d’explosion qui voyagent à toute vitesse dans un univers qui devient chaque seconde plus chaotique. Le chaos, c’est notre état naturel. Vous me suivez, Jérémy ?


— Pas vraiment, répliqua le jeune gardien d’un air distrait.
— Jetez un verre de vin au sol. Le verre va se briser, le liquide va se répandre. Balancez un livre aux quatre vents, et ses nombreuses pages vont s’arracher, s’éparpiller, il ne restera plus rien de leur agencement pourtant parfaitement ordonné.
— Ben, c’est normal, non ?
— Vous mettez le doigt sur le point le plus essentiel. Le chaos, à nos yeux est normal. Du vin qui se répand sur le sol après avoir été jeté, c’est le chaos. Et c’est normal. Pourtant, dites-moi, Jérémy, le chaos, ça vous tente ?
— Ben non…répondit le jeune homme peu à l’aise face aux questions philosophiques du criminel.
— Bien sûr, personne ne souhaite le chaos. L’homme aime l’ordre. L’homme est une créature contre-nature quand on y pense. Contrairement aux animaux qui vivent dans la nature et s’adaptent à elle, les hommes l’apprivoisent. C’est à la nature de s’adapter à eux.
— Alors selon vous, il est dans la nature humaine de polluer la planète, pour pouvoir se développer ? Ce n’est pas un peu fataliste ? se risqua à demander le jeune homme.
— Peut-être. Toujours est-il que l’homme entre toujours en conflit avec l’ordre naturel de l’univers. » sur ces mots, le vieil homme fit une pause, sirotant une nouvelle gorgée de son café. Il n’avait pas encore touché à son petit-déjeuner.
            « Vous savez, quand j’ai reçu mon pouvoir, j’ai compris une chose. J’ai compris que je venais de me voir octroyer la possibilité de combattre l’univers et son chaos. Mon pouvoir permet de mettre de l’ordre partout. L’ordre, mon jeune ami, naît du contrôle.
— Vous pensez que vous avez la mission de sauver l’univers en contrôlant les gens ? demanda d’un air perplexe Jérémy.
— L’ordre, c’est la sécurité. A mon échelle, j’utilise les dons que j’ai reçu pour aller à l’encontre de notre sort, de cet univers qui ne nous enchante guère, cet univers qui se complaît dans le chaos. L’homme recherche l’ordre, et mon pouvoir peut le lui prodiguer. »
            Jérémy frémit. Cela faisait deux ans qu’il était chargé de s’occuper quotidiennement de fournir ses vivres à Gepetto, le pire super-vilain que la Terre ait engendré, prisonnier de sa forteresse de solitude, dans un isolement total. Il avait toujours trouvé le vieil homme très inquiétant. Il paraissait fragile, parfois, d’une tristesse infinie, mais il avait toujours dans les yeux une lueur très sombre et préoccupante, comme s’il examinait tout ce qui l’entourait et pesait dans son esprit la meilleure façon d’utiliser tout ce qui se trouvait à portée de son regard. Jérémy avait eu cinq prédécesseurs qui étaient tous partis sans demander leur reste. Il commençait à comprendre pourquoi : Gepetto foutait la trouille.

