lundi 18 avril 2016

Chapitre 19

« Allez au diable la Ligue des Inutiles ! hurlait le forcené alors qu’il s’était mis à tirer à la mitrailleuse en pleine rue.
− Hé oh ! Il est malade ? s’écria Arcimboldo qui s’était confectionné une protection en faisant pousser une grappe de noix de coco sur tout le corps.
− Faut l’immobiliser, que je puisse bien le sangler, déclara Textil.
− Quand il aura fini de nous tirer dessus… » rétorqua Tear.
            Ayant dit ces mots, le héros aux larmes se concentra, et les yeux du dangereux individu baignèrent dans les larmes. Son inattention offrirait à Cuistot l’occasion idéale pour aller au contact. Il avait transformé ses mains en casseroles et bondit sur le criminel, qui ne put esquiver le premier coup, mais qui parvint à éviter le deuxième. Un peu sonné, il trébucha en s’éloignant, mais parvint cependant à armer sa mitrailleuse, visant Cuistot qui était dans sa ligne de mire.          Un ananas s’envola jusqu’à lui et heurta sa main avant qu’il ne tire le moindre coup de feu. L’arme vola au loin. Il voulut se précipiter pour la récupérer, mais alors… 

            ATCHOUM ! Il s’était mis à éternuer comme un diable. Il était pris d’une crise d’éternuements qui semblait impossible à calmer. « C’est maintenant que tu nous reviens, toi ? » lança Tear d’un air faussement détaché. Textil fit apparaître une camisole de force pour entraver les mouvements du criminel qui se débattait comme un fou pour se libérer sans succès.
            « Atchoum-man, alors comment était cet entraînement avec Pascal ? demanda Cuistot.
− Une horreur. Mais je crois que je suis devenu plus fort encore, répondit Atchoum-man.
− Je constate ça…minauda Textil en tâtant les biceps d’Atchoum-man qui avaient pris du volume.
− C’est tant mieux, quand on a un pouvoir aussi naze, c’est normal de miser sur le physique, approuva Tear.
− Tu déconnes ? Ton pouvoir est encore plus nul que le mien ! » protesta Atchoum-man.
            Les Inutiles expliquèrent à Greg la raison de l’absence de Gaëlle qui s’était faite de plus en plus rare. Ils s’inquiétaient tous pour elle, mais elle était injoignable. Greg se demanda si les pouvoirs de Lumen allaient vraiment évoluer, et en quel sens…
            « Je vous cherchais depuis un moment, la Ligue des Inutiles. » déclara soudain une voix féminine venue de nulle part, qui sortit Greg de ses réflexions. Cuistot, Arcimboldo, Atchoum-man, Tear et Textil se retournèrent tous au même moment, avec étonnement. Et celui-ci ne fit que grandir quand ils virent à qui appartenait cette voix.

            Elle s’était vêtue de sa tenue d’oracle pour plus d’impact. La légère brise automnale faisait flotter ses cheveux de blé ondulés. Son regard clair n’exprimait aucune émotion particulière, mais sa pose était haute et franche, celle d’une femme à l’aise et qui n’a pas la moindre appréhension.
            « Cassandre ? C’est une surprise, déclara finalement Tear.
− Vous en avez du culot pour venir nous voir comme ça, sans trembler des genoux, après avoir refusé de nous aider à retrouver notre ami ! s’exclama Textil soudainement en colère.
− Et comment vous avez su où nous trouver ? demanda Cuistot, plus calme.
− Je suis Cassandre, l’oracle, j’ai vu dans le futur l’endroit où je pourrais vous retrouver - se contenta-t-elle de répondre. Puis, elle pointa Atchoum-man du doigt – Toi ! C’est toi que je veux voir.
− Ce n’est pas réciproque ! » lui répondit Atchoum-man.
            Pour une raison qu’elle ignorait, la réponse catégorique d’Atchoum-man la piqua bien plus qu’elle n’aurait pu le croire. Elle avait le souvenir d’un Grégory qui manquait de caractère et qui était quasiment à ses pieds quand ils sortaient ensemble. Elle se souvenait de lui comme quelqu’un de discret et qui manquait de confiance en soi. C’était son côté fragile qui l’avait séduite d’ailleurs. Et là, bien qu’elle lui apparût dans toute sa beauté, il s’était contenté de la rejeter. Elle en vint à se demander si c’était bien son ex qui se cachait sous ce masque vert.
            « Oh ce bash ! Vous êtes peut-être une oracle, mais vous ne l’avez pas vue venir celle-là ! ricana une Textil triomphale.
− J’ai pourtant des choses à te dire, Atchoum-man, reprit Cassandre qui fit bonne figure.
− Ces choses, tu aurais peut-être pu me les dire en nous aidant à retrouver Arcimboldo quand on est venus te voir, répondit Atchoum-man.
− Ce…c’est pourtant très important…bafouilla Cassandre qui ne savait pas trop comment convaincre Atchoum-man de lui parler.
− Ca ne l’est pas pour moi. A plus ! » rétorqua froidement Atchoum-man avant de tourner les talons, afin de rejoindre le véhicule de la Ligue garé non loin.
            Cassandre n’avait pas l’habitude d’être rejetée. Aussi se sentit-elle désemparée alors que ces gens, ces Inutiles, ces sous-super-héros, lui présentaient leur dos et la méprisaient. Elle appela une nouvelle fois, sa voix était devenue suppliante. « Grégory ! » aussitôt, Atchoum-man se figea, et il se retourna, se trahissant ainsi.

