Sarramauca
errait. Elle n’avait pas de logement, alors, elle continuait de se cacher dans
les catacombes de la ville. Mais si avant elle s’y dissimulait pour échapper à
Kratos, à présent, elle s’y cachait pour ne plus faire de mal à qui que ce
soit. D’ailleurs, elle avait de moins en moins peur de Kratos. Il pouvait bien
venir, elle serait prête à le recevoir. Elle dut garder ces résolutions bien en
mémoire le jour où Kratos apparut dans son repaire. Il semblait l’y attendre,
dissimulé dans l’ombre.
« J’ai
l’adresse de la Ligue des Inutiles…pas trop tôt, quand on voit à quel point tu
travailles lentement…
− Dégage d’ici Kratos. Je ne suis pas à
ton service ! répondit Sarramauca.
− Tiens, y a quelque chose qui a changé
chez toi…ta voix…on dirait presque une vraie voix de femme…et sur ton visage…du
rouge à lèvres ? » Kratos éclata de rire.
Il se
précipita sur Sarramauca et la prit par la gorge. Puis il observa son visage de
près. Son regard s’illumina, tandis que Sarramauca, étourdie par le choc et la
brutalité de Kratos, détournait les yeux.
« C’est
vrai que quand tu t’arranges un peu, tu peux être baisable…un peu de bronzage
pour ton teint de cadavre, du rouge à lèvres pour dissimuler ta bouche tordue,
et rien à faire de plus pour tes jolis yeux…ça alors…le petit monstre difforme
cachait une princesse…
− Lâche-moi… souffla Sarramauca. Kratos
la jeta par terre.
− Voilà l’endroit où se réunissent les
minables de la Ligue des Inutiles. Tu vas y aller et les tuer. Et que ça saute,
déclara-t-il en lui jetant un bout de papier sur lequel était inscrit l’adresse
de Michael Perséphone.
− Va chier ! » répondit
Sarramauca en jetant l’adresse au loin.
Kratos
l’observa longuement. Puis il lui colla une gifle, qui fut suffisamment
violente pour la choquer. Du sang coula de la lèvre de Sarramauca.
« Je
ne t’ai pas demandé ton avis, je t’ai donné un ordre. Tu vas finir ce que tu
avais commencé.
−
Non !
− Je pourrais te tuer, tu sais… »
La menace
résonna dans l’esprit de Sarramauca. Oui Kratos pourrait la tuer. Et peu de
gens la regretteraient, Mehdi probablement serait le seul. Elle pouvait
parfaitement mourir à l’insu de tous, Kratos serait impuni, peut-être même le
féliciterait-on. Elle ne voulait pas mourir, bien sûr, elle était mue par un
instinct de survie. Mais malgré cela, elle ne voulait pas que du mal soit fait
à Mehdi. La mort lui paraissait être un sort moins cruel. « Tue moi dans
ce cas. Parce que je ne ferai rien contre la Ligue des Inutiles »
cracha-t-elle. Kratos la regarda avec étonnement. Manifestement il ne
s’attendait pas à ce que sa menace soit sans effet. Il se mit à tourner autour
d’elle comme un prédateur autour de sa proie, l’examinant de près.
« Toi,
ma chère Sarramauca, tu me caches quelque chose. Serait-il possible ?
Non…c’est impossible…mais si, tu es en train de t’épanouir, tu es…tu t’es faite
un ami ? Non…tu es tombé amoureuse ! s’exclama Kratos d’un air
théâtral.
− Ca ne te regarde pas ! se
contenta-t-elle de répondre.
− Ce n’est pas vrai ! J’ai tapé
dans le mille ! Ne me dis pas que c’est Atchoum-man ? Non…il est
occupé à s’imaginer pouvoir me voler Cassandre…alors à part lui…tu as rencontré
le Cuistot, c’est ça ? – Sarramauca garda le silence, elle répugnait à échanger des paroles avec
Kratos –
Et il le sait ? Je veux dire, tu ne le dégoûtes pas ? Le moins qu’on
puisse dire, c’est que tu sais surprendre !
− Ris, mais tu peux trouver quelqu’un
d’autre pour faire ta sale besogne !