            « Kratos qui affronte Raijin et s’attaque à une bande de héros en devenir, c'est une preuve que le chaos s’empare bel et bien du monde à une vitesse affolante. C’est mon travail de remettre un peu d’ordre dans tout ça, s’exclama soudain le vieil homme en se redressant sur ses deux jambes.
— Remettre de l’ordre ?
— Jérémy, vous voulez bien m’ouvrir ?
— Quoi ? Mais certainement pas ! » répondit le jeune homme.
            Il mit pourtant la main dans sa poche et en sortit sa carte-clé personnelle. Pourquoi l’avait-il sortie ? Il ne saurait le dire. Il fit un pas qui le rapprocha de la cellule, pourtant, il ne l’avait pas voulu. C’était comme si quelqu’un d’autre s’était substitué à son cerveau et donnait des ordres à ses membres. Il marchait de façon désordonnée, se débattant contre la force qui le guidait.
            « C’est vous qui faites ça ? Mais c’est impossible, les instructions étaient claires ! Je n’ai jamais eu le moindre contact physique avec vous ! s’écria le gardien avec panique.
— Oh, mais personne n’a jamais dit que mon pouvoir fonctionnait via un contact physique direct. Jérémy, je vous avais sous mon contrôle la première fois que vous avez ramassé mon plateau-repas, il y a deux ans.
— Je suis sous votre emprise ? Jérémy suait à grosses gouttes une sueur qui ruisselait le long de ses tempes.
— Je le crains mon ami. Depuis longtemps. »
            Jérémy crut devenir fou. Il savait qu’il était en grave danger. Gepetto avait une totale emprise sur son corps. Il regarda ses membres, et alors, il crut discerner des fils immatériels qui le reliaient à Gepetto, comme une marionnette était liée à son marionnettiste. Il voyait ces étranges fils s’actionner et le forcer à se mouvoir.
            Gepetto s’approcha, guilleret, de la porte de la cellule. Celle-ci s’ouvrit au moment où la carte entra en contact avec la serrure électronique. Jérémy pâlit. Gepetto venait de sortir de la cellule, et il ne pouvait rien faire.
            « Ne vous en faites pas Jérémy, je vous aime bien. Durant ces deux années, vous avez été un confident, un ami, même. Je ne vous ferai pas de mal. » déclara Gepetto. Jérémy vit alors ses pieds le mener dans la cellule à la place de Gepetto, et sa main, comme si elle était muée par sa propre volonté, lança la carte-clé au criminel qui l’utilisa pour verrouiller la cellule. Puis, il partit en sifflotant un air guilleret. Jérémy reconnut une chanson du film Pinocchio de Disney.

Sans aucun lien,
Je me tiens bien,
Je ne titube,
Ni ne chancelle.
J’n’ai besoin d’aucune main
Qui tire les ficelles…

            Gepetto marchait nonchalamment dans la prison tout en entonnant la chanson. Quittant la zone de haute sécurité, il fut interpellé par un gardien. Gepetto avait planifié son évasion depuis longtemps. Et la majorité des gardiens de la prison étaient sous son pouvoir sans qu’ils le sachent. Le surveillant pénitencier qui l'avait interpellé ne put plus bouger. Il était figé, puis sa tête fit un mouvement brusque sur le côté. Il s’effondra dès que l’horrible craquement que fit sa nuque en se brisant retentit.
            Gepetto semblait se promener au milieu des murs gris de la prison. Les gardiens, qui n’étaient pas maîtres de leurs mouvements étaient immobiles pour beaucoup, d’autres, en revanche se mouvant comme des automates, ouvraient les cellules des détenus. Le personnel de la maison d'arrêt voyait avec effarement une émeute d’une gravité sans précédent naître sous ses yeux.

            Sarramauca était dans sa cellule, et lisait un livre. Elle avait décidé d’accepter sa sentence. Elle ne se plaignait pas trop. Elle voyait de temps en temps Mehdi quand il passait lui rendre visite, et là, au moins, elle était sûre de ne faire de mal à personne. Les gardiens s’étaient même un peu ouverts à elle, et même si elle ne leur répondait jamais en raison de la nature de son pouvoir, elle était heureuse de voir qu’ils la traitaient comme un être humain, et non comme le monstre qu’elle avait toujours cru être.
            La porte de sa cellule s’ouvrit et la fit sursauter. Elle ouvrit de grands yeux ronds qui luisaient sous ses mèches noires. Le gardien qui lui avait ouvert ne semblait pas être dans son état normal. Il lui avait bien ouvert la porte, mais son visage était figé par la terreur.
            « Gepetto ! Il s’évade… » souffla l'homme en grinçant des dents. Sarramauca risqua un regard hors de la cellule et vit au loin la silhouette d’un vieillard qui marchait tranquillement au milieu du chaos qu’il venait de créer.
            Hors de la cellule, c’était la pagaille absolue. Des super-criminels libérés avaient décidé de se venger des gardiens. On voyait des flammes surgir, des pics de glace volaient. Ce serait dangereux si tous ces tarés devaient se retrouver à battre le pavé des rues à nouveau, se dit Sarramauca. Elle pensa surtout à Mehdi qui aurait alors à les affronter. Elle lança un regard rassurant au gardien qui était figé devant sa cellule et partit à la poursuite d’un groupe de super-criminels qui, après avoir mis leur geôliers hors d’état de nuire, entouraient Gepetto comme une garde prétorienne. Ils le portaient aux nues, lui, leur libérateur, lui, le plus puissant des super-vilains qui ait existé.

