Tout
était gris. Les rues étaient désertes, c’était comme si la ville était
endormie. Les stores étaient baissés, et rares étaient les âmes qui
déambulaient sur le bitume. Quand des passants marchaient, ils avaient l’air
anxieux des animaux traqués. Leurs yeux hagards se posaient partout, comme
s’ils s’attendaient à être fauchés. La peur avait installé ses quartiers dans
la ville, depuis l’annonce de la veille. Greg regardait par la fenêtre, plongé
dans ses pensées. C’était comme s’il n’y aurait plus jamais d’espoir.
« Je
sais que je vous ai manqué. Comment je le sais ? Tout simplement parce
que, en mon absence, vous avez fait n’importe quoi. Vous avez laissé le chaos
s’installer, et vous le savez, que je n’aime pas le chaos. Votre monde part à la
dérive, et vous laissez faire les choses, mais vous avez besoin d’un guide,
vous avez besoin qu’on vous tienne la main, vous comprenez ? La liberté,
c’est un joli mot, mais ce n’est pas ce dont vous avez besoin, ce n’est pas ce
que vous recherchez.
Non,
mes amis. Ce dont vous avez besoin, c’est de contrôle. Le contrôle amène la
structure, la structure amène la sécurité, la sécurité est incompatible avec la
liberté. C’est pour ça que vous cherchez toujours un être providentiel. Un
leader. Qu’il existe ou non. Vous l’appelez Dieu, ou vous votez pour des hommes
qui vous promettent de résoudre tous les problèmes de l’univers d’un claquement
de doigts, ou encore, vous vous rassemblez derrière des super-héros. »
Gepetto
se leva, faisant une pause dans son discours théâtral. Angelure venait de poser
la dernière bûche sur le foyer. Elle se tourna vers Gepetto et de son pas non
naturel, elle se dirigea vers lui. Le vieil homme lui prit délicatement les
deux mains. Puis, ils se lancèrent dans une valse. Ils dansèrent une bonne
minute. Puis ils se figèrent.
« Je
suis en ce moment entouré des pires criminels qui soient. Angelure que voilà,
me hait, car elle estime que je lui ai menti. Angelure pourrait me geler à
mort, si elle le pouvait. Elle le désire ardemment. N’est-ce pas,
Angelure ?
— Tu m’avais promis de me libérer… »
souffla-t-elle.
Elle
s’éloigna de Gepetto et son corps se dirigea vers un coin de la pièce. Elle
revint quelques instants plus tard avec un bidon d’essence. Son regard
reflétait une détresse absolue.
« Je
suis la réponse. Je suis Gepetto. Je suis le marionnettiste, et vous êtes mes
pantins. Vous m’appartenez à jamais. Ne l’oubliez jamais. » la voix de
Gepetto s’était faite glaciale. Sur ces mots, Angelure, la criminelle de glace,
se plaça sur le bûcher et s’aspergea de combustible. Puis, des larmes se mêlant
à l’essence qui ruisselait le long de ses joues, elle craqua dans un geste
mécanique une allumette.
Gravitas
avait alors éteint l’écran. Les hurlements d’Angelure avaient été
insupportables. Un silence de mort s’était alors abattu dans la salle de
conférence de l’Egide. Malgré les masques, on pouvait aisément deviner que
chacun était devenu pâle.
« Ce
n’est pas des conneries ? C’est bien Gepetto ? C’est lui le pire
criminel qui ait existé ? demanda Punch qui était encore très jeune.
— C’est lui. Il a tué les Wonder 13… il a
tué mon père… » souffla Cuistot qui tremblait de tous ses membres.
C’était
peu après que chacun était rentré chez lui. Ce matin-là, en se réveillant, Greg
avait cru à un cauchemar. Mais en allumant sa télé, il s’était rendu compte que
tout avait été vrai. Toutes les chaînes ne parlaient que d’une chose :
l’évasion de Gepetto. Des experts se succédaient, des documentaires rappelaient
ses exactions passées, c’était la course à celui qui mentionnerait le plus son
nom. La vidéo repassait en boucle commentée par tout le monde et leurs voisins.
Seule la brutale exécution d’Angelure avait été censurée pour ne pas
« choquer les téléspectateurs » comme le disaient les journalistes,
probablement avec beaucoup de frustration contenue.