− Oh non, Sarramauca, tu vas faire ce
que je te demande ! Les copains de ton mec le Cuistot, là, ils commencent
sérieusement à me gonfler vois-tu ? Je les veux morts. Et je commence à
perdre patience. Tu vois, je me demande même si ce ne serait pas plus simple de
faire le boulot moi-même. Incognito. Tu vois je sais où les trouver, du coup
leur tomber dessus discrètement ce sera très simple pour moi. Et crois-moi,
Sarramauca, je serai bien plus brutal que toi !
− Non Kratos…je ne peux pas faire
ça !
− Tu sais, je n’ai jamais frappé
quelqu’un avec ma puissance maximale. Parce que je peux couper un train en deux
avec un coup de poing. Tu imagines, si je me défoulais sur ton pote le
Cuistot ? Je pourrais le transformer en viande hachée !
− Si tu lui fais du mal…
− Dans ce cas, écoute ce que je te
propose Sarramauca. Tu fais ce que je dis, et tu auras le droit de laisser ton
Cuistot vivre. Tout ce que tu auras à faire, ce sera de tuer les autres. Un
Inutile de plus ou de moins, ça m’est égal. Allez, est-ce que ce n’est pas
généreux ?
− Il…il va me haïr si je fais ça !
− C’est plutôt une bonne chose,
non ? S’il peut te haïr, ça veut dire qu’il est vivant !
− Je…Sarramauca était au comble du
désespoir.
− Je te donne une semaine, parce que je
suis vraiment ultra généreux aujourd’hui. Si tu n’as rien fait, alors je me
chargerai de toute la Ligue. Toute, tu m’entends ? »
Kratos
la regarda longuement, comme s’il attendait quelque chose. Sarramauca se rendit
compte qu’elle tremblait de tous ses membres. Elle regarda au sol et vit le
morceau de papier que Kratos lui avait lancé plus tôt. Elle le ramassa et le
déplia, lisant l’adresse plusieurs fois de suite.
« Je…je
t’entends… » souffla-t-elle d’une voix faible et éteinte. Kratos acquiesça
et s’envola vers la sortie des catacombes, laissant seule Sarramauca. Celle-ci
tenait encore dans sa main le morceau de papier. Elle s’adossa à un mur puis se
laissa tomber. Et, prise d’un profond désespoir, elle se mit à pleurer toutes
les larmes de son corps.
La
Conjuration des Etoiles tenait une réunion extraordinaire, Kratos ayant demandé
à ses compagnons de venir afin de leur faire un petit débriefing de leur plan.
Terminacop, Gravitas et Cassandre répondirent présent.
« Et
bien, j’espère qu’au terme de cette réunion, aucun d’entre vous n’aura l’idée
de quitter la Conjuration, c’est devenu une tendance en vogue en ce moment – déclara Kratos en
préambule – Je vous ai fait réunir pour vous annoncer
qu’hier, j’ai donné un ultimatum à Sarramauca, à qui j’ai donné l’adresse de la
Ligue des Inutiles. On doit ce formidable progrès à Cassandre. Dans une semaine
au plus tard, Sarramauca nous débarrassera de ces faux héros.
− Est-ce qu’elle pourra
vraiment le faire ? Il ne faut pas oublier que la Ligue des Inutiles prend
de plus en plus d’ampleur ! Ils ont vaincu Raptor, et ils commencent à
bouffer des super-criminels au petit déjeuner, objecta Terminacop.
− Et puis il y’en a une
dans leur Ligue qui a évolué ! Je ne sais même pas si on peut toujours
parler d’Inutile à son sujet, ajouta Gravitas.
− Sarramauca n’est pas du
genre à se jeter au combat. Elle se ferait dégommer en moins de deux. En
revanche, si elle est mauvaise combattante, elle n’en reste pas moins un
assassin efficace. Elle fera le job, expliqua Kratos d’un ton rassurant.
− Bon super, et pourquoi tu
nous as demandé de nous réunir ? demanda Gravitas.
− Il semblerait que La
Ligue des Inutiles soit liée à Michael Perséphone. Il est possible même qu’il
soit à l’initiative du projet.
− Quoi ? Mais ça
change la donne ! s’exclama Terminacop.
− Pas forcément !
− Tu sais très bien de quoi
il est capable, Kratos. Si ça se trouve, tout ce plan sera vain !
− On sait de quoi il est
capable, mais on sait aussi qu’il n’en fait rien !