            Ce n’était à ses oreilles plus Cassandre qui voulait parler à Atchoum-man, dans ce cri. C’était Fiona qui appelait Greg. Et c’était plus fort que lui, il s’était retourné. Il la regarda. Elle était toute rouge, mais gardait son calme. Greg fut envahi par les souvenirs des jours passés avec elle. C’était sa petite amie au lycée, ils étaient sortis ensemble deux ans, ce qui lui semblait être une éternité à l’époque. Ils avaient du vécu, ils étaient la première fois l’un de l’autre. Le premier petit ami, le premier baiser…Il n’avait plus Cassandre face à elle, mais Fi. Il la contempla un long moment. Elle n’avait pas tant changé que ça, elle avait toujours le même regard, les yeux étaient devenus plus matures, ceci dit. Il se demandait si elle avait toujours le même parfum, ou si elle avait gardé ce petit rire particulier, si elle avait gardé l’habitude de pencher la tête sur le côté quand elle écrivait…

            « Atchoum-man ! Tu viens ? s’écria Cuistot, tirant Greg de sa rêverie.
− Si tu changes d’avis, Gregory…tu sais où me trouver… » déclara Cassandre. Greg ne répondit rien, mais ce n’était pas par mépris. Il ne savait vraiment pas quoi répondre. Il se contenta de reprendre sa route, rejoignant ses amis.
            La police vint pour embarquer le forcené, mais Cassandre ne prêta pas attention à l’agitation autour d’elle. Elle n’entendait presque plus les sirènes des voitures de police qui se pressaient. Elle se demanda ce que signifiait le regard que lui avait lancé Grégory avant de partir. Oui, c’était lui, c’était bien Grégory, ce garçon qu’elle avait aimé quand elle était adolescente. Elle prit son téléphone portable et entra le numéro de Joël Pinker.
            « Chéri, j’en suis sûre maintenant, Atchoum-man, je connais son identité.
− Beau travail ma belle, répondit la voix de Joël
− C’est quoi la suite du plan ?
− Tu te rapproches de lui, tu en tires le plus d’informations possible sur la Ligue des Inutiles…
− Et comment je suis supposée faire ça ?
− Mais je n’en sais rien ! Va dîner avec lui, rappelle-lui le bon vieux temps, je ne sais pas, secoue tes nichons sous son nez…l’essentiel, c’est qu’on sache l’identité de ses potes, et surtout où ils crèchent, afin que Sarramauca aille leur faire une petite frayeur. OK ?
− Oui…Joël…
− Oh, et Fiona ? Je t’aime…
− Je t’aime aussi. » répondit-elle avant de raccrocher. Ce plan ne lui plaisait pas, mais elle ne pourrait rien refuser à Kratos. Non seulement elle l’aimait, mais le monde avait besoin de lui, aussi elle se sentait le devoir de faire tout ce qu’il était possible pour le satisfaire : il était un dieu parmi les hommes, elle en était l’oracle.
            Joël reposa son téléphone sur la table de chevet. Il était heureux de voir que le voile de mystère autour des Inutiles était sur le point d’être déchiré. Il regarda les trois jeunes starlettes de télé-réalité nues, qui s’étaient lovées contre son corps puissant.
            « Dis, tu nous aimes nous aussi ? demanda l’une d’elles en embrassant son torse.
− Mais bien sûr, je vous aime toutes…répondit-il d’une voix grave en les embrassant les unes après les autres. Son portable avait encore sonné, c’était Wandrille, mais il comprendrait que Kratos était trop occupé pour lui répondre.