Greg
ne savait que trop penser de Gepetto. Il ne pouvait pas le laisser faire plus
de mal. En une vidéo, il avait plongé le monde dans un effroi glacial. Mais
pourrait-il vraiment l’arrêter ? Il avait pris de l’assurance, depuis
qu’il était Atchoum-Man, mais là, il devait se l’avouer, il avait peur. Ce ne
serait certainement pas en le faisant éternuer qu’il pourrait vaincre Gepetto.
Michael
Perséphone affichait un air grave. Lui aussi avait suivi les actualités. Et il
était à présent très tendu. Le retour de Gepetto était une horreur, et
l’absence de Kratos et de Raijin donnait au monde l’impression d’être désarmé.
Il était resté chez lui, et se demandait à présent ce qu’allait faire la Ligue
des Inutiles. Ses membres, depuis quelques temps, avaient pris leur
indépendance, et il était heureux de constater qu’ils n’avaient plus besoin de
lui comme guide. Ils menaient leurs propres combats à présent. Mais il
s’inquiétait tout de même de leur avenir. Ils ne devaient absolument pas se
mêler de toute affaire impliquant Gepetto. Mais il savait au fond de lui que
l’équipe qu’il avait formé était constituée de véritables héros.
« On
ne peut pas les mêler à ça ! s’écria Lumen à la réunion qui se tenait dans
le QG de l’Egide.
— Lumen, tu sais très bien que la Ligue
des Inutiles est déjà mêlée à cette affaire ! répondit Gravitas.
— Ils n’ont aucune chance contre
Gepetto !
— Parce que tu t’imagines que nous en
avons-nous ? s’exclama Gravitas. Je te rappelle que sans Terminacop, nous
sommes affaiblis !
— Je crois que tu ne fais pas assez
confiance à tes amis. Je trouve qu’on fait du bon boulot avec eux, déclara
Punch.
— Je… » Lumen ne pouvait pas trouver
les mots justes. Elle ne voulait pas que ses amis participent à un combat
contre Gepetto. Mais alors, une pensée lui vint à l’esprit. Pourquoi ne
voulait-elle pas qu’ils combattent ? était-ce pour leur sécurité ? Ou
bien était-ce parce que… S’était-elle mise à les prendre de haut, comme le
monde entier la prenait elle-même de haut de la même manière ? Elle garda
le silence tandis que ses compagnons débattaient. Elle se mit à avoir honte
d’elle et de la façon avec laquelle elle considérait ses amis de la Ligue.
« Lumen,
tu nous écoutes ? la voix de Gravitas sortit Lumen de sa torpeur.
— O…oui…
— Nous devons établir un plan d’action
efficace dans les plus brefs délais. Je vous rappelle que le problème n’est pas
seulement Gepetto. Les criminels qui étaient autour de lui ne sont pas des
enfants de chœur. Il faut nous réunir avec la Ligue des Inutiles, et tous les
super-héros qui voudront combattre Gepetto.
— C’est excitant — déclara Singham avant
d’ajouter — quand Gepetto est dans l’équation, ça signifie presque toujours un
changement d’ère.
— Justement, le but, c’est de faire en
sorte que son ère dure le moins longtemps possible. » répondit Gravitas
d’un ton sec.
Gepetto
était joyeux. Il avait été satisfait de son spectacle. Il appréciait sa
promenade dans les rues désertes de Paris. Il respirait de grandes bouffées de
l’air matinal et marchait d’un pas enjoué, s’autorisant un petit pas de danse.
Sans aucun lien,
Je me tiens bien,
Je ne titube, ni ne chancelle
Je n’ai besoin d’aucune main,
Qui tire les ficelles…
La ville déserte qui s’étendait sous ses
yeux, c’était pour lui le plus beau spectacle. Sans les passants, sans la vie
qui fourmillait sur les trottoirs, tout semblait plus propre, plus lisse,
plus…comme il l’aime. Ne restait alors plus que la régularité des lignes, des
buildings. Il était de retour, et il allait repousser le chaos pour faire
régner l’ordre. Et pour cela, il allait passer par la peur, le moyen le plus
efficace pour arriver à ses fins.
Jean
Pierre Le Mène était en train de regarder les informations tout en sirotant son
verre de vin. Le liquide écarlate dansait au fond de son ballon. Il ne se
retourna pas quand il entendit le pas de sa femme, Corinne. Elle s’approcha de
lui et son regard clair se porta sur les images de Gepetto qui tournaient en
boucle sur les chaînes d’information.
« Ce
monstre de retour… c’est une catastrophe.
— Non… c’est une opportunité. » se
contenta de déclarer Jean-Pierre en finissant son verre.
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