            Sarramauca les rejoint à toute vitesse et barra leur route. Elle reconnut certains des super-criminels, comme Angelure, femme qui manipulait la glace, ou Tox qui était un grand gaillard dont le corps pouvait sécréter une puissante neurotoxine, Crystal un jeune homme au look emo qui pouvait transformer la matière en cristal ou encore Vico, un gros bonhomme sale sur lui dont le pouvoir était d’annuler le principe de cohésion moléculaire par contact et qui s’en était servi pour transformer ses victimes en purée afin de les ingérer. Sarramauca se retrouvait face à une bien sale brochette de voyous.
            « Tiens, mais n’est-ce pas miss cauchemars ? Tu rejoins la fine équipe ? demanda Crystal.
— NON ! » hurla Sarramauca.
            Son pouvoir fit effet et Angelure, Tox, Crystal ainsi que Vico furent tétanisés de terreur. Ils étaient en proie à leur plus terribles cauchemars. Sarramauca pouvait voir l’expression physique de leur peur, qu’elle avait toujours considéré comme ses friandises préférées avant de changer au contact de Mehdi, s’échapper de leur corps. Le groupe de criminels se recroquevilla au sol, terrassé par la peur. Sarramauca était satisfaite. Sa voix n’avait pas perdu de son pouvoir. Pourtant quelque chose la mettait mal à l’aise.
            Son regard se posa sur Gepetto. Il avait mis des boules Quiès qu’il désigna de ses deux index et la regardait avec un grand sourire. Puis, il s’adressa à elle d’un air théâtral :
            « Sarah, ma chère Sarah, je savais bien que tu avais changé. Toi qui rejoint le camp du soi-disant bien, c’est une fois de plus l’expression du chaos. C’est dommage, j’aurais préféré t’avoir à mes côtés. Tu es puissante, tu as tout de même réussi à t’occuper de toute mon équipe. Et puis, mon pouvoir n’a que peu d’effet sur toi. Je ne peux pas t’utiliser, car je ne peux pas contrôler ta précieuse voix. Oui, c’est dommage, tu aurais été un atout majeur, mais au final, tu es un obstacle que je ne peux pas laisser vivre. »
            Sarramauca se mit sur ses gardes. Puis elle évita un amas de pics glacés qui manquèrent de la transpercer de toutes parts. Elle ouvrit de grands yeux pour voir Angelure qui bougeait contre sa volonté. Elle était toujours plongée dans ses cauchemars mais son corps se mouvait. C’était là l’œuvre de Gepetto. Elle esquiva de peu une attaque menée par le corps de Crystal qui transforma le mur contre lequel elle se tenait en cristal qui se brisa après un coup pataud de Vico. Tox, bien que quasi inconscient, cracha un nuage de poison que Sarramauca évita de peu. Vico lança sa main pour la frapper, et elle fit un saut pour reculer. Il toucha une partie de la tenue de Sarramauca qui se mit à fondre sur elle. Son pied se posa sur une surface glacée placée là par Angelure. Sarramauca glissa en arrière et tomba au sol, aux pieds de Gepetto. Au-dessus d’elle, elle vit apparaître les carcasses de ses adversaires. Elle ne doutât pas qu’ils allaient lui porter le coup de grâce.
            « Tu es devenue bien faible, Sarah. Aujourd’hui, c’est le jour de ma libération, de ma renaissance. Alors je vais être gentil et oublier que tu viens d’essayer de jouer les héroïnes. A présent retourne dans ta cellule je te prie. » déclara Gepetto en posant une petite pichenette sur le front de Sarramauca. Elle se releva, contre sa volonté, puis, marchant sans naturel, elle se dirigea vers sa cellule, le gardien la referma et toujours guidé par Gepetto, il lui tendit la carte-clé. Sarramauca, sans maîtriser ses mouvements, s’en empara, et la brisa de sa main. Elle regarda alors, impuissante, les détenus sortir de prison.


            « Il est grand temps de remettre de l’ordre dans ce monde » déclara Gepetto une fois à l’air libre, entouré de ses compagnons qui émergeaient à peine des cauchemars que leur avait donné Sarramauca et qui n’étaient pas sûr de savoir comment ils avaient fait pour sortir du pénitencier. Gepetto souriait avec une joie infantile. Il allait instaurer son ère.

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