− Kratos, là ça va trop
loin. On est en train de se battre contre des moulins à vent ! Toute cette
machination est inutile ! Maintenant qu’on sait que l’autre abomination
est peut-être de la partie, je dis qu’on devrait laisser tomber, et faire de la
place ! s’exclama Gravitas.
− Gravitas. Tu as bien
signé ce contrat plus que juteux pour cette série de documentaires à ta gloire,
non ? Et si les producteurs recevaient des enregistrements venant d’ici
démontrant que tu as participé à un complot meurtrier contre des camarades
Super-héros ?
− Tu te mouillerais aussi
Kratos !
− Vraiment ? J’ai
pensé à un scénario sympa, de mon côté. Et si le Kratos qu’on voit dans ces
enregistrements était en réalité une marionnette d’Anima ? Après tout,
elle a été vue en compagnie de Raijin, héros déchu devenu mon pire ennemi aux
yeux du monde. Elle pourrait décider de venger son ami en me manipulant pour
tous nous discréditer. Mais si moi, j’étais possédé par Anima, ce n’est pas
votre cas, à toi et à Terminacop.
− Anima était présente
quand on a discuté de tes plans ! hurla Terminacop
− Ah oui, j’ai pris un
grand soin de ne pas faire enregistrer ces premières réunions. Quand Anima nous
a quitté, je me disais que je pourrai bien avoir trouvé un prétexte parfait
pour ressortir de cette histoire, blanc comme les fesses du pape tout en vous
tenant par les bourses.
− Très bien, tu nous as
bien niqué. On te suit Kratos, mais fais bien attention à toi. Tu es au sommet
du monde, pour l’instant, mais tu chuteras, et on pourra t’entendre te péter la
gueule du fin fond du désert de Gobi jusqu’à la forêt Amazonienne » répliqua
avec amertume Gravitas.
Gaëlle remarqua que Greg et Mehdi n’étaient pas dans leur
assiette. Ils n’avaient rien écouté de ce qu’elle avait dit. Finalement, elle
demanda à Cédric de lui donner deux pommes qu’elle lança sur les têtes de ses
deux compagnons.
« Hé ! hurla Mehdi.
− Mais ça ne va pas
bien ?
− Greg, Mehdi, vous me le
dites, si je vous ennuie !
− Désolé ! C’est juste
que je pensais à ma copine…dit sans réfléchir Mehdi qui s’en voulut d’avoir
failli tout avouer sur sa relation avec Sarramauca.
− Oh toi aussi ?
s’exclama Greg.
− Ouais ! Ca doit
faire quatre jours que je n’ai aucune nouvelle d’elle !
− Mais pareil ! Elle
ne répond plus au téléphone…
− Elle ne passe plus à
l’improviste à l’appartement…
− Et tout ça sans raison…
− Ah les filles…soupirèrent-ils
en même temps.
− Bro ! s’écria Mehdi
en tendant son poing vers Greg.
− Bro ! répondit Greg
en cognant son poing contre celui de Mehdi.
− Bros ! hurla Gaëlle
en cognant son poing contre les visages des deux amis.
− Oh Greg, tu es en train
de me dire que ta précieuse Cassandre s’est probablement foutue de toi ?
Quelle surprise dis-moi ! siffla Claire avec cynisme.
− Considérations amoureuses
mises à part, on n’était pas en train de parler de comment revoir notre
stratégie de combat ? » dit Cédric.
Claire garda le silence. Elle n’aimait pas Cassandre,
elle ne saurait dire pourquoi. Elle avait toujours trouvé bizarre ce
revirement, cet intérêt soudain qu’elle avait manifesté pour Greg. Elle trouva
tout de même intéressant que Greg et Mehdi aient à peu près les mêmes
difficultés au même moment. C’était peut-être une coïncidence, mais elle n’y
croyait pas trop. Elle ignorait que Mehdi avait eu une copine, et il n’en avait
parlé à personne. Cela l’intriguait.
Lorsqu’ils sortirent du logement de Michael, Claire
rattrapa Mehdi qui marchait les mains dans les poches. Lorsqu’elle parvint à le
rejoindre, elle lui proposa d’aller boire un verre dans un pub non loin.
« Dis-moi Mehdi, − débuta Claire en sirotant son
Blue Lagoon – tu nous as caché que tu étais amoureux !