            Ondine avait les bras chargés de courses. Elle sonna à la porte, attendant que Brigitte vienne lui ouvrir. La vieille femme la fit entrer et l’invita à poser les provisions dans la cuisine avant de venir boire le thé avec son invité. Ondine, en déambulant dans le couloir se demanda bien qui pouvait être cet invité. Brigitte était une vieille dame esseulée, qui n’avait que peu de contacts avec le monde extérieur.
            Quand elle arriva au salon, elle poussa un cri de surprise. Assis devant elle, un grand homme noir robuste buvait son thé. Il se tenait droit, avait les cheveux courts et portait des lunettes qui dissimulaient à peine un air sévère. Il était vêtu très sobrement et bavardait aimablement avec Brigitte. Cet homme, Ondine le connaissait très bien.
            « Delphine, je te présente…
− …Cyril Marvel. 
− Tu le connais ?
− On est nombreux à le connaître. Il est du genre à donner des coups de foudre à tous ceux qu’il croise, répondit Ondine en toisant Cyril d’un air méfiant.
− Ca fait longtemps, Delphine.
− Pas assez longtemps. La dernière fois qu’on s’est vus, j’ai eu un choc et j’ai bu la tasse – répondit Ondine en se servant un thé brûlant et jouant à faire voler la sphère liquide entre ses mains – Comment va ton frère ?
− Je n’ai pas eu de contact avec lui depuis longtemps.
− Vous êtes amis ? demanda d’une petite voix Brigitte.
− Pas vraiment, nous sommes plutôt des ennemis mortels. Brigitte, je te présente Raijin, l’homme-foudre, répondit Ondine avec un sourire triomphal, trop heureuse d’avoir donné à une inconnue la réelle identité d’un Super-héros mondialement reconnu.
− Oh vraiment ? J’ai suivi tous vos exploits, monsieur Raijin, vous êtes un modèle pour nous tous, tenez, prenez donc un autre gâteau ! s’exclama Brigitte folle de joie d’avoir sous son toit ces deux êtres tout-puissants.
− Je vous remercie madame, j’ose espérer que vous garderez mon identité secrète, pour le bien de mes proches ?
− Mes lèvres sont scellées ! » répliqua avec une joie infantile la vieille dame. Ondine, elle, se contenta de dévisager en silence Cyril. Elle se demandait ce qu’il pouvait bien faire là.