− C’est que je ne pensais
pas que ce serait si important…bafouilla Mehdi.
− Elle est jolie ?
− Les plus beaux yeux du
monde !
− C’est marrant, toi et
Greg vous traversez la même chose ! C’est lui qui te l’a présentée ?
− Ah ah ! Pas
vraiment…répondit dans un rire gêné Mehdi. Il venait de se rendre compte que
c’est en suivant Greg que Sarramauca était entrée dans sa vie.
− Tu sais, je pense que
Greg devrait se méfier de Cassandre. Elle n’est pas nette, je sais qu’elle joue
avec lui…et qu’il va le regretter amèrement, débuta Claire.
− Et tu penses que c’est le
cas pour moi aussi ? demanda Mehdi d’un ton plus sérieux.
− Les coïncidences, c’est
comme les licornes, j’en entends souvent parler, mais je n’y crois pas,
répondit Claire.
− Et bien tu te goures, je
ne sais pas pour Greg, mais ma copine n’est pas comme ça ! Elle est
juste…incomprise.
− Incomprise ? »
Claire observa avec attention Mehdi. Pourquoi disait-il
que sa copine était incomprise ? Il était par ailleurs agité. Puis, une
idée tordue lui vint à l’esprit.
« Mehdi, toi et Greg vous avez été attaqués par
Sarramauca ?
− Euh…ouais…Mehdi avait
sursauté à l’évocation de Sarramauca.
− Elle ne s’est plus
attaquée à Greg depuis…elle ne s’attaque plus à toi non plus ?
− Non…
− Je me demande pourquoi,
réfléchit à haute voix Claire avant de reprendre : peut-être que
Sarramauca n’attaque pas les gens qui ont des copines ? Non c’est idiot.
Peut-être que c’est parce que… » Claire garda le silence un moment et
observa Mehdi un long moment. Celui-ci ruisselait de transpiration.
« Tu es en couple avec Sarramauca ?
− Quoi ?
Non…c’est…non !
− Incroyable. C’est juste
incroyable. Toi, en couple avec l’une des plus terribles parmi les
super-criminels !
− Ce n’est pas une vulgaire
criminelle ! – hurla Mehdi avant de baisser d’un ton – ce n’est pas le
monstre qu’on croit !
− Elle a tué des
gens !
− Je sais mais c’est son
pouvoir…c’est une malédiction ! Il y a du bon en elle ! Je le sais,
je l’ai vu.
− Mehdi, tu es
aveugle ? Tu ne vois pas ce qui se trame ? Cassandre ne voulait rien
avoir à faire avec nous ! Pourtant, peu de temps après, elle change
d’avis, se rapproche de Greg. C’est à ce moment qu’apparaît Sarramauca qui lui
fout la trouille de sa vie. Elle parvient ensuite à t’atteindre…votre point commun :
vous êtes tous les deux de la Ligue des Inutiles ! Mehdi, est-ce que je
vais devoir regarder sous mon lit ce soir pour vérifier que ta copine n’y est
pas planquée pour me tuer ?
− Tu te trompes,
Claire ! Sarah n’est pas comme ça !
− Elles sont de mèche, et
elles nous préparent quelque chose ! Demain j’en parle à Gaëlle et aux
autres ! »
Mehdi frappa violemment du poing sur la table. Il regarda
Claire avec une colère noire dans les yeux. Puis son regard se radoucit pour
n’exprimer plus que de la tristesse.
« Claire, s’il te plaît ne dis rien à personne, sa
vie a toujours été dure, elle a besoin d’être acceptée ! Ses pouvoirs sont
sans effet sur moi pour cette même raison. Laisse-moi gérer par
pitié ! » Claire ouvrit de grands yeux. Elle ne savait trop comment
réagir en voyant la mine implorante de Mehdi. Elle ne put que pousser un
profond soupir.
« Il nous a bien baisé, Gravitas. On fait
quoi ? demanda la voix de Terminacop au téléphone.
− Qu’il fasse le malin. Il
ne sait pas que de nos jours, l’info va vite, et qu’il vaut mieux dégainer le
premier.
− Tu veux dire que tu vas
vraiment…
− Quelle époque
formidable…on peut détruire toute une vie en 140 caractères. »
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