            Le thé avait un goût amer, et l’ambiance était lourde. Manifestement, Raijin voulait parler à Ondine en privé. Si au début, elle ne voulait rien entendre, elle se laissa finalement aller à la curiosité. Aussi, après un moment, alors qu’il annonça qu’il devait partir, Delphine l’accompagna à la sortie. Arrivés sur le pas de la porte, Ondine se décida à poser la question qui lui brûlait les lèvres.
            « Tu veux quoi, Raijin ?
− Elle a l’air gentille. Elle sait qui tu es ?
− Oui. Et ça ne lui pose pas de problèmes. Elle n’a pas peur de moi.
− C’est vrai, tu as l’air moins en colère que d’habitude.
− Je vais le redevenir si tu ne me dis pas ce que tu viens foutre ici.
− J’ai besoin de toi Ondine. Je veux que tu m’aides.
− C’est non, répondit-elle en fermant la porte.
− Ondine, je n’y arriverai pas sans toi, répliqua Raijin en bloquant la porte de son pied.
− Tu n’y arriveras pas ? De quoi tu parles ?
− Kratos est dangereux, il faut que quelqu’un l’arrête. Si on unit nos forces, alors peut-être… » Il s’interrompit. Ondine l’avait regardé d’abord avec étonnement, puis elle s’était mise à rire au point d’en avoir les larmes aux yeux. Finalement, elle reprit son souffle.
            « Tu veux qu’on arrête Kratos ? Et moi qui pensais que tu étais un boy-scout…tu fais ça pour quoi ? La gloire ? La jalousie ? Il a sauté ta copine ?
− La Ligue des Inutiles, tu te souviens d’eux ? Tu t’es battue contre eux lorsque tu as pété les plombs à Paris.
− Ah oui, la bande de minables !
− Kratos a libéré Raptor et Sarramauca afin de les faire assassiner. 
− Et alors ? Je n’en ai rien à foutre, moi, de la Ligue des Inutiles !
− Moi si ! Je suis un Super-héros. Je suis là pour protéger ceux qui sont en danger. Peu importe contre qui.
− Kratos va te réduire en purée. Il est bien plus fort que toi.
− C’est ce qu’on verra. Les jours d’orage, je n’utilise pas mon pouvoir, car celui-ci devient dévastateur. Je pense que Kratos est prenable si je l’affronte par temps orageux…
− Je ne peux pas faire la pluie et le beau temps. Je ne vois pas pourquoi tu viens me voir.
− Kratos ne m’attaquera pas de lui-même, pour préserver une image nickelle, et moi, je ne peux pas non plus l’affronter ouvertement sans révéler au monde que La Conjuration des Etoiles est trempée dans un complot meurtrier contre la Ligue des Inutiles !
− Donc, si je te suis bien, il faut que Kratos et toi ayez une raison de vous foutre sur la gueule, une raison qui laissera l’image de tes précieux super-héros, immaculée auprès des médias.
− Je ne pourrai jamais commettre des crimes. Mais si je fraye avec toi, et que j’attaque Kratos, alors je pourrai donner l’illusion d’être devenu un super-criminel.
− Et donc tu vas faire quoi ? Tabasser Kratos pour lui apprendre que conspirer ce n’est pas bien ? Tu vas le tuer ?
− On verra bien ce qui se passera…
− Le monde va te haïr si tu expédies son protecteur attitré !
− Peu m’importe. Je te l’ai dit, il est de plus en plus dangereux, il faut qu’il apprenne que même lui doit rendre des comptes. »
Ondine le regarda avec étonnement, entortillant une mèche de ses cheveux bleus autour de son index, sondant l’âme de Raijin. C’était un boy-scout énervant à ses yeux. Il avait beau dire, tout comme Kratos, il était obnubilé par l’image que pouvaient avoir les « super » aux yeux de la populace. S’il était prêt à écorner cette image de héros chevaleresque, c’est qu’il devait être très sérieux.
« OK j’accepte de te suivre, Raijin. C’est pénible, je me disais justement que j’allais me ranger, vivre tranquillement avec cette vieille peau, mais bon…Et puis c’est l’occasion de faire d’une pierre deux coups ! Défoncer Kratos et ruiner ta réputation, c’est du tout bon pour moi.
− Ondine, je te remercie…
− Mais je te préviens, il est hors de question que je prenne des risques pour toi. Et puis, si tu veux que Kratos nous prenne au sérieux, il va falloir plus de super-vilains, je ne suis pas suffisante.
− C’est hors de question.
− Je pensais à des mecs que tu pourrais recadrer facilement, idiot ! Tiens, pourquoi pas ce mec qui transforme son corps en rocher, là ? Pierre ! » Raijin la dévisagea, poussa un soupir et acquiesça. Il ferait tout ce qu’il faudrait pour affronter Kratos…

            Une foudre puissante qui détruisait tout, de l’eau à foison, une chute de pierres…et tous ces éléments déchaînés s’entremêlaient et, chargés de fureur, se précipitaient vers la silhouette familière de Kratos. Puis une explosion…celle-ci tira Fiona Lerner de sa transe. Elle se réveilla en sursaut. C’était une vision du futur. Un danger énorme menaçait Kratos. Elle devait le prévenir. Elle se leva de son lit, et enfila sa robe de nuit. Son appartement n’était éclairé que par la lueur pâle d’une lune-aspirine. Elle s’empara de son téléphone portable et composa le numéro de Joël Pinker. Mais celui-ci ne répondait pas. Elle lui laissa un message, puis décida de prendre le temps de réfléchir à cette vision. Quelque chose de puissant arriverait, quelque chose susceptible de s’élancer avec colère sur Kratos. Mais qui pourrait bien lui en vouloir à ce point, se demandait-elle ? Les ennemis de Kratos n’étaient plus nombreux, cela faisait un moment qu’il provoquait plus la peur, que la colère chez eux…

            Un étrange malaise semblait ramper le long de son dos. Cette vision était bien plus sibylline que d’habitude, et si elle avait bien appris quelque chose au sujet de son pouvoir, c’est que moins la vision est claire, plus le danger est grand. Elle repensa alors à cette vision qu’elle avait déjà eu il n’y a quelque temps, ce tas de cadavres…ces gens qui étaient morts sans raison…et plus elle repensait à cette vision, plus l’inquiétude l’enserrait. Elle poussa un soupir et se prépara un café. Ce n’était pas ce soir qu’elle aurait une nuit de sommeil digne de ce nom. Décidément, ce pouvoir ressemblait parfois plus à une malédiction qu’à autre chose